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Et si l’on aidait réellement l’agriculture sociale à Bruxelles et en Wallonie?

Ronronnement sourd et diffus des voitures happées par le ring de la capitale. Sur le champ frigorifié du Chaudron s’ébrouent des maraîchers en herbe. Chahutés par la vie dont ils ont parfois été exclus, des hommes et des femmes essaient de retrouver la lumière dans le noir de l’encre. Ils aspirent l’air qui baigne la terre et manient les outils dans ce silence qui creuse le ciel.

Temps de lecture : 7 min

Déconstruire les dynamiques d’exclusion et de stigmatisation tout en soutenant la résilience alimentaire, écologique et sociale, favoriser l’accès à une alimentation locale, paysanne et durable.

Telle est l’ambitieuse mission quotidienne de l’Asbl « Nos Oignons », active dans le Brabant wallon et à Bruxelles dans le domaine de l’agriculture sociale.

« La santé des sols et des humains, c’est nos oignons ! »

L’association « Nos Oignons », créée en 2012, offre une réponse aux urgences de notre temps, de notre société.

Si le nom de l’Asbl questionne de prime abord, on se rend rapidement compte qu’il répond à une prise de conscience relative aux notions d’état des sols, de la manière dont on produit, du rôle et du sort des agriculteurs, de la santé mentale, de la place de tout un chacun dans la société.

Les participants viennent avec leur histoire, qu’importe s’ils ont envie de la partager ou non. Au-delà des personnes que la vie a malmené, l’Asbl accueille aussi celles et ceux qui viennent via le bouche à oreille ou encore par curiosité, parce qu’ils souhaitent sortir de leur isolement.
Les participants viennent avec leur histoire, qu’importe s’ils ont envie de la partager ou non. Au-delà des personnes que la vie a malmené, l’Asbl accueille aussi celles et ceux qui viennent via le bouche à oreille ou encore par curiosité, parce qu’ils souhaitent sortir de leur isolement. - M-F V.

Autant de dimensions qui nous concernent tous, ce sont donc « nos oignons ». L’oignon, n’est-il pas le seul légume qui se conserve toute l’année ?

L’association puise ses racines dans l’univers de la psychiatrie et de ses centres de jour. « Nous avons souhaité faire sortir les gens des murs de l’hôpital, les inviter à renouer avec une société d’échanges » nous éclaire Aurélie Claeys, chargée de mission.

« Nos Oignons » s’adresse en priorité aux personnes que la vie a amenées à fréquenter des services de santé mentale, d’addiction et d’aide sociale, mais aussi à tous les acteurs du monde agricole qui souhaitent accueillir des volontaires et s’engager dans une démarche de solidarité réciproque.

Et ce, toujours avec bienveillance, un vocable qui revient de façon récurrente dans le discours des encadrants et des volontaires.

Une logique de rétablissement mental et social

« Les participants viennent avec leur histoire, qu’importe s’ils ont envie de la partager ou non » précise Mme Claeys. Au-delà des personnes que la vie a malmenées, l’Asbl accueille aussi celles et ceux qui viennent via le bouche-à-oreille ou encore par curiosité, parce qu’ils souhaitent sortir de leur isolement.

Bref, on y croise une foultitude de profils et de parcours de vie différents.

L’Asbl s’inscrit dans une logique de rétablissement, que ce soit après une hospitalisation, un séjour en prison, une cure de désintoxication, un exil, un épuisement ou une période d’errance, une expérience négative ou traumatisante dans le milieu du travail.

Des ateliers de savoir-faire paysan

L’objectif des ateliers collectifs est de favoriser et de créer du lien, de redonner du sens au quotidien tant pour les volontaires que pour les agriculteurs qui peuvent valoriser leur savoir-faire, leur cadre de travail, faire découvrir la richesse de leur métier. C’est aussi un véritable coup de main dans leurs tâches. On y sème, plante, récolte prend soin des cultures, on cuisine, on goûte et on partage. L’activité signifie aussi tout simplement se poser, boire un café et échanger avec les encadrants ou d’autres volontaires.

Au Champ du Chaudron, les mercredis débutent immuablement par le même rituel : les participants arrivent vers 10 heures pour une petite séance d’échauffement du corps et un tour de paroles avant la rencontre avec Swen, le maraîcher, pour définir les travaux à réaliser sur le potager où l’on prépare déjà la terre pour le printemps.

En 2023, les maraîchers du Champ du Chaudron ont fourni 60 paniers par semaine à leurs abonnés et projettent de monter jusqu’à 100 pour rencontrer la demande émanant d’épiceries et de restaurants locaux.

Du chou kale (ou chou fermier), de l’ail, des radis noirs, des carottes, des pommes de terre, des oignons, des bettes, des panais, des poireaux, des verdures d’hiver et d’été en serre (tomates, poivrons, aubergines, concombres…).

Les maraîchers ont également

implanté une forêt comestible où l’on retrouve notamment des framboisiers, pommiers, poiriers dont les fruits complètent, en saison, les paniers.

À la fin de la journée, les participants répartissent les récoltes et repartent avec des légumes du jour vers 17 heures.

Depuis 2012, environ 550 personnes ont pu bénéficier de l’offre de « Nos Oignons ».

 

De la rue au champ

Bryan est l’une d’elles. C’est la deuxième fois qu’il vient s’ébrouer lors d’un atelier, lui dont le parcours de vie est aussi bosselé que le champ gelé sur lequel rebondit la roue de sa brouette.

Il a passé deux ans dans la rue où il a fait « tout et n’importe quoi » avant de trouver refuge au centre d’accueil forestois @Home. C’est ainsi qu’il a découvert « Nos Oignons » et le Champ du Chaudron sur lequel il entend bien revenir à chaque atelier organisé le mercredi.

Le jeune homme de 20 ans, qui s’est piqué au jeu de ce travail en plain air parfois exigeant, s’imagine reprendre le fil de sa vie et trouver un emploi « de bureau ».

Bryan (de dos) a décidé de reprendre sa vie en mains après deux années d’errance dans la rue. L’Asbl «Nos Oignons» lui sert de tremplin en vue d’une réinsertion professionnelle.
Bryan (de dos) a décidé de reprendre sa vie en mains après deux années d’errance dans la rue. L’Asbl «Nos Oignons» lui sert de tremplin en vue d’une réinsertion professionnelle. - M-F V.

Cécilia (prénom d’emprunt) est brabançonne. C’est grâce à son fils qui participe aux activités organisées par le Jardin des Saules à Ittre qu’elle découvre, durant le confinement, les ateliers de l’association dont elle apprend le projet de santé mentale.

 

Des activités de plein air valorisantes

Alors en épuisement, cette passionnée de permaculture et d’agroécologie est immédiatement séduite par ce projet d’agriculture sociale qui la redynamise.

« C’est valorisant de planter puis de récolter les fruits d’un travail collectif » s’enthousiasme-t-elle en soulignant la notion de transfert de connaissances.

Elle loue la gouvernance partagée de l’association et « les projets qui se greffent autour des personnes qui y participent ».

« Ici, on fait bouger toutes les parties de son corps, on conduit la brouette, on va bêcher, semer, se courber, se relever, nettoyer, ce sont des activités qui libèrent de la dopamine » insiste Cécilia qui côtoie des participants au destin plus chaotique que le sien.

Elle s’en tient à une posture claire : ne pas poser de questions si la personne ne vient pas vers elle, pour qui « tout le monde est cabossé par la vie à des degrés divers ».

Au fil des ateliers, des échanges, c’est une sorte de paix du cœur qui s’insinue, loin des agressions du monde extérieur.

Quatre partenaires agricoles à Bruxelles et en Brabant wallon

L’Asbl s’appuie sur plusieurs partenaires agricoles. Outre le Champ du Chaudron, elle déploie ses activités sur le Courtileke, à Haren, un terrain cultivé par quatre maraîchers qui s’y relaient en tant qu’indépendants complémentaires.

Cette structure de maraîchage, comme beaucoup d’autres, produit des légumes pour les proposer à la vente, la plupart du temps sous forme de paniers à destination d’un réseau d’abonnés.

Pour ces deux partenaires bruxellois, l’objectif est d’accroître la résilience du système alimentaire des villes en s’intégrant dans un maillage environnemental et social.

Le Jardin des Saules, à Ittre, constitue le troisième partenariat, noué dès 2016. On y cultive des légumes bio, on y trouve un magasin à la ferme et une épicerie de produits locaux.

Enfin, la Ferme de la Distillerie, à Bousval, est une entreprise familiale spécialisée dans les cultures maraîchères, céréalières et de pommes de terre, qui travaille, elle aussi, en bio. Elle possède un magasin à la ferme et un atelier de boulangerie attenant.

Urgence financière pour l’agriculture sociale !

L’agriculture sociale est une réalité dont l’intérêt est depuis longtemps avéré. Et pourtant, la situation financière de l’Asbl est devenue intenable.

Elle est à la recherche de financements pour assurer sa survie « car ceux qui existent ne couvrent pas nos frais réels » déplore Aurélie Claeys en précisant que l’association est financée « par des subsides à très court terme depuis douze ans, cela signifie que nous devons les compléter par du mécénat et des appels à projet ».

« Aucun subside n’a été indexé depuis 2020 » a encore regretté la chargée de mission.

Le constat est d’autant plus amer qu’en Flandre, le réseau « Steunpunt Groene Zorg » regroupe 1.000 structures agricoles. Il est financé par la région et les provinces tout en bénéficiant du soutien du Boerenbond.

Chez nos voisins néerlandais, plus de 1.300 fermes accueillent annuellement plus de 30.000 personnes qui nécessitent des soins en matière de santé mentale.

L’offre qui leur est proposée est intégrée dans le dispositif de la sécurité sociale. Les Britanniques ne sont pas en reste, eux qui peuvent compter sur 400 fermes qui apportent ce type d’accueil.

L’avenir de l’association menacé

À Bruxelles et en Wallonie, il n’en est malheureusement pas de même. L’agriculture sociale peine à être structurellement financée car elle est à cheval sur plusieurs mondes comme la santé mentale, l’agriculture, l’insertion sociale, le développement durable ou la promotion de la santé. Des secteurs qui dépendent d’institutions publiques ou de régions différentes.

Concrètement, il manque, aujourd’hui, 95.000 € à l’Asbl « Nos Oignons » pour maintenir ses activités jusqu’en décembre 2024. Et ne pas laisser des centaines de volontaires sur le bord des champs…

Marie-France Vienne

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