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Mort aux vaches!

Très humide puis soudainement très sec, le printemps frisquet de cette année ne refroidit en rien les ardeurs des « anti-boeufs », ceux qui crient « Mort aux vaches ! » quand il s’agit de désigner les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre, tandis qu’eux-mêmes roulent en bagnole et prennent l’avion sans faire le moindre effort de sobriété. Le rôle du baudet semble définitivement avoir été assigné aux agriculteurs, dans la vaste pantomime des animaux malades de la peste climatique. Haro ! Haro ! Ne serait-il pas temps d’allumer un contre-feu pour éteindre l’incendie qui nous consume ?

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L’expression « Mort aux vaches ! » est une injure lancée aux forces de l’ordre, un cri anarchiste, antimilitariste. Ce poétique slogan vient de France ; rien d’étonnant, car quand il s’agit de râler, de se révolter contre toute forme d’autorité, nos voisins de l’Hexagone sont toujours partants… Lorsqu’Henri IV assiégea Paris en 1590, ses étendards arboraient deux vaches : les Parisiens créèrent l’invective à cette occasion, paraît-il. Lors de la guerre Franco-Prussienne de 1870, les postes de garde allemands portaient le mot « Wache » (=sentinelle), que les Français prononcent « vache », d’où la charmante et très spirituelle expression « Mort aux vaches ! ». Dans cette affaire, nos braves ruminantes n’ont pas du tout le beau rôle : on leur en voulait déjà à l’époque, et leur patronyme entra dans la postérité pour désigner en argot les gendarmes et policiers. D’autres expressions familières avilissent et dénigrent nos gentilles Mouchette et Marguerite : « Ah, la vache ! », « Peau de vache », « Faire une vacherie », et tutti quanti…

Question « vacheries », les fermiers sont gâtés. Les accusations fusent de tous les côtés, lorsqu’il s’agit de trouver ceux qui polluent, émettent des GES, massacrent la biodiversité. Les émissions de méthane par nos ruminants sont particulièrement stigmatisées, encore et encore. Les écologistes répètent en boucle les mêmes arguments, façon mantra tibétain imprimé sur leurs moulins à prière, qu’ils font tourner à la moindre occasion. Tout le monde adhère, bien entendu ! C’est tellement confortable de se dire que les coupables, ce sont les autres, ce petit groupe de rien du tout, ces agriculteurs qui élèvent trop de vaches qui polluent à plaisir. Des chiffres sont cités en France : 11,8 % des émissions de GES leur sont imputables. Ah, les vaches ! Il faut les supprimer, mais pas les millions d’innocentes voitures, les milliers de gros camions, de bateaux, les centaines de monstrueux avions…

Cette solution simpliste rencontre beaucoup de succès auprès de la population. Elle déculpabilise le plus grand nombre et satisfait le bon peuple. À force d’être martelée, elle s’est bien intégrée dans l’imaginaire collectif, qui réfléchit sans se fatiguer, et de manière binaire : c’est tout blanc ou tout noir, bon ou mauvais, oui ou non, vie ou mort, « Mort aux vaches ! ». Pourtant, les problèmes écologiques ne s’accommodent pas de solutions simples, lapidaires, tranchantes. Ils sont situés à la croisée d’exigences environnementales, économiques, sanitaires et sociétales ! Nos accusateurs connaissent très mal le sujet, ou sont malintentionnés : ils désinforment et détournent les attentions sur une activité bien précise, afin de laisser les autres produire des GES à foison sans trop les embêter.

Vous avez certainement lu dans ces colonnes du Sillon Belge des articles de JMP et des lettres de lecteurs qui expliquent clairement les cycles du carbone dans nos prairies et nos cultures, et démontrent à quel point les arguments des « anti-boeufs » et des « mort aux vaches » sont fallacieux et détournés des vérités agronomiques. Hélas, ces mises au point et autres droits de réponse ne sont publiés nulle part ailleurs ! Les voix des agriculteurs sont noyées dans la cacophonie ambiante, et personne ne prend la peine de réfléchir de manière pondérée, à 360º, sur le vaste problème des émissions de GES. Ainsi, les écologistes crient bêtement « Mort aux vaches ! », mais ne chiffrent pas de manière très claire les coûts induits de l’élevage, et s’abstiennent de calculer le coût énorme qu’aurait sa disparition pour l’économie, mais aussi pour l’environnement !

Car tout est là : on nous déteste pour des tas de raisons, OK, mais si on n’était plus là, que deviendrait notre Europe sans ses agriculteurs, sans ses élevages de bovins, de moutons et autres ruminants ? Ce serait catastrophique pour l’économie, obligée de dépendre d’importations de denrées vitales, privée de tout un secteur d’activité très productif ; pour la société, orpheline de sa sécurité alimentaire en protéines animales essentielles, qui perdrait des dizaines de milliers d’emplois et verrait ses paysages ruraux profondément modifiés ; pour l’écologie, avec l’abandon ou la reconversion de millions d’hectares de prairies permanentes en terres de culture labourées. Ce serait suicidaire ! Et dans ce cas, qui seraient les plus « vaches » ? Les hurluberlus qui s’acharnent sur nos ruminants, nos braves bovidés, nos gentils moutons et chèvres espiègles !

La cabale anti-boeufs me fait songer au sketch de Fernand Raynaud : « Le douanier ». Il y campe le rôle d’un raciste qui vitupère contre une famille d’étrangers : « Ça là, ça, c’est des étrangers ; ils viennent bouffer le pain des Français ! ». Accablés d’insultes, les étrangers s’en vont, excédés. « … et depuis ce jour-là, au village et ben on mange plus de pain, dit ! L’étranger, il était boulanger. » Fatigués par tant de reproches, les fermiers s’en iront, de guerre lasse « … et à partir de ce jour-là, les Européens et ben ils boufferont bien cher des crasses brésiliennes ou russes, dit donc ! Les fermiers, ils fournissent à manger, on n’y avait pas songé. »

Il faudrait expliquer aux gens l’inanité de la désinformation, la dangerosité d’un narratif manipulé. Il faudrait les alerter de la gravité des risques encourus si les élevages de ruminants disparaissent, allumer un contre-feu pour qu’ils se rendent compte que chacun doit balayer devant sa porte pour diminuer les émissions de GES. Chacun à son échelle, du mieux qu’il peut ! Tant que des dirigeants politiques – quels blagueurs !- se rendront aux COP du GIEC en jet privé, pour y affirmer théâtralement que « l’humanité vit avec un revolver climatique appuyé sur la tempe », – tu parles, Charles !- comment voulez-vous que leur message soit crédible, que la population y adhère ? « Faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que je fais ». C’est du grand guignol, où on crie stupidement « Mort aux Vaches ! », sans mesurer la bêtise meurtrière de cette invective criminelle.

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