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L’agroécologie, il n’y a pas d’alternative

Nous souhaitons répondre à l’article « L’agro-écologie, un insoutenable dilemme » signé publié dans la rubrique La voix de la Terre le 12 janvier 2024.

Temps de lecture : 7 min

Je ne doute pas que l’intention de l’auteur de l’article était louable et qu’il a essayé de défendre les agriculteurs contre l’agribashing et contre des mesures qui compliqueraient leurs vies et diminueraient leurs revenus. C’est aussi notre but, dans l’association « Terres Vivantes », d’essayer d’enrayer le déclin de la population agricole et d’améliorer le bien-être des agriculteurs. On travaille avec tous les types d’agriculteurs et on respecte tous les agriculteurs quels que soient leurs conceptions et leurs systèmes de production. Mais nous sommes convaincus que l’agriculture conventionnelle est au bout de sa logique. Après des succès indéniables dans les années 1960-1980, la valeur ajoutée par hectare de ce type d’agriculture n’a cessé de diminuer. Son approche réductionniste qui essaye de résoudre les problèmes un à un, sans s’occuper des interactions entre les éléments de l’agroécosystème, a pour conséquence de générer toujours plus de problèmes. Cela est résumé par l’adage : « En approche réductionniste, les solutions d’aujourd’hui sont les problèmes de demain ». C’est bien ce qu’on a observé en agriculture conventionnelle et dans l’entièreté de la chaîne agro-alimentaire industrielle. Ce système s’est à présent retourné contre les intérêts des agriculteurs et des citoyens.

Nous avons pu montrer, dans un article scientifique signé par une trentaine de chercheurs européens, que l’agroécologie, même partiellement appliquée, est plus rentable que l’agriculture conventionnelle. D’autres publications ont révélé qu’elle génère plus de revenu et plus d’emploi par unité de surface. De nombreux témoignages d’agriculteurs mettent aussi en avant qu’ils ont retrouvé du sens dans leur travail et de la fierté d’être agriculteurs après qu’ils aient adopté les principes de l’agroécologie. Ces éléments, meilleure rentabilité et bien-être des agriculteurs, sont très importants pour nous, chez Terres Vivantes.

Si les rayons des grands magasins sont encore pleins de nourriture, c’est grâce à de plus en plus d’importations depuis d’autres continents (soja, fruits et légumes notamment). La surface nécessaire pour produire ces aliments représente déjà plusieurs fois la surface agricole de l’Allemagne par exemple. C’est un échec et c’est dangereux pour l’avenir de l’Europe, dans un monde de tensions géopolitiques croissantes, à l’échelle planétaire. Une des rares ressources naturelles que nous ayons encore en Europe, c’est la terre, et l’agriculture conventionnelle a contribué à sa dégradation. Il faut réagir. Il faut régénérer la fertilité et la vie du sol tant que nous disposons d’énergie fossile relativement bon marché. Il faut améliorer notre autonomie alimentaire, notamment en fruits et légumes et il faut cesser de nourrir les animaux d’élevage, en particulier les porcs et les volailles, avec du soja importé. Poux et Aubert ont montré que c’est possible, l’agroécologie peut nourrir l’Europe.

Contrairement à ce qu’écrit l’auteur de l’article, l’agroécologie n’est pas seulement un bric à brac de mesures comme la suppression du labour, la diminution de l’usage des engrais et des pesticides et l’adoption de l’« ultra bio ». L’agroécologie, que j’écris en un seul mot, n’est pas la juxtaposition de l’agronomie et de l’écologie comme le suggère l’orthographe « agro-écologie ». Ce n’est pas l’ajout d’un peu d’écologie en agriculture, une bande herbeuse à gauche, une haie à droite et, au bout du compte, beaucoup de travail en plus et de revenu en moins, comme le suggère l’auteur de l’article.

L’agroécologie n’est pas une idéologie. On peut la définir très simplement en une phrase : « L’agroécologie consiste à imiter la nature ». Concrètement, cela veut dire qu’on donne la priorité à la biologie par rapport à la chimie et on remet le carbone, constituant essentiel des êtres vivants, au centre des processus. On fait travailler la biodiversité pour remplacer les intrants commerciaux de synthèse, régénérer la fertilité des sols, protéger les cultures vis-à-vis des pathogènes et des ravageurs et fixer de l’azote de manière symbiotique notamment. Tout cela est gratuit, on peut donc diminuer les achats d’intrants de synthèse. Il est vrai que cela nécessite une remise en cause des préceptes de l’« agronomie de papa ». Mais cette évolution est nécessaire parce que les connaissances scientifiques ont beaucoup évolué ces dernières années, notamment à propos des microbiotes racinaire et intestinal dont le rôle et le fonctionnement sont aujourd’hui beaucoup mieux compris. Les techniques ont également évolué. Il existe à présent de très bons outils adaptés à l’agroécologie.

Cette évolution est aussi nécessaire parce que l’Europe a accumulé un formidable retard en matière d’agriculture de conservation des sols (<2 Mio d’ha) par rapport à l’Amérique du Nord (64 Mio d’ha), au Brésil et à l’Argentine (63 Mio d’ha) et à l’Australie (22 Mio d’ha) par exemple. Dans ces pays, labourer est très souvent considéré comme « ringard », trop exigeant en main d’oeuvre, inutile et même nocif.

Nous reconnaissons deux voies principales dans la transition agroécologique. Dans la première voie, les travaux du sol sont simplifiés et réduits en intensité, les sols sont couverts en permanence par des plantes et les rotations des cultures sont diversifiées, c’est l’agriculture de conservation des sols ou le système TCS (techniques culturales simplifiées) qui mène à l’arrêt du labour et à l’adoption du semis direct. Les engrais et les pesticides de synthèse y sont toujours utilisés, mais ils deviennent de moins en moins nécessaires au fil du temps. En particulier, l’utilisation d’insecticides et de fongicides peut être assez vite réduite, voire supprimée totalement.

La deuxième voie est celle de l’agriculture biologique dans laquelle les intrants commerciaux de synthèse sont supprimés du jour au lendemain. Le travail du sol peut y rester important, et même plus important qu’en agriculture conventionnelle. L’idéal serait de combiner les deux voies, une solution vers laquelle elles peuvent tendre naturellement, c’est l’Agriculture Biologique de Conservation (ABC). Elle peut être résumée par la formule : « Ni labour, ni pesticide ».

Il est aussi important de préciser que la transition agroécologique peut prendre des formes différentes dans chaque ferme et que la vitesse de transition dépend de la seule volonté de l’agriculteur, de ses connaissances et de son goût du risque par exemple.

Les systèmes agroécologiques nécessitent, il est vrai, de nouvelles connaissances et une capacité d’observation et de raisonnement de la part des agriculteurs. Il ne faut pas croire que ceux-ci ne soient pas aptes à acquérir ces aptitudes. Au contraire, depuis 60 ans, ils ont prouvé qu’ils sont capables d’absorber de nombreuses innovations et de s’adapter à un contexte changeant.

L’agroécologie embrasse l’entièreté de la chaîne agro-alimentaire. À ce titre, elle a un projet de relocalisation de la production alimentaire. L’agriculture wallonne produit surtout pour l’industrie, elle produit peu d’aliments directement utilisables par les « mangeurs ». Elle est particulièrement déficitaire en produits laitiers transformés, en céréales panifiables, en fruits et en légumes. Nous devons viser plus d’autonomie et développer un projet alimentaire régional basé notamment sur des ceintures alimentaires autour des villes, des cantines alimentées en produits agroécologiques, des ateliers de transformation artisanale des produits agricoles, faciliter l’accès à la terre pour des jeunes issus ou non du monde agricole, entamer un vaste programme de formation et d’accompagnement des agriculteurs (ce que nous faisons chez Terres Vivantes), déployer de nouvelles productions, développer un nouvel équilibre avec les filières industrielles, nourrir les animaux d’élevage davantage à base d’herbe (voir le projet d’autonomie fourragère de la Fugea), arrêter de transformer des aliments (céréale) en carburant (bio-éthanol).

Il n’y a pas d’autre projet crédible pour prendre le relais de l’agriculture conventionnelle dont, selon moi, les citoyens ne veulent plus et qui ne me semble plus favorable aux agriculteurs. Il n’y a pas d’alternative !

Alain Peeters,

Directeur de l’asbl Terres Vivantes

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