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Le bailleur peut-il s’opposer à une cession privilégiée?

Le bailleur ne peut s’opposer à une cession privilégiée que pour les motifs et les causes prévus par la loi. Néanmoins, il convient de respecter certaines formes tant du côté du preneur que du bailleur. Dans ce premier volet, nous abordons notamment les délais.

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P our rappel, la cession privilégiée est le fait, pour un preneur, de céder son bail à un parent légalement éligible (descendants, enfants adoptifs…), avec la conséquence, notamment, que celui ou celle à qui le bail est cédé se voit attribuer une première et nouvelle période d’occupation de neuf ans de bail. Le principe, le mécanisme et les formalités y relatifs sont exposés à l’article 35 de la loi auquel il est renvoyé.

 

Régi par les articles 36 et 37

La question posée par la présente contribution concerne le fait de savoir si, par suite d’une cession privilégiée, le bailleur se trouve impuissant face à elle ou si, dans une mesure à déterminer, il dispose d’un droit d’opposition. Les articles 36 et 37 de la loi sur le bail à ferme, vers la lecture desquels il est à nouveau renvoyé et au sujet desquels plusieurs parutions seront consacrées, permettent de répondre à la question

 

Pas de principe général d’opposition

Une remarque mérite d’abord d’être soulevée. Elle consiste à préciser qu’il n’existe, en la matière, pas de principe général d’opposition ouvert au bailleur : ceci signifie que le bailleur ne peut former opposition que pour les motifs et les causes prévues par la loi, et non parce, simplement, il n’est «pas d’accord» avec la cession privilégiée. La justification en est que la cession privilégiée est un droit offert au preneur de par la loi, droit qui ne saurait être écarté par le seul fait du désaccord du bailleur.

 

Opposition dans les trois mois…

L’article 36 de la loi permet au bailleur de faire opposition au renouvellement du bail consécutif à la cession privilégiée en saisissant le juge de paix compétent dans les 3 mois de la notification de la cession privilégiée. Les termes exacts de l’article 36 al.1er de la loi sont en effets les suivant : « Le bailleur auquel une cession a été notifiée dans le délai prévu à l’article 35, peut faire opposition au renouvellement du bail en citant l’ancien et le nouveau preneur devant le juge de paix, dans les trois mois de la notification de la cession, à peine de déchéance, en vue d’entendre valider son opposition ».

 

Délai d’opposition interrompu par l’appel en conciliation

Pour rappel, l’article 1345 al.1er du Code Judiciaire prévoit que toute procédure en matière de bail à ferme impose, préalablement, un appel en conciliation. Ainsi, pour parler clairement, le bailleur qui souhaite faire usage de l’article 36 appellera à l’audience des conciliations le preneur qui a cédé son bail et son successeur : le texte parle de « l’ancien et du nouveau preneur » . L’appel en conciliation interrompt le délai de 3 mois visé par l’article 36 pour autant que, en cas de non-conciliation (c’est-à-dire quand les parties n’ont su se mettre d’accord), le bailleur cite à comparaître l’ancien et le nouveau preneur « le mois de la date du procès-verbal constatant la non-conciliation des parties », ce conformément à l’article 1345 al.2 du Code Judiciaire. Pour rappel, encore, le Juge de Paix compétent est celui du siège d’exploitation du preneur, conformément à l’article 628 15° du Code Judiciaire (pour autant qu’il soit en Belgique, évidemment). Le respect de ces délais et de la procédure est essentiel et il est d’ores et déjà rappelé qu’en cas de doute, un conseil avisé vaut évidemment mieux qu’une erreur… Il y va en effet de questions d’irrecevabilité et/ou de forclusion à agir et/ou d’incompétence   : il serait dommage de voir une action judiciaire a priori sérieuse être contrariée parce qu’un délai à agir n’a pas été respecté ou que la procédure n’a pas été dûment respectée ou encore parce que le Juge de Paix saisi n’était pas le bon !

 

Apprécier le sérieux des motifs d’opposition

Une fois l’action contentieuse introduite et le Juge de Paix saisi par citation à comparaître, en cas de non-conciliation forcément, le Juge de Paix sera chargé d’apprécier si « les motifs de l’opposition sont sérieux et fondés et notamment s’il appert des circonstances de la cause que le bailleur mettra à exécution les intentions énoncées comme motifs de l’opposition ». Ces derniers mots sont ceux du second alinéa de l’article 36 de la loi sur le bail à ferme, second alinéa qui ne peut être bien compris que s’il est mis en perspective avec les termes de l’article 37 §1er alinéa 1er de la même loi : « Peuvent seuls être admis comme motifs sérieux d’opposition: (...)» (la loi y énumère alors les motifs d’opposition offerts). On comprend, lecture faite des alinéas 1er et 2 de l’article 36 et de l’article 37 §1er alinéa 1er, que le bailleur ne pourra formuler son opposition que s’il est en mesure de se prévaloir d’un des motifs d’opposition légalement prévu : il y en a 6, pas un de plus, si bien que l’opposition ne vaut d’être introduite que si le bailleur rencontre un ou plusieurs de ces 6 motifs. Pour en revenir, donc, à ce qui était écrit ci-dessus : il n’existe pas de motif général d’opposition mais seulement des motifs d’opposition limitativement et légalement énumérés. Les motifs d’opposition listés à l’article 37 de la loi seront abordés à l’occasion des prochaines parutions mais une précision s’impose encore avant de les aborder.

 

Une précision s’impose

Même si le bailleur ne voit, à l’article 37, aucun motif d’opposition qu’il pourrait soulever, rien ne lui interdit, le cas échéant et si cela se justifie, de contester la façon dont l’ancien preneur a usé du mécanisme de la cession privilégiée: on peut alors parler de la question de la régularité de la cession privilégiée. Exemple. Un preneur A adresse à un bailleur B une lettre de cession privilégiée au bénéfice de son fils C (fils de A). Mais voilà que le bailleur B observe que la lettre de cession privilégiée ne lui a pas été notifiée par voie recommandée ou encore que le délai de 3 mois entre l’entrée en jouissance de C et la notification de la cession (prévu à l’article 35) n’a pas été respecté. On verra à l’occasion des prochaines parutions que la loi ne contient aucun motif d’opposition en lien avec la régularité de la cession privilégiée MAIS rien n’interdit, en pareil cas, au bailleur de se plaindre auprès du Juge du fait d’un usage irrégulier des formes et délais imposés à toute cession privilégiée… Non seulement, rien n’interdit au bailleur de le faire mais, il est prudent (nécessaire, selon certains) d’agir en respectant le même délai de 3 mois prévu à l’article 36 de la loi sur le bail à ferme…La matière étant technique, il est toujours conseillé de se faire conseiller et assister.

Henry Van Malleghem,

avocat au Barreau de Tournai

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