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L’agro-écologie, un insoutenable dilemme

Voici un terme qui est bien dans l’air du temps. Mais que signifie l’agro-écologie, la transition agricole et surtout, comment mettre en pratique ces beaux concepts ?

Temps de lecture : 5 min

Pour nous documenter, avec l’un ou l’autre voisin, nous avons répondu à l’invitation de plusieurs groupements écologistes proposant une conférence suivie de débat.

Différents orateurs, dont des agriculteurs, se sont succédés, parlant d’écologie, de biodiversité avec les mêmes messages : la diminution des intrants et, à l’exception d’un des orateurs, l’indispensable suppression de la charrue, et c’est surtout cela qui nous a perturbés. Nous mesurions l’abîme qui existait entre les bons concepts et les bonnes pratiques.

En ces conditions particulièrement pluvieuses de fin d’année, des dizaines de milliers d’hectares de betteraves, chicorées, pommes de terre ou carottes ont dû être arrachés plutôt mal que bien. Ce ne fut pas sans problème pour la structure des sols. Qu’aurions-nous fait sans la charrue qui, après retournement du sol, permettait de le travailler et d’offrir un lit de germination satisfaisant aux semences de froment ? Il est vrai qu’on peut parfois se passer de cet outil séculaire et c’est surtout le cas de ceux qui ne font que des céréales, du colza, de la luzerne… qui se récoltent à la bonne saison.

Dans l’assemblée, il y avait quelques cultivateurs partisans de l’agriculture raisonnée. Les organisateurs leur ont aimablement tendu le micro pour qu’ils puissent aussi défendre leur point de vue. L’un d’eux a fait remarquer que lui aussi était sensible à son et à notre environnement : il avait planté des haies, semé des bandes enherbées, des surfaces d’intérêt écologique, il plantait des engrais verts qui sont des pièges à nitrate, etc. Un autre a demandé à l’orateur principal si sa ferme ultra-bio était rentable sans les primes. La réponse me parut sincère et nuancée car, sans intrants, sa récolte de haricots pouvait être de 11 ou 4 tonnes/ha selon la pression des maladies… de plus, la maîtrise des chardons posait problème…

À mon tour, prendre la parole était un risque car, avançant en âge, « la mémoire diminue et étonnamment, j’en suis heureux » puisque tout ce que j’avais appris pour obtenir mon diplôme d’agronome, je devais maintenant l’oublier : par exemple on nous a enseigné les avantages du labour profond qui, « en agrandissant le garde-manger », permettait une plus grande zone exploitable par les racines, une meilleure absorption de l’eau etc. C’était aussi le seul moyen de détruire les chiendents sans herbicide. On nous avait appris aussi qu’il fallait rendre à la terre ce qu’on lui avait prélevé alors qu’aujourd’hui, il faudrait diminuer les engrais… Comme les gens de mon âge, « j’ai gardé la mémoire du passé »  : à cette époque, tous les gens ne mangeaient pas à leur faim. Voici une anecdote qui peut être authentifiée par Monsieur Thibaut de Warisoulx : Ce dernier ayant perdu un veau, s’était empressé de le déplacer à l’arrière de sa ferme. Le lendemain, le veau avait disparu et ce n’était pas les chiens qui étaient venus le chercher pour le manger !

Il y avait alors 3 milliards d’habitants sur la terre. Mon grand-père, ne disposant pas de produits de protection des plantes, ne récoltait à l’hectare que 30 sacs de froment et 30 tonnes de betteraves , alors que les abeilles butinaient et les lombrics travaillaient un maximum.

Les années passant, on a recensé 6 milliards de personnes et mon père a produit 60 sacs de froment et 60 tonnes de betteraves. Aujourd’hui la population avoisine les 9 milliards et, poursuivant la dynamique de mes prédécesseurs, je récolte 90 sacs et 90 tonnes ou plus.

N’en déplaise à certains, si on généralise les bons concepts écologiques nous amenant à ne plus produire que 75 % des chiffres précités (quand tout va bien), comment pourra-t-on assurer l’alimentation des futurs 10 ou 12 milliards d’humains ?

Pas de soucis, me direz-vous, nous importerons de la nourriture, oubliant qu’elle est loin de correspondre à nos normes et qu’elle provient peut-être de l’ex-forêt amazonienne, et la boucle locale sera bouclée , reboiser ici pour déboiser là-bas tout en produisant plus de CO2   !

Nous voici donc au cœur de ce dilemme cornélien. Comment l’aborder car les agriculteurs bios méritent notre respect.

Ces gens courageux, tout en acceptant de récolter moins, s’imposent un travail plus pointu, plus pénible, plus risqué qui doit être réalisé dans des fenêtres plus courtes encore. Ils doivent disposer d’une indispensable et nombreuse main-d’œuvre qu’on ne trouve plus chez nous. À une certaine échelle, leurs investissements en matériel électronique, espace de stockage, frigos… sont importants pour gérer au mieux. Ils espèrent un meilleur prix pour leurs bons produits, ce qui est la moindre des choses, mais ce n’est pas gagné d’avance vu les difficiles fins de mois des consommateurs.

Alors que faire, Madame La Ministre de l’Environnement pour que tant les agriculteurs que les consommateurs y trouvent leur compte ? Il faudra prendre conscience que cette filière convient aux gens passionnés et performants. Il ne faut pas être devin pour savoir qu’attirer par des primes ceux qui n’ont pas cela inscrit dans leur ADN serait un flop.

Si les politiciens veulent soutenir les agriculteurs bios et éviter que leurs prix de vente ne correspondent pas à leur juste valeur, il n’est pas souhaitable qu’un plus grand nombre aille encombrer cette belle niche. Quand Dame Nature fait de l’excès de zèle, on a vu des surplus de produits bios se diriger vers la méthanisation, c’est insupportable. Veuillez plutôt, Chère Ministre de l’environnement, mieux contrôler les produits importés cachetés bios pour espérer qu’ils soient aussi bons que ceux proposés par nos différents types d’agricultures car cette concurrence déloyale nous impacte déjà.

Certains d’entre vous ont leur part de responsabilité dans l’agribashing ambiant qui décourage les repreneurs de fermes. Mais attention, vos électeurs sont aussi des consommateurs qui peuvent comprendre tout ce qui vient d’être écrit. Ne les prenez pas pour des pigeons, vous le regretteriez. Voici un vœu pour 2024 : pourriez-vous, chers décideurs, avoir autant d’empathie pour les agriculteurs qui vous nourrissent que pour les oiseaux qui croassent. Ceux-ci ravagent pour l’instant nos semis qui ont déjà été si difficiles à mettre en place. Évitez donc de collaborer avec ces oiseaux de malheur qui attaquent notre blé, votre pain. Ce n’est pas sympa d’ainsi contribuer à l’augmentation du prix du panier de la ménagère.

André Jadin,

Meux

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