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Un peu plus près des étoiles

Les Journées Fermes Ouvertes suscitent un engouement certain parmi les gens curieux de (re)découvrir l’agriculture « en vrai ». Indubitablement, les fermes classiques sont très peu représentées lors de ce week-end particulier, quasi absentes, au contraire des exploitations qui présentent un caractère spécial et commercial : vente à la ferme, agri-tourisme, élevages d’ânes ou d’autruches, maraîchage biologique… Simple paysan conventionnel sans aucune originalité, j’apprécie particulièrement ces visites, très stimulantes pour mes espiègles petits neurones. Ainsi, cette année, j’ai découvert l’agriculture biodynamique ! Son concept aux apparences ésotériques peut paraître déroutant, mais une fois la barrière de son étrangeté franchie, il apparaît dans toute sa cohérence et sa durabilité dans la marche actuelle du monde…

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Ceci dit, permettez-moi de le déplorer, mais les JFO donnent aux citadins une image biaisée de notre métier, car les exploitations conventionnelles n’ont guère l’envie, ni le temps, d’ouvrir leurs portes au grand public. Ce week-end dédié à l’agriculture est censé montrer aux visiteurs comment nous travaillons, notre quotidien, les réalités de notre vie. En principe, il doit nous rendre sympathiques, raconter comment nous gérons nos exploitations : les animaux, les bâtiments, les champs, les prairies, les tracteurs et les machines, les travaux saisonniers… Dans la pratique, les fermes ouvertes sont pour la plupart motivées par le désir de faire leur publicité, -ce qui est tout à fait légitime et tout à leur honneur ! –, afin de se mettre en vitrine et vendre leurs produits : fromages, farines et pâtes, charcuteries et viandes, légumes, etc.

La plupart des Fermes Ouvertes organisent chez elles une petite fête champêtre, où dégustations et restauration ont la part belle, avec des animations ludiques, des balades contées, des petits concours… C’est très agréable et attractif pour les enfants et les adultes, mais ce côté festif, -où tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil –, ne colle pas vraiment avec la mentalité des agriculteurs en général, peu enclins à se montrer, à exposer leurs biens et leur petit univers bien à eux. « Pour vivre heureux, vivons cachés ! ». Ce besoin irrépressible de passer inaperçu, de dissimuler ses avoirs et ses pensées, fait partie de notre atavisme paysan : nos ancêtres soumis au cens, à la dîme, à la morte-main, la corvée, etc, ont développé en réaction cette propension à cacher leurs animaux, leurs récoltes. Les deux guerres mondiales du 20e siècle, et les réquisitions de l’occupant, n’ont rien arrangé, au contraire ! Moins on en savait sur leur compte, mieux cela valait !

Plus près de nous, en 2023, la PAC et sa montagne de règlements (identification animale, gestion des effluents d’élevage, conditionnalités environnementales…) nous incitent à la plus grande discrétion, à la plus grande timidité. Pas question de tout montrer à des étrangers : on ne sait jamais ce qu’il pourrait en advenir ! Ce caractère ombrageux ne joue pas vraiment en notre faveur aux yeux du grand monde, et fait de nous des rustres, des solitaires méfiants, difficiles à comprendre, à aborder. Ces Journées Fermes Ouvertes constituent une sorte de faille où peu de fermiers conventionnels se risquent à fourrer leur main, de peur d’y laisser un doigt. J’admire dès lors beaucoup ceux qui franchissent le pas, même s’ils y cherchent un intérêt immédiat avec des moyens peu en adéquation avec notre nature modeste et circonspecte.

C’est pourquoi les JFO me voient chaque année visiter plusieurs exploitations, à la recherche d’une pépite, d’une étoile à accrocher à mon firmament intérieur. Ainsi, j’ai découvert ce 2 juin la biodynamie ! J’y suis allé à l’instinct, tout bêtement, attiré par la photo d’une vache pie-rouge de l’Est, parfait sosie de notre première génisse achetée du côté de Waimes en 1980. Mon épouse et moi désirions absolument revoir notre « Belle », madeleine de Proust qui nous rappelait nos vingt ans et nos débuts héroïques en agriculture. Du pur bonheur quand nous l’avons retrouvée ! Une dame expliquait la biodynamie, pratiquée dans cette ferme depuis 40 ans ! En gros, le principe de la biodynamie repose sur le dogme selon lequel toute exploitation agricole doit être considérée comme un organisme vivant -ce qui est absolument vrai !-. Ses organes sont le sol, les animaux sauvages et domestiques qui le peuplent, la diversité des cultures, ainsi que les arbres, les cours d’eau et les paysages, sans oublier les êtres humains qui y vivent, qui en vivent. Cet organisme est global dans ses fonctions vitales, ses émotions, sa mémoire et sa conscience. Il éprouve des sensations, répond à des stimulations, souffre ou se réjouit, influencé par tout ce qui l’entoure, visible et invisible. Il évolue dans un environnement qui le façonne, caressé ou brûlé par les forces de l’univers, cosmiques et telluriques.

Un nom revient souvent quand on parle de biodynamie : Rudolph Steiner, qui donna plusieurs conférences déterminantes en 1924, pour jeter les bases de cette agriculture tout à fait particulière. Elle est davantage bio que l’agriculture bio, puisqu’elle ne fait pas appel à des intrants externes labellisés « bio », mais vit en vase clos et conçoit elle-même ses produits phytosanitaires et engrais naturels, en captant ces forces invisibles mais bien réelles, issues du cosmos. La démarche de biodynamie pourrait frapper par son ésotérisme, ses discours un peu « illuminés ». Elle sort des sentiers battus et rebattus de nos certitudes agronomiques, mais à vrai dire, les paysans d’autrefois se basaient eux-aussi sur l’observation des phases de la lune et de la position des étoiles.

L’approche biodynamique apporte en tout cas bien des réponses aux défis actuels, climatiques, sanitaires et sociétaux ! Elle est complexe, étrange vue du dehors, compliquée et laborieuse à mettre en œuvre, mais ô combien séduisante ! Elle méritait mille fois d’être découverte aux cours de ces Journées Fermes Ouvertes, lesquelles nous ont emmenés « un peu plus près des étoiles, au jardin de lumière et d’argent, pour oublier les rivages brûlants ; un peu plus près des étoiles, à l’abri des colères du vent »(Gold), à la ferme « Ponts du Ciel », à Houmont Sainte-Ode.

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