Voyage au coeur de l’abbaye de Stavelot : un jardin aux couleurs d’éternité
Un enclos de lumière, une évanescente brise qui tremble, frisonne, vole, plane, pure respiration. Plus rien ne demeure que ces légères fleurs flottantes au gré des ondes éternelles et supportant à elles seules tout le poids de l’espace infini. Elles vont, viennent, ces buées jaunes et bleutées, taches pastel ne supportant pas d’être déportées hors du sol où elles sont montées comme une exaltation, comme un soupir. Au cœur du cloître, elles mêlent de la peinture, de l’encre ou même du silence.

Stavelot. Le temps rebondit joyeusement sur les pavés dodus de la place Saint-Remacle avant de se laisser glisser vers la cour de l’abbaye, au cœur de la cité de la haute Ardenne.
Une abbaye fondée au VIIème siècle
C’est l’une des plus anciennes fondations monastiques de Belgique. Elle a pris son essor au mitan du VIIème siècle quand le roi Sigebert III demande à l’abbé Remacle, déjà actif au sein de l’abbaye de Luxeuil, dans les Vosges, avant de diriger celle de Solignac, près de Limoges, d’évangéliser la région.

« Arrivé d’Aquitaine avec plusieurs moines, Il fonde deux communautés, l’une à Malmedy, l’autre, quelques années plus tard, à Stavelot, des cités qui dépendent de diocèses différents : Malmedy est situé dans celui de Cologne, Stavelot appartient à celui de Tongres-Maastricht, futur diocèse de Liège, les deux seront sous la tutelle de Remacle qui reçut le titre d’abbé-évêque » explique Caroline Hermann, historienne de l’art et chargée de collection à l’Asbl Espaces tourisme et culture.
Remacle décède entre 671 et 679. Il est enterré dans l’oratoire Saint-Martin qu’il a lui-même érigé. L’un de ses successeurs, l’abbé Goduin, poursuit la construction de l’église abbatiale que Remacle avait entreprise.
La saga d’une flamboyante institution
L’abbaye évolue favorablement, tant au niveau architectural qu’économique. Au XIIème siècle elle devient une institution prospère, en vue auprès de souverains germaniques. La situation se dégradera quelque peu au XIIIème siècle tandis que les bâtiments seront reconstruits dans le courant du XVIIIème siècle.
« L’abbaye a traversé onze siècles jusqu’à la révolution française dont le bruit et la fureur sont parvenus jusqu’à nous » développe Caroline Hermann. Et de préciser que « les moines ont fui vers 1794, emportant avec eux les archives et les biens les plus précieux, c’est la fin de l’abbaye et de la principauté de Stavelot-Malmedy qui est dissoute et rattachée à la France ».
L’ancienne principauté sera ensuite scindée, cédée aux Hollandais pour Malmedy, aux Prussiens, pour Stavelot avant d’être rattachées, l’une après l’autre, à la jeune Belgique.
Un pôle culturel et muséal
Aujourd’hui, les vestiges nous racontent des pans d’histoire. « Les bâtiments du cloître et de la cour, de style classique, ont été érigés au XVIIIème, mais il subsiste encore une partie de la tour de l’église abbatiale et le passage couvert voûté (arvô), qui datent du XVIème siècle » nous apprend l’historienne de l’art.

L’abbaye a connu plusieurs phases de construction et de rénovation, la dernière d’entre elles s’est étalée sur pratiquement tout le XVIIIème siècle.
Depuis la fuite des moines, le complexe a été restauré, reconverti et a connu plusieurs affectations.
« À la fin du XVIIIème siècle, Il a accueilli des soldats blessés qui ont pillé les bâtiments et causé énormément de dégâts, notamment pour se chauffer, il s’est aussi transformé en hospice puis en orphelinat avant que la ville de Stavelot n’y installe son administration communale. Le lieu a hébergé une école de danse et même la police » sourit Caroline Hermann, en ajoutant qu’un « bail emphytéotique a été signé avec la région wallonne dans les années 1990, ce qui a donné le coup d’envoi d’une grande campagne de restauration des bâtiments ».
L’abbaye est actuellement un pôle culturel et muséal.
Le cloître, son jardin, ses règles de silence
L’abbaye de Stavelot est un monastère bénédictin. Les moines, cloîtrés, y suivent la règle de Saint-Benoît, selon laquelle, de jour comme de nuit, ils sont tenus d’observer le silence propice au recueillement et toujours rechercher l’humilité, dans les pas du Christ.
Le moine ne possède plus rien en propre dans le monastère où tout est commun. Sa vie est rythmée par la prière aux huit heures du jour et de la nuit (nocturnes, laudes, prime, tierce, sexte, none, vêpres et complies).

L’abbaye héberge un petit jardin monastique, lieu de recueillement et de méditation, éventuellement d’échanges entre les moines qui ne pouvaient pas parler dans les bâtiments.
Le jardin fermé au milieu du cloître symbolise une forme de contrôle, de maîtrise de l’homme sur la nature. Il est d’ailleurs souvent très bien entretenu. L’ouverture du jardin sur le ciel invite à la relation au divin. Le jardin est une image du paradis.
Contrairement à d’autres abbayes, à Stavelot le jardin n’a pas pris la forme d’un petit potager.
« Tout ce qui était fruits et légumes était cultivé sur le versant sud du domaine » détaille Caroline Hermann en ajoutant qu’il aurait peut-être abrité « des plantes médicinales, aromatiques et des fleurs » même si « rien n’est toutefois clairement établi, que ce soit au niveau des archives ou des fouilles archéologiques ».
Basé sur le plan de l’abbaye de Saint-Gall (fondée au VIIIème siècle en Suisse alémanique et exemple parfait d’un grand monastère carolingien), le jardin du cloître est divisé en quatre par des allées qui se croisent au centre.
Des archéologues ont pu en outre attester la présence d’un lavabo contre l’aile sud dès le Xème siècle. Les moines s’y lavaient le visage et les mains deux fois par jour, le matin et en milieu de journée, avant le repas (pris au réfectoire, dans l’aile sud).
Le jardinier de cloître, un gestionnaire patrimonial à la main verte
Entretenir ce petit espace vert chargé d’histoire requiert des compétences spécifiques qui ne laissent rien au hasard.
Ce savoir-faire, la région wallonne l’a trouvé auprès de l’entrepreneur indépendant Alexandre Rennotte, technicien agronome spécialisé en horticulture et sylviculture. À la tête de sa petite société BelgArbre dédiée à la gestion des espaces verts, il base son travail sur une réflexion environnementale agro-horticole.

Travailler dans un jardin de cloître ne s’improvise pas, il s’agit d’une entreprise qui participe de la gestion d’un patrimoine très particulier.
« Nous sommes ici dans un jardin de style anglais, avec du végétal persistant en étage dominant taillé au cordeau et en espace naturel dominé en fleurs vivaces » détaille M. Rennotte en embrassant du regard le jardin aux tons pastel, « une volonté des architectes de la région wallonne ».
« Nous sommes sur une base d’alchémilles jaunes, de géraniums sauvages, de salvia, de quelques lavandes, de rosiers blancs, le tout dans un espace où nous laissons vraiment les plantes se développer, voire en les mettant en concurrence synthétise le jardinier.
Et d’expliquer qu’il pratique « une taille par an de l’étage supérieur tandis que je laisse la végétation se développer naturellement dans la strate inférieure avec un entretien en fin de saison ».
Un cahier des charges très strict
Pour l’entretien, Alexandre Rennotte manie la débroussailleuse, la tondeuse à main, le souffleur et un taille-haie, des outils d’entretien encore thermiques pour le moment avant de s’effacer au profit de l’électrique dans un futur proche.
« Mais le jardin nécessite surtout un bon coup de râteau » ponctue l’entrepreneur qui travaille en général en binôme, « deux tailleurs l’avant-midi et un seul pour les finitions l’après-midi ».

L’entrepreneur n’hésite pas à évoquer une « charge émotionnelle » qui se dégage de ce lieu monastique qui répond à un cahier des charges des plus stricts. La moindre modification, que ce soit au niveau de la nature d’une plante ou de sa couleur doit faire l’objet d’une validation du service du patrimoine de la région wallonne.
« Le complexe est classé et tout, dans le jardin, est contrôlé » abonde Caroline Hermann.
Pour attirer l’œil des visiteurs, l’aile nord du cloître a été reconstruite dans un style moderne, en verre, et renvoie à l’impression de cloisonnement du jardin, tout en conservant sa visibilité. Au centre, un jeu d’échecs géant invite le public à venir flâner dans les allées. Nous ne pouvons d’ailleurs que vous encourager à nous rejoindre dans cet agréable exercice !








