Anthesis, l’aventure des semences locales et bio
Le dessiné de la route chaloupe entre les cultures, ralenti son coup de crayon puis s’évanouit le long du coteau. En bas, on y écoute la lumière, là où rien n’est caché, là où tout est sous nos yeux, la vie passée, présente et future, comme trois petites filles échangeant en riant des confidences sur une route de campagne. Hamois, à toi, des éclats de fleurs s’envolent et colorient le champ. C’est dans cette jolie portion du Condroz que Thomas Bleeckx et Benoît Delpeuch ont semé les graines bio et locales de leur projet « Anthesis ».

La biodiversité cultivée, voilà le domaine d’action et de prédilection du tandem qui se cache derrière cette petite société pionnière dans la production de semences de légumes bio qui commence à compter dans le paysage des semenciers belges.
Produire des semences locales et anciennes
Le premier est agronome sorti de la faculté de l’université de Louvain-la-Neuve. Passionné par l’univers de la semence, il a fait ses armes, après un séjour en Bolivie dans le cadre son travail de fin d’études, au sein de l’entreprise semencière « Cycle en Terre », une coopérative de production professionnelle de semences de légumes en agriculture biologique.
Il se frotte aux activités commerciales du semencier et constate que nombreuses sont les semences qui proviennent de l’étranger. C’est à ce moment-là qu’il nourrit l’idée de se lancer dans un projet consacré exclusivement à la production de semences locales et anciennes.

Le second est son ami Benoît Delpeuch. Également bioingénieur, diplômé de Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège), il s’est quant à lui orienté vers la gestion de l’environnement, avant de se prendre de passion pour le maraîchage, l’étude du sol et l’agroécologie.
L’anthèse, moment réjouissant de la floraison
Les deux amis sont animés par la même volonté de produire des graines bio et locales alors que la Belgique est dépendante de l’apport extérieur de semences sur son territoire.
Et s’ils pensent que ce n’est pas une hérésie d’acheminer des semences de laitue depuis la France, c’est en revanche une aberration de ne pas en produire en Belgique.
C’est donc tout naturellement qu’ils décident, en 2020, de s’associer pour mûrir et mettre sur rails leur projet qui se concrétisera en 2022. Le baptiser « Anthesis » sonne comme une évidence pour ces deux passionnés. Le nom se réfère à « l’anthèse », ce terme botanique qui désigne le stade de pleine floraison d’une plante, « c’est le moment clef dans la production de semences, c’est réjouissant, les cultures sont belles » sourit Benoît Delpeuch.
Les deux cofondateurs se lancent en quête de terrains pour installer leurs activités, une démarche complexe pour des personnes non issues du milieu agricole comme eux, d’autant plus qu’ils souhaitent produire leurs semences en bio, une orientation qui nécessite un temps de conversion de terres, ralentissant donc encore leur projet d’installation.
L’agriculture biologique est une valeur qui tient à cœur les deux protagonistes. « Elle est en harmonie avec la nature, elle en respecte les cycles naturels, la biodiversité et la santé humaine, c’est pour nous le socle de notre philosophie » insiste Benoît Delpeuch. Alors que beaucoup de productions agricoles bio sont issues de semences conventionnelles, « réaliser l’ensemble du cycle en bio donne encore davantage de cohérence à l’ensemble de la démarche ».
La Préale, un lieu de vie productif et nourricier
C’est à la Préale, à Achet, dans l’entité de Hamois, qu’ils finiront par poser leurs valises. Nichée dans un écrin de silence, cette ancienne ferme d’élevage, jadis coquette, puis délaissée pendant des années, a retrouvé un second souffle sous la forme d’une ferme multi-projets au service de la communauté locale et de la transition agroécologique.
Ce lieu de vie abrite déjà un projet de maraîchage et dispose d’un terrain de 2ha sur lequel venait d’être aménagé un verger haute tige où devaient pâturer des moutons.
En plus du verger qu’ils louent, les associés cultivent sous 1.500 m² de serres tunnel. On y retrouve soit des légumes qui ont besoin de chaleur (tomates, aubergines, poivrons, piments, melons) soit ceux qui se cultivent normalement en extérieur mais qui nécessitent une couverture (laitues, choux, poireaux, oignons) en raison des stades critiques qu’ils peuvent traverser.
« Il nous a semblé plus pertinent de mettre par exemple sous tunnel les laitues en raison de leur sensibilité particulière à la luminosité au moment de la floraison » détaille le maraîcher.
Le verger accueille, quant à lui, à peu près tous les légumes qui se cultivent en Belgique.
Vente de semences et de plants bio
Anthesis prend forme et se développe au fil des mois. Thomas Bleeckx et Benoît Delpeuch acquièrent un terrain juste à côté de la ferme et en louent un autre un peu plus loin. Aucun n’est planté avec des arbres, ce qui leur permet de développer des cultures plus mécanisées sur des surfaces plus importantes.
« Avoir un terrain en location isolé au milieu des bois nous offre l’opportunité de doubler certaines espèces développe Thomas Bleeckx, en précisant qu’en « tant que semencier nous devons par ailleurs être très attentifs au risque d’hybridation entre les variétés, nous devons les isoler les unes des autres » précise-t-il.
Travail avec des entreprises semencières belges et françaises
Pour avoir travaillé en amont dans le secteur semencier, les deux associés en connaissent bien les acteurs. Les semences produites par Anthesis sont presque exclusivement vendues à des entreprises semencières belges, françaises, et, dans une moindre mesure, suisses, qui se chargent de leur commercialisation.
« Depuis le début, nous travaillons avec des semenciers qui s’adressent plutôt aux jardiniers amateurs et nous commençons progressivement à collaborer avec ceux qui ont pour clients des maraîchers » avance Thomas Bleeckx, même s’il leur arrive de vendre en direct à des maraîchers professionnels, notamment ceux qui évoluent déjà sur la ferme de la Préale avec lesquels ils ont noué des collaborations.
« Nous nous entraidons sur certains chantiers, nous mutualisons du matériel et on produit une partie des semences qu’ils utilisent » développe Benoît Delpeuch, tandis que « nous mettons par ailleurs certaines variétés en test chez eux » renchérit Thomas Bleeckx, et ce, afin que leurs collègues les observent et les récoltent, leur permettant ainsi de bénéficier de leur regard de maraîcher.
Contrats de production et échanges avec les semenciers
La multiplication de semences est réalisée dans le cadre de contrats de production ou sur catalogue. Anthesis peut réaliser toutes les étapes de la multiplication, semis et réalisation des plants, conduite des porte-graines, récolte, séchage, tri manuel et mécanisé.
Le choix des variétés proposées par Anthesis s’effectue en fonction de la demande des semenciers.
« Nous prévoyons un échange avec chacun d’eux en début de saison et nous prenons note de leurs besoins, nous nous coordonnons pour être cohérents ».
Des variétés anciennes au parfum de belgitude
Les deux cofondateurs travaillent notamment avec « Semailles », une entreprise française qui a été pionnière dans la commercialisation des semences bio et des variétés locales en Belgique ».
C’est notamment pour eux qu’Anthesis produit, par exemple, du poireau bleu de malines, de la laitue blonde de Laeken, de la tomate triomphe de Liège, du haricot roi des Belges, ajoutant de variétés avec une empreinte locale très forte qui fleure bon la Wallonie.
Les deux entrepreneurs collaborent aussi beaucoup avec « Kokopelli » (du nom d’un personnage mythique associé à la fertilité chez les Amérindiens), une association française fondée en 1999 qui distribue des semences, libres de droits et reproductibles, issues de l’agriculture biologique et de l’agriculture biodynamique, dans le but de préserver la biodiversité semencière et potagère.
Leur catalogue propose entre 1.400 et 2.000 espèces de graines potagères. « Ils jouent un peu le rôle de banque de semences et d’archivage de la diversité des légumes » s’enthousiasme d’ailleurs Benoît Delpeuch.
Une réussite récompensée par un titre « d’Agriculteurs de valeur »
La petite société qui emploie aujourd’hui deux salariés a vu son originalité et son succès couronnés par un titre « d’Agriculteurs de valeur » décerné par la Foire de Libramont fin 2023.
Pour les cofondateurs d’Anthesis, ce titre résonne comme « une belle reconnaissance de notre travail par nos pairs, et plus largement, par le secteur agricole, car il s’agit d’une activité fort marginale » soufflent, de concert, les deux amis devenus un peu les pionniers dans le modèle de ferme qu’ils ont développé.

Les deux amis se sentent particulièrement concernés par l’autonomie et la résilience du secteur agroalimentaire. Lors de la crise sanitaire, produire des semences a d’ailleurs pris toute son importance. Sans compter que lors du confinement, la demande a explosé car les gens, cloîtrés chez eux, ont voulu se lancer dans le jardinage. Si bien qu’il n’y avait quasiment plus de semences disponibles en Europe. En 2022, au moment où a éclaté le conflit russo-ukrainien, Anthesis s’est proposé d’envoyer gratuitement des semences de légumes en Ukraine via des réseaux de solidarité.
Participer à l’autonomie alimentaire des territoires, voilà bien le credo de cette petite entreprise dynamique, véritable grenier et mémoire des semences rustiques de notre territoire wallon. Un peu comme l’est le comptoir forestier situé à Marche-en-Famenne dont le toit épouse la forme d’une ... graine.