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Les engrais de ferme: or ou poison?

Jai lu avec attention l’article du Sillon Belge du 1er septembre concernant les modalités d’utilisation des engrais de ferme et ses innombrables contraintes. Je ne suis pas agriculteur, je côtoie le métier et le « vis » de près depuis ma naissance, mais cela reste un rêve inaccessible.

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Si j’ai bien compté : entre les modalités de stockage aux champs ou à la ferme, les attestations d’étanchéité et capacité, les Cipan, les SIE, les moments d’épandage et d’enfouissement, les déclarations de transfert, le taux de liaison au sol, les distances à respecter… une bonne dizaine de rubriques et règlement s’y appliquent. L’utilisation de l’or noire est plus cadenassée que les radiations nucléaires de nos centrales… De la main gauche on vous dit : les engrais de ferme sont une source écologique, durable et loyale de nutriments (macro et micro-éléments, et même de la vie sous forme de bactéries, champignons et autres formes) pour les plantes, tant appréciées des Vegans. Il favorise la formation du complexe humus qui permettra une meilleure cohésion de la terre et limitera la sensibilité à l’érosion. Mais de la main droite levée, le gendarme des campagnes vous assène : les engrais de ferme sont des poisons toxiques…, des polluants innommables, des déchets intolérables issus de vos élevages tant détestés des Vegans… au point qu’autant de législations doivent les encadrer et vous contraindre pauvres agriculteurs ignorants !

Certes, on peut dire sans équivoque que l’on retrouve des nitrates dans les eaux souterraines mais sont-ils exclusivement d’origine agricole. Ah que Neni ! Je me souviens lors de mon travail de fin (au milieu des années ‘90) avoir été choqué par le nombre de raccordement direct d’un nouveau lotissement dans petit ruisseau alors que l’agriculteur cherchait des moyens de ne pas polluer et de limiter les odeurs en avance sur la législation de l’époque. Oui, des excès ont été commis : certains agriculteurs faisant année après année leur tas de fumier au même endroit avec un écoulement des jus sur la voirie empruntée par les néoruraux. Oui, certains avaient plaisir à épandre un ou deux tonneaux le dimanche à l’heure de l’apéro et des barbecues au titre qu’« Ici c’est la campagne et que la ferme existait avant eux ». Oui en Flandre, parfois le tonneau à lisier « suivait » à quelques tours près l’ensileuse. Le monde agricole n’est pas tout blanc mais il n’est pas tout noir non plus. Ce sont les excès de quelques-uns qui ont amené cette masse de réglementation.

Mais attardons-nous sur l’une ou l’autre mesure.

Cas nº1 : le stockage. Les mentalités évoluent et il va de soi qu’une capacité en correspondance avec les volumes produits doit être présente. Fini le temps des petites citernes en briques ou des cours pavées avec un fumier au milieu… il faut du béton et de l’étanchéité et après il faudra récupérer puis séparer les eaux de pluie des jus. Ce jour n’est plus si lointain que cela… Dans certaines maisons dites modernes ou écologico-durables, les toilettes sèchent sont réapparues. Rien de neuf dans le principe. Mais qu’en advient-il quand le seau est plein ? Et si le transit s’emballe ? A-t-on un taux de matière suffisant ? Ont-ils un enregistrement du lien de déversement pour assurer la traçabilité du lieu de stockage ? Ah que Nèni mi fi ! Ont-ils leur attestation de conformité des infrastructures de stockage (Acicee) ? Ah que Nèni m’gamin ! En cas d’accroissement de la production (une naissance, une recomposition de ménage par ex), le taux d’accroissement de 15 % est très souvent dépassé, font-ils une adaptation ? Ben Nèni ! Ont-ils un taux de liaison au sol de un ou moins ? Ont-ils du sol ? Né danj’i m’blanc !

Cas nº2 : les modalités de transfert. Imaginons : un agriculteur décide le matin après la traite et le déjeuner de nettoyer sa stabulation et de conduire le fumier chez son confrère avec qui il a établi un contrat. Il doit donc faire une notification préalable de transfert. Il monte le bac crocodile sur le télescopique, commence à charger sa benne et puis avec ses gros doigts un peu couvert d’huile sort son smartphone pour faire sa notification. Arrive alors un représentant, ils discutent, font le tour des étables… Oh une vache commence à vêler… Il appelle le véto… il prend soin du veau et de la vache… Il reçoit un appel que des bêtes sont sorties de prairie et se baladent dans la pelouse du nouveau voisin qui avait versé ses déchets de tonte de l’autre côté de la clôture sans rien demandé. Voilà notre homme parti avec son chien, oui madame travaille à l’extérieur pour avoir un revenu mensuel pour la famille, essayer de rendre raison à ces animaux et rassurer le néophyte. Bref, il mange sur le pouce… benne chargée notre agriculteur part la vider… 15h30 sonne il faut aller chercher les enfants l’école, les déposer chez mamy et… continuer à travailler avant l’heure de la traite du soir qui arrive à grand pas… Ce scénario existe mais une équipe de technocrate qui n’a jamais mis le pied dans une ferme s’est imaginé que notre agriculteur n’avait que ça à faire : des pré-et-post notifications sur son smartphone ou par fax deux jours l’avance… Et s’il ne les fait pas c’est lui qui encaisse mais pas le collègue qui bénéficie des bienfaits de l’or noir ! Mais où vont-ils les chercher ?

On pourrait ainsi continuer…

Un dicton annonce « Les conseilleurs ne sont pas les payeurs » alors qu’un autre dit « Ne fait pas à ton prochain ce que tu ne voudrais que l’on te fasse » et je souhaiterais ajouter « le législateur n’est pas agriculteur car il a perdu son bon sens paysan ».

Un passionné outré

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