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Le fameux rapport Carbone/Azote

Comme c’est curieux : pendant 50 ans, on n’a juré que par l’azote, le grand vecteur de productivité, et le carbone laissait fort indifférent. Depuis peu, c’est le contraire !

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Serions-nous tous idiots ou tous manipulés ? Il faut peut-être revoir les choses dans leur contexte… Il y a cent ans, les terres étaient plus riches en carbone par leur historique (défrichement, pâturage) et l’absence de charrues dignes de ce nom ne permettait pas de travailler le sol en profondeur. En labourant (et en chaulant) l’aération a stimulé l’activité biologique aérobie, minéralisé l’humus et amélioré la fertilité naturelle, notamment grâce à l’azote organique contenu dans l’humus.

Au niveau des besoins des cultures, la photosynthèse a toujours fourni le carbone nécessaire à l’élaboration de la matière sèche, donc au rendement. Sauf pour les légumineuses, l’azote est le facteur limitant. Sans l’azote minéral (qu’on appelait « de synthèse » au siècle passé, quand la chimie était bien vue), on peut diviser les rendements par deux. Il est abondant dans l’atmosphère mais il faut de l’énergie pour le faire passer de l’état gazeux à l’état solide.

Or, le nouveau venu sur la scène intellectuelle, c’est le réchauffement climatique. Il est lié aux gaz à effet de serre (GES), en fait à la combustion d’énergies fossiles pour alimenter le développement économique. Chacun cherche à tirer son épingle du jeu et la « lobbycratie » tourne à plein régime.

Ceux qui polluent le plus (c’est-à-dire émettent le plus de GES) sont les premiers concernés et les plus actifs pour contourner le problème, vendre leurs efforts de réduction, éviter des pénalités et, si possible, transformer l’obstacle en bénéfices potentiels. Les constructeurs automobiles tirent admirablement bien leur épingle du jeu.

Ceux qui n’émettent pas ou peu de GES (les pays pauvres) peuvent difficilement se targuer d’aller vers une diminution, alors qu’ils sont les plus exposés.

En agriculture, c’est encore différent. Celle-ci fixe énormément de CO2 puisque la photosynthèse n’est rien d’autre que cela : immobiliser du carbone atmosphérique. La question qui suit : pour combien de temps ? Disons 1 ou 2 ans s’il s’agit de céréales ou de sucre, davantage pour le carbone incorporé au sol (paille, fumier), plus encore pour les haies en agroforesterie.

Si l’agriculture et la forêt immobilisent le CO2 par photosynthèse, ils en émettent aussi par leurs multiples activités biologiques. On évoque le méthane lié à la rumination des vaches mais les sols, que l’on prétendait morts, sont en fait en pleine forme et émettent aussi, naturellement, leur quota de CO2. Le système est à l’équilibre : 200 Gt de C /an dans les deux sens au niveau mondial (réf. Steven E. Koonin).

Globalement, l’agriculture n’est donc pas le problème, sauf si on ne s’intéresse qu’à la partie émettrice donc négative du bilan. Dans divers articles parus dans le Sillon (16 et 30/11), Thierri Wallot (UCLouvain) aborde la question et ce qu’il écrit n’est pas faux d’un point de vue environnemental. On peut nuancer d’un point de vue agronomique et plus encore économique. C’est un nouveau paradoxe : l’économie se sert de l’environnement pour avancer ses pions mais l’environnement se plante en n’intégrant pas l’économie.

Ainsi, dans le cas de figure où l’on suggère plus de prairies et moins de bovins, en l’occurrence diminuer la charge de bétail sans fermer les frontières, c’est condamner à mort notre agriculture au bénéfice de l’Argentine ou de la Nouvelle-Zélande. Et les morts ne ressuscitent jamais, sauf intervention divine.

Par contre, relativiser le potentiel de séquestration du carbone dans les sols est pertinent : il faut soigner le carbone pour la fertilité des sols mais ne pas escompter utiliser les sols pour régler la question du climat, ou si peu. L’objectif d’augmenter de « 4 pour 1000 » la teneur en carbone est à nuancer selon le taux d’argile et la profondeur, mais néanmoins raisonnable (réf. Boivin). En sol limoneux, cela représente 120 kg/ha de carbone stable en plus par an. Comme un belge moyen émet l’équivalent de 8 tonnes de CO2/an (réf. Jancovici), il faut 66 ha pour neutraliser les émissions d’une personne. Les 375.000 ha sous cultures compenseraient au mieux les émissions de 5 à 6.000 Wallons. En fait, ce serait moins car tous les cultivateurs ne feront pas « tout bien » c’est-à-dire « plus d’engrais verts, moins de labour ». De plus les accroissements de carbone se tassent en augmentant.

Quant à l’azote minéral, il faut évidemment ajuster la dose le plus précisément possible. L’article en référence parle d’une diminution de 22 % en 30 ans. On sait que dans le même temps, les rendements ont progressé de l’ordre de 1 % par an. Chapeau aux agriculteurs, d’autant que la météo offre toujours une grosse part d’incertitude dans ce type d’ajustement.

Toute matière organique est faite de carbone et d’azote. Les deux atomes sont complémentaires. Les opposer est idiot. La clé du bon sens, c’est de viser le bon rapport C/N, à tous les niveaux du cycle du vivant.

Et le vivant, c’est complexe. L’homme, c’est 18 % de C et 3 % de N, soit un rapport C/N de 6. Les bactéries du sol ont un C/N de 8. Le fumier qu’on leur apporte : 25. S’il s’agit de paille : 50. Du bois : 300. Les analyses de terre nous donnent des indications sur le niveau de carbone organique total (COT), d’azote organique et le rapport C/N des sols. Celui-ci tourne autour de 10. Vers le bas, le sol perd du carbone. Vers le haut, le sol stocke du carbone mais c’est souvent le signe d’une activité biologique ralentie.

Si nécessaire, selon les exigences culturales, il est facile d’ajuster l’azote minéral à court terme. C’est un sprinter. Il travaille dans l’année. Le carbone, par contre, est un marathonien. Pour augmenter de 50 % la teneur d’un sol limoneux qui passerait de 1,2 % à 1,8 %, il faudrait 100 ans. C’est pourtant à peu près la référence pour se prémunir de l’érosion dans les terres en pente (MAEC sols BCA 5).

Il faut le savoir et certes, se préoccuper du carbone, mais en resituant ce paramètre dans un raisonnement plus large, un « paradigme » comme on dit aujourd’hui (quand on veut briller en société).

Il faut vraiment plaider pour que les scientifiques se mettent du côté des agriculteurs et expliquent aux environnementalistes l’impact de mesures contre-productives si celles-ci ne sont pas suffisamment pragmatiques.

Curieusement, c’est aussi le rapport C/N qui guide le monde politique : l’objectif, c’est le N, comme Notoriété, et le C comme Conneries pour y arriver. Puissent-ils au moins ne pas les commettre au nom de l’Environnement.

JMP

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