Nanopesticides : des trous dans la raquette réglementaire
Si le règlement Reach oblige, dans une certaine mesure, à déclarer les co-formulants contenant des nanomatériaux, le cadre réglementaire sur les phytos ne dit rien sur les matières actives nanos ou leur étiquetage. Pourtant, d’autres règlements sectoriels, comme les cosmétiques et les biocides, visent spécifiquement les nanomatériaux. Cette hétérogénéité s’explique par un manque de définition contraignante à niveau européen.

Officiellement, il n’y a pas de substances actives nanoparticulaires utilisées dans l’Union européenne car aucun fabricant n’a demandé d’autorisation à la commission européenne via l’Efsa. Mais notre enquête souligne qu’il existe des trous dans la raquette réglementaire. Rappelons d’abord que la réglementation européenne fait une distinction entre les co-formulants et les matières actives. De manière surprenante, le cadre semble plus souple pour les matières actives.
Commençons par les co-formulants : ils doivent être enregistrés auprès de l’UE, conformément au règlement Reach. D’après nos échanges avec l’Efsa, les demandeurs d’approbation d’une substance active et les demandeurs d’autorisation de mise en marché (AMM) ont en effet l’obligation de signaler, dans leur dossier, la présence d’un co-formulant contenant « tout composant qui serait défini comme une forme nano (nanoform) par le règlement Reach ».
Toutefois, cette obligation concernant les co-formulants ne s’applique que pour les composants ayant plus de 50 % de particules solides dans la gamme de 1 à 100 nanomètres – ce qui correspond à la définition d’une forme nano. Par conséquent, tous les composants des co-formulants contenant moins de 50 % de particules nanométriques inférieures à 100 nanomètres ne sont pas soumis à cette obligation. Aussi, cette obligation concerne les fabricants et importateurs pour des quantités supérieures à 1 tonne par an, un seuil bien plus élevé que celui de 100 g dans la déclaration R-Nano, pointe l’Anses dans son évaluation du dispositif français.
Le règlement phyto pas spécifique sur les nanos
Ces obligations de déclaration ne concernent pas les substances actives, ni les phytoprotecteurs, ni les synergistes. Pour ces trois types de substance, il faut se référer au règlement sectoriel sur les produits phytopharmaceutiques (PPP), qui n’exige aucune donnée de caractérisation des nanomatériaux. « Seule la détermination de la quantité de particules identifiant les particules inférieures à 50 ou 75 micromètres doit être fournie », précise l’Efsa. Peu importe leur nature.
Par conséquent, l’absence d’exigences en matière de données signifie que le processus d’évaluation des risques pour les substances actives, les phytoprotecteurs et les synergistes qui sont des nanomatériaux n’est pas différent de celui qui s’applique en l’absence de nanomatériaux, confirme l’Efsa. Autrement dit, confirme la DGAL, « la taille nanométrique des matériaux entrant dans la formulation des produits n’est pas spécifiquement visée par cette réglementation » sur les phytopharmaceutiques.
Pourtant, des exigences existent pour les matières actives nanos dans d’autres règlements sectoriels, comme les cosmétiques et les biocides qui définissent les nanomatériaux et prévoient des obligations en matière d’étiquetage pour informer les consommateurs. À l’origine de ce paysage hétérogène, la recommandation de définition des nanomatériaux par la Commission européenne, qui date de 2011.
L’enjeu de la nouvelle définition
Dernière difficulté qui s’est ajoutée depuis, qui concerne tous les nanomatériaux : en 2021, la commission européenne a revu sa recommandation de définition pour adopter une version plus restrictive et
La réglementation freine les nanos en Europe, selon l’EUCuTF (cuivre)
Pour l’ancien président de la Task force cuivre de l’Union européenne (EUCuTF), Matthias Weidenauer, les producteurs de produits phytos « ne sont pas près d’investir » dans les nanos car la réglementation ne leur offre pas de visibilité.
« Les producteurs de produits phytos ont fait l’expérience que l’évaluation des pesticides en Europe n’est plus prédictible, et n’importe quelle opinion publique peut amener à un refus d’homologation. En conséquence, ils considèrent une homologation en Europe seulement comme supplément, et le « business case » est la plupart du temps porté par une autre région. Comme le sujet nano a déjà reçu une connotation négative dans l’opinion publique, ils hésitent à y investir.
Ceci est fondamentalement différent pour l’industrie cosmétique (et aussi pharmaceutique) où les bénéfices d’une nouvelle technologie sont bien considérés, et où les risques ne sont pas perçus comme aussi importants que pour un pesticide. ».