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Confession d’un écolo mal tourné

Il y a 50 ans (oups, un demi-siècle déjà), je découvrais l’agronome René Dumont (candidat à l’élection présidentielle en France, en 1974). Avec lui, naissait l’écologisme politique. Après l’illusion du Grand Soir promis aux partageux se dessinait le rêve d’un monde parfaitement en harmonie avec la nature… Pourquoi pas ? 

Temps de lecture : 6 min

L’écologie, c’est la science qui étudie les interactions entre les êtres vivants dans leur environnement. Super ! Voilà qui recoupe toutes les sciences et c’est clairement ce que font les agriculteurs au quotidien : comment préparer la terre, la nourrir, à quelle profondeur et quelle densité semer, quelle variété choisir et comment la protéger si elle est agressée.

Certes, à l’âge où l’on veut refaire le monde, j’étais conscient des dérives du moment : hormones en sus des aliments d’engraissement, surdosage en azote, désherbage aux colorants…

En ce temps-là, côté bio, la presse s’en foutait. Conséquemment, les politiques aussi. L’heure n’était pas encore aux subsides. Je m’en souviens parfaitement : au début, le fer de lance du bio en agriculture, c’était la firme commerciale Lemaire-Boucher. Il était question de compostage, d’outils de type Actisol et surtout d’algues marines à toutes les sauces. En fait, les algues (le maërl ou lithothamne), c’était en quelque sorte la barrière de corail des Glénans (Bretagne) qui disparaissait de la mer pour atterrir dans les composts et les champs, en nourrissant au passage la filière des intrants. Il était fait appel aux croyances plus qu’aux sciences, avec une certaine nostalgie pour le bon vieux temps. On en revenait à la bouillie bordelaise mais aussi aux fondamentaux effectivement négligés : rotation, engrais verts, taux d’humus, vie microbienne. Et déjà, les marges bénéficiaires correspondaient aux règles des marchés dits « de niche ».

Cinquante ans plus tard, le bio est tendance, les médias en raffolent, et l’ensemble de l’agriculture est de plus en plus raisonné, voire agroécologique. Le bonheur serait-il dans le pré pour autant ? Pas sûr.

Certains entretiennent le mythe d’une agriculture qui serait, chez nous, encore et toujours intensive mais, paradoxalement ne lèvent jamais le petit doigt pour interroger ce qui vient d’ailleurs. Glyphosate sur engrais vert, horreur ! Glyphosate sur soja OGM d’importation, miam, miam !

Cinquante ans plus tard, un défi autrement plus compliqué préoccupe la population : le réchauffement climatique. Cette prise de conscience n’existait pas au début de l’écologisme.

C’est un énorme changement de paradigme qui oblige à revisiter quelques dogmes initiaux.

Ainsi, il faut décarboner (réduire le CO2 dans l’atmosphère). Le nucléaire redevient fréquentable. À la décharge des militants du « Nucléaire, non merci », ils ne pouvaient pas deviner, à l‘époque de la guerre froide, quel financement occulte manipulait les ONG, poils à gratter du nucléaire occidental (voir L’affaire du Rainbow Warrior en 1979). Curieux retour de l’histoire, c’est l’invasion russe en Ukraine qui leur a fait comprendre que le gaz des centrales électriques était fossile et ne tombait pas du ciel.

Un autre dogme à revisiter est celui de l’azote, notamment ammoniacal (NH3). Exclu de l’agriculture biologique, il apparaît subitement comme une solution d’avenir pour le fret maritime, en remplacement du fuel lourd ultrapolluant en termes de bilan carbone.

Incroyable : en agriculture, toute unité d’azote minéral est comptabilisée négativement au niveau des émissions de CO2 bien que, en retour d’investissement énergétique, chaque unité permet de fixer dix fois plus de CO2 atmosphérique par la photosynthèse induite.

En transport maritime, le même ammoniac devient vertueux et fera baisser la cotation énergétique des produits qui auront fait le tour de la terre. C’est, dans le même sens, déjà le cas de l’AdBlue ajouté au diesel des voitures. Il s’agit d’urée pure et simple, comme dans les engrais, négative aux champs, vertueuse sur les routes.

Peut-on faire un vœu pieux ? Que ceux qui calculent, par convention, les « bilans carbone » cessent d’attribuer 20 % de responsabilité à l’agriculture tout en affectant 0 % aux voitures électriques. Au fait, où se situe le militaire… Secret défense.

Qu’en sera-t-il dans 50 ans ?

J’espère que nos enfants auront remis quelques pendules à l’heure et réparé les dérapages de notre génération, celle de la surconsommation et des mauvaises réponses aux vraies questions.

Remettons les choses en place : en sus du plancton des océans, sur les continents, on sait que l’agriculture et la forêt absorbent, par photosynthèse, 200 Gt de carbone chaque année, au niveau mondial (voir Steven Koonin). Dans le même temps, il y a autant d’émissions naturelles : activité biologique des sols, digestion des ruminants, rizières et marécages, et bien entendu la respiration des plantes, des animaux et des hommes. Le système est à l’équilibre. Ce qui perturbe, ce sont les 8 GT de C qui se rajoutent chaque année. La faute à qui ? À l’énergie fossile qui sert de moteur au développement économique, en gros le charbon, le pétrole et le gaz qui nous viennent du Carbonifère. En simplifiant, on a grillé en 50 ans ce qui s’est formé en 25 millions d’années.

D’aucuns préconisent la décroissance. OK, on commence par qui ?… d’autant que des milliards de gens aspirent à vivre « à l’occidentale » et ce ne sont pas les petits gestes bobos pour la planète qui vont compenser leurs attentes. Désolé mais les sermons n’ont d’effet que si l’argent les accompagne pour faire bouger les choses. Au XIXème  siècle, les missionnaires ont apporté la bonne parole et la civilisation en s’accompagnant du colonialisme.

C’est ce que nous vivons : l’écologisme veut sauver la planète et s’accompagne de la « Transition énergétique » pour y arriver. Les entreprises les plus énergivores l’ont bien compris. Leurs lobbies économiques se jouent des lobbies sociologiques selon leurs intérêts. Le cap est mis sur la décarbonation, c’est-à-dire la neutralisation des émissions par l’innovation. On décline le carbone à toutes les sauces : « Je carbone, tu carbures, il carbonara, nous carbonisons, vous carbonatez, ils décarbonent ».

Les États-Unis (en stand-by sous Trump), ont libéré 369 milliards de dollars pour attirer tous les chercheurs du monde à venir chez eux travailler le sujet. On devine la suite : avec l’innovation, ils vont faire du pognon, les chinois feront des copions et les Européens s’occuperont des réglementations.

Bref, j’entends bien qu’on puisse annoncer la fin du monde, que cela peut arriver mais comme on va mettre pas mal de fric en jeu, il me paraît vraisemblable qu’on trouvera différentes pistes pour réduire et neutraliser cet excédent de gaz à effet de serre, un peu comme les bactéries l’ont fait, en enfermant le CO2 dans les roches calcaires. Il faut juste aller beaucoup plus vite, ce qui correspond à notre époque.

Côté biodiversité, il n’y a pas photo : les espèces en voie d’extinction continueront à se rarifier. Les agriculteurs wallons par exemple : 30.000 en en 1990, 12.000 aujourd’hui, sans doute 2 à 3.000 dans 50 ans. Que les pessimistes se rassurent, dans un pays proche de l’Europe, l’Ukraine, il existe des fermes de plus de 100.000 ha. Avec 3 ou 4 fermes de ce type, on pourra cultiver toute la Wallonie. Où est le problème ?

Le problème, c’est qu’il serait dommage de voir l’écologie perdre son sens pour cause d’écologisme. Comme tout idéologisme, les risques de dérive, par dogmatisme ou par intérêt, pendent au nez. Le temps et surtout la proximité du pouvoir génèrent « naturellement » des erreurs et des profiteurs.

Ainsi, concernant l’agriculture, alors que, pour la première fois dans l’histoire, quantité, qualité et prix de revient sont au rendez-vous, pourquoi certains consommateurs n’ont même pas la reconnaissance du ventre et crachent si facilement dans la soupe ? Sans doute est-ce par méconnaissance, entretenue par ceux qui y trouvent de l’intérêt (médias, politiques, milieux économiques).

Faudra-t-il attendre que les campagnes aient perdu leur diversité dans la proximité pour le déplorer ?

Ou les agriculteurs doivent-ils ajouter le « faire savoir » au « savoir-faire » ?

JMP

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