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Le carnaval des animaux

Voici revenu juillet ! Une coupe, deux coupes, trois coupes : fenils et silos-couloirs sont bien remplis grâce aux averses venues arroser régulièrement nos prairies lors des orages, pas bien méchants jusqu’à présent. Les moissonneuses montent par vagues à l’assaut des champs d’escourgeon, et les touristes envahissent nos campagnes : scouts et guides, familles néerlandophones et bruxelloises, trailers et bikers, randonneurs à cheval… Faites gaffe aux barrières de vos pâtures ! Déjà, la Foire de Libramont approche à grands pas, et les fermiers se découvrent plein d’amis qui leur demandent « s’ils n’auraient pas une entrée gratuite en trop ? ».Ces précieux sésames sont devenus super chérots, m’expliquait ces jours-ci une jeune maman solo, en perpétuelle délicatesse avec son portefeuille et sa carte de banque… Elle voudrait y emmener son gamin « voir le carnaval des animaux », selon les termes du bambin.

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Bovins, moutons, chevaux… : les représentants de la gent domestique agricole ne manquent pas sur le champ de foire, brossés, lustrés, présentés sur leur 31 ! Ils fascinent les visiteurs, de toute évidence, quand on voit la foule qui se presse autour des rings des concours et dans la « cave » sous le LEC. La Ferme Enchantée ne désemplit pas non plus, avec ses petites bestioles : lapins, poules, cobayes, chèvres naines, etc. Les enfants adorent ! Les grands aussi, professionnels ou non, campés auprès des vaches et des chevaux, surtout s’il y traîne des boissons euphorisantes de couleur ambrée… Tout le monde est content d’être là, mais les animaux eux-mêmes, qu’en pensent-ils ? Personne ne leur demande jamais leur avis !

Je serais à leur place, cela ne me plairait pas trop d’être exposé aux regards, obligé de rester sur place et de mâchouiller tristement quelques brins de foin en attendant la fin de la Foire et le retour en prairie. Faut-il qu’ils soient bien éduqués, pour suivre gentiment leur maître sans se rebeller, sans s’effrayer de toutes ces odeurs, ces couleurs et ces bruits étrangers susceptibles de les stresser ! Les plus calmes seraient-ils sélectionnés, les plus fougueux écartés ? Présenter des animaux de concours, c’est tout un métier, j’imagine ! Les nôtres, qui voient très peu de personnes extérieures à la ferme, deviendraient folles d’anxiété et incontrôlables dans la minute qui suivrait leur débarquement. Pauvres bêtes ! Impossible, par exemple, de traire en présence de visiteurs intempestifs, criards ou trop parfumés. C’est tout de suite la foire à l’étable, les queues levées et l’arrosage, les coups de pieds en arrière et le lait remonté bien haut dans les pis. Les moutons se mettent à tourner tous ensemble en rond, à toute vitesse, avec les jeunes à l’intérieur du cercle, comme ils le font pour échapper aux chiens et autres prédateurs.

C’est le « carnaval des animaux », pour reprendre les mots du petit garçon, lequel a sans doute entendu les mélodies enjouées de Camille Saint-Saëns et Serge Prokofiev à son école maternelle, entre Pierre et le Loup et d’autres contes musicaux. Mais à la Foire de Libramont, les animaux restent tous bien sages, sauf quelques-uns qui en ont parfois ras les cornes ou le museau, vers la fin. Certains parcourent de longues distances avant de rejoindre la petite localité ardennaise : cent, deux cents, voire trois cents kilomètres ! Il leur faut une sacrée vie intérieure pour rester ainsi sans bouger pendant des heures et des jours, et voir défiler tous ces êtres bipèdes qui les toisent et les imaginent peut-être en steaks, brochettes ou gigots. S’ils connaissaient leur fin, ils ne resteraient pas une minute, attachés à leurs chaînes, maintenus par les entraves invisibles de leur domestication.

Si leurs ancêtres revenaient, ils seraient bien surpris de voir leurs descendants devenus aussi gras, patauds, fragiles, dépendants des hommes ! Les premiers animaux domestiqués furent les chiens, paraît-il, il y a cent mille ans ! Bien plus tard, voici 12.000 ans, chèvres et moutons furent élevés en troupeaux, puis les bovins et les porcs deux mille ans plus tard, dans le Croissant Fertile au Moyen-Orient. En termes de biomasse, les humains représentent 60 millions de tonnes d’équivalent-carbone, le bétail 100 millions de tonnes, les mammifères sauvages seulement 7 millions de tonnes (!). Humains et animaux domestiques pèsent pour 97 % du poids de tous les mammifères ; la volaille domestiquée représente 71 % de la biomasse de tous les oiseaux !

Nos veaux, vaches, cochons, couvées se taillent la part d’un gros lion gourmand, et plus encore ; une part fustigée par d’aucuns, qui les trouvent trop voraces, trop polluants ! Mais ceux de Libramont, aux yeux du garçonnet, revêtiront une apparence sympathique, impressionnante, innocente et exempte d’une quelconque couleur financière ou environnementale. Qu’il serait doux et apaisant de retrouver notre regard d’enfant, pur et naïf, le temps d’une journée à la Foire, au grand carnaval des animaux !

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