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Pension et bail: le bail de carrière, pour ou contre?

Il était rappelé, à l’occasion des parutions précédentes, que le preneur pensionné pouvait, dans certains cas, voir écornée la protection qui lui est offerte par la loi sur le bail à ferme. Et de donner et commenter, pour premier exemple, l’article 8bis de loi concernant le congé au preneur pensionné et, pour second exemple, l’exception au droit de préemption visée à l’article 52 1/1º de la loi. Le troisième et dernier exemple en lien avec l’âge du preneur est celui du bail de carrière et du bail de fin de carrière.

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Tous deux, comme on le lira ci-après, prennent fin dès l’atteinte, par le preneur, de l’âge légal de la pension, sans incidence, cette fois, du bénéfice éventuel d’une pension de retraite/de survie ou encore de l’éventualité d’une transmission de l’exploitation à un parent légalement éligible.

Ce que dit la loi

Le bail de carrière est réglementé par l’article 8 §3 de la loi, ainsi rédigé en ses premières lignes : « Par dérogation à l’article 4, les parties peuvent conclure un bail de carrière. Le bail de carrière est conclu pour une période déterminée égale à la différence entre le moment où le preneur aura atteint l’âge légal de la pension et son âge à la date d’entrée en vigueur du contrat. Cette période déterminée comporte au minimum vingt-sept ans. Au cas où il y a plusieurs preneurs, la période déterminée est calculée sur base de l’âge du copreneur le moins âgé (…) ». C’est donc un bail d’une durée longue d’un minimum de 27 ans mais qui, forcément, peut être bien plus long selon sa date de prise de cours. Sa particularité, à côté de sa durée longue, est qu’il s’arrête « net » lorsque le preneur (ou le plus jeune des preneurs en cas de colocation) atteint l’âge légal de la pension. Cette particularité est à ce point marquée que l’alinéa 3 de l’article 8 §3 prévoit que « Au terme d’un bail de carrière, le bailleur retrouve automatiquement la libre disposition de son bien sans que le preneur ne puisse s’y opposer » et que l’alinéa 4 suivant, lui, proscrit, par mécanisme d’exclusion implicite, toute possibilité de cession privilégiée : « La sous-location et la cession de bail sont possibles conformément aux articles 30, 31, 32, 34 et 34bis sans que la période déterminée ne puisse toutefois être dépassée » .

Droit achevé mais pas forcément expulsé

La nature même du bail de carrière incite donc à y trouver une forme de « désamour » pour le preneur pensionné qui voit son droit au bail achevé, mais en toute connaissance de cause, par le simple fait qu’il atteint un âge particulier. Droit au bail achevé oui, sans toutefois que le preneur se trouve forcément expulsé des biens affermés puisque, à supposer que le bailleur laisse le preneur en possession de ceux-ci à l’atteinte de l’âge légal de la pension, la loi prévoit que le bail de carrière se poursuit tacitement d’année en année. Le bailleur sera ainsi vigilant, si tel est son souhait, à anticiper l’âge légal de la pension du preneur en se manifestant auprès du preneur en bonne et due forme avant que ce dernier n’atteigne l’âge légal de la pension.

Pour ou contre ?

On notera que l’article 3 §3 de la loi sur le bail à ferme indique que le bail de carrière doit être constaté par acte authentique et que l’article 4 §2 de la loi limitant les fermages indique que le fermage relatif à un bail de carrière peut être augmenté de 50 % pour les terres et 25 % pour les bâtiments.

En conclusion, le bail de carrière : un plus ou un moins pour les cultivateurs ? La réponse est nuancée en ce sens que, certes, la durée d’occupation fixe est longue et garantie MAIS la continuité au profit d’un repreneur familial via cession privilégiée, elle, est exclue… Tout engagement suppose donc une mûre réflexion sur les perspectives d’avenir.

Nouveau :

le bail de fin de carrière

Le bail de fin de carrière, lui, est un « produit récent » en ce sens qu’il fait partie des quelques nouveautés issues du décret wallon du 2 mai 2019 entré en vigueur le 1er janvier 2020 lors de la réforme de la loi sur le bail à ferme. Il fait le lit de l’article 8 §5 de la loi.

Pour bien appréhender l’idée poursuivie par la création du bail de fin de carrière, il faut d’abord savoir que le bail de fin de carrière ne peut exister que s’il suit un bail qui vient à échéance. Un exemple vaut souvent mieux qu’un long discours. Pensons à un bail à ferme ordinaire contracté par un cultivateur de 24 ans en janvier 2024 pour une période première classique de 9 ans. Sauf résiliation pour cause légale au cours de sa vie, ce bail va vivre, en vertu du nouvel article 4 de la loi, 4 périodes de 9 ans, celle qui a pris cours en janvier 2024 + 3 autres qui lui succéderont. En janvier 2060, le preneur verra ses droits locatifs arriver à leur terme alors qu’il n’aura pas encore atteint l’âge légal de la retraite. Il pourra demander du bailleur qu’il lui concède un bail de fin de carrière lui permettant de terminer sa carrière, plus précisément de cultiver les terres jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge légal de la pension. Le cultivateur en sort gagnant mais le bailleur aussi puisqu’il aura la certitude de voir les parcelles libérées au jour où le cultivateur aura atteint l’âge légal de la pension.

Mutatis mutandis, les considérations liées au bail de carrière relatives à la fin «nette»du bail, au renouvellement an pour an, ... prévalent également en présence d’un bail de fin de carrière. Faut-il toutefois préciser que la cession de bail est interdite, que le droit de préemption est inexistant, que l’écrit authentique n’est pas exigé, etc etc...

Henry Van Malleghem, avocat au Barreau de Tournai

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