La transmission à la ferme de la Sarthe: pas qu’une histoire de famille…
La ferme de la Sarthe est une ferme laitière avec transformation fromagère située à Saint-Gérard (Mettet). Valentine Jacquemart vient d’y finaliser une reprise familiale tout en s’associant dans la foulée avec Thomas Huyberechts, ingénieur agronome de formation.

L’histoire de la ferme de la Sarthe remonte aux arrière-grands-parents de Valentine, qui cultivaient la terre et élevaient quelques animaux pour subvenir à leurs besoins et ceux d’un marché très local. Après une génération de pause, le père de Valentine, Damien, reprend la ferme alors qu’elle est en fin d’activité. Avec peu d’expériences pratiques et convaincu par les principes de la biodynamie, il se forme auprès de pionniers belges et français et relance la ferme familiale. Il essaie plusieurs productions (élevage caprin, petits fruits, plants à repiquer) pour finalement se concentrer sur les vaches laitières et les céréales.
Avec le temps, le site se développe : le cheptel grandit et des surfaces supplémentaires sont acquises. Damien et son épouse fidélisent une clientèle via leur présence sur les marchés de Namur et sur les premières éditions du Salon Valériane. Ils sont également dans les premiers producteurs belges à recevoir la mention Nature & Progrès. David, le frère de Damien, s’associe au projet. Avec le temps, la ferme se scinde en deux branches complémentaires. Damien se spécialise dans la production laitière, tandis que son frère David se concentre sur les cultures.
La décision de reprendre : un cheminement personnel
Premièrement sans arrière-pensées de reprendre la ferme, Valentine entame un travail dans le maraîchage pour la coopérative Paysans-Artisans après des études d’éco-conseillère. Elle a progressivement un déclic : « Pourquoi travailler pour quelqu’un d’autre alors qu’il y a une entreprise chez moi qui porte les valeurs que je défends
En 2020, en pleine pandémie, elle devient officiellement associée avant de reprendre pleinement l’exploitation début 2025. La transition se fait progressivement, Damien restant actuellement actif sur la ferme. Valentine, bien que proche de son père, souligne les difficultés inhérentes à la transmission mais reconnaît néanmoins la valeur de l’expérience et préfère d’abord apprendre avant d’expérimenter : « Il y a des petites choses avec lesquelles je ne suis pas toujours d’accord avec lui, mais il a 40 ans d’expérience derrière lui et je respecte énormément cela. ».
La transmission de connaissances et de savoir-faire n’est pas pour autant une chose aisée, même dans un cadre familial. Elle explique que : « Le problème dans une ferme, c’est qu’on ne s’arrête pas pour aller voir ce que fait l’autre et essayer de comprendre car il y a trop de boulot et cela donne l’impression de perdre du temps ».
Une association qui prend racine
La présence de Damien sur l’exploitation est également précieuse pour Thomas Huyberechts, ingénieur agronome de formation sans expérience agricole familiale. Ayant travaillé aux côtés d’éleveurs qui lui ont transmis la passion de l’élevage, Thomas a rejoint la ferme il y a environ quatre ans, dans un premier temps comme stagiaire, avant d’envisager sérieusement de devenir fermier. Il voit également cette expérience comme un moyen de gagner en cohérence et légitimité dans son travail actuel de représentation du monde agricole à la Fugea. Aujourd’hui, il transfère néanmoins son temps de travail vers la ferme de manière progressive.
Si Thomas souhaite effectivement s’installer en élevage laitier, il souligne l’intérêt de l’association lui évitant de porter seul le poids d’une reprise. L’association se fait sous une forme juridique relativement simple : une association de fait entre deux personnes physiques. Thomas a, par ailleurs, repris 50 % du capital d’exploitation (troupeau, machines et stocks) mais sans reprendre les bâtiments et les terres en propriété. Cela lui permet de se sentir également responsable de l’exploitation. « Cela permet de me sentir un peu chez moi aussi mais cela m’arrangeait bien de ne pas devoir directement investir dans de l’immobilier ». Valentine et Thomas vont toutefois établir un règlement de travail et une convention d’association pour clarifier les prises de décisions et prévenir les conflits.
Organisation du travail et perspectives d’évolution
Pour l’heure, la transition en douceur du travail de Damien vers Thomas n’induit pas un besoin urgent de réorganisation drastique des tâches à la ferme. À terme, les associés souhaitent cependant structurer davantage les responsabilités tout en se laissant chacun la possibilité de profiter de la diversité des tâches qu’offre le travail agricole.
Dans le futur, Valentine et Thomas souhaitent continuer le même modèle car il représente la raison de leur intérêt respectif dans le projet. Ils n’arrivent donc pas avec de réelles idées de révolution, mais souhaitent tout de même améliorer les procédés internes, notamment en travaillant sur une génétique de troupeau, actuellement en Rouge Pie, qui valorise mieux l’herbe.
Un point d’attention supplémentaire est la dépendance aux énergies fossiles pour les jeunes repreneurs qui viennent d’investir dans des panneaux solaires. Valentine mentionne notamment : «
Un modèle agricole résilient et ancré localement
À partir d’une trentaine d’hectares de SAU, dont 5 ha de céréales et de prairies temporaires, la ferme offre une diversité de produits laitiers transformés sur place, et des colis viande provenant de l’engraissement des veaux laitiers mâles castrés et de cochons élevés au petit-lait de la fromagerie.
L’exploitation privilégie ainsi la diversité mais également la vente en circuit court (magasin à la ferme et via Agricovert et Paysans Artisans). Cette stratégie limite la dépendance aux fluctuations du marché global, renforce les liens avec la communauté locale et consolide l’ancrage territorial de la ferme.
Conscients des sacrifices qu’exige l’agriculture, Valentine et Thomas apprécient néanmoins la liberté que leur confère leur modèle. En effet, le faible niveau d’endettement représente une flexibilité décisionnelle rassurante pour les jeunes éleveurs. S’il s’était agrandi dès le début, Valentine mentionne qu’« il faudrait alors tout redimensionner : de plus grandes étables, plus de terres et agrandir la fromagerie, cela représente beaucoup d’investissements d’un coup ».
Les repreneurs sont cependant conscients du besoin de rentabilité et ils ne perdent pas de vue les chiffres économiques du projet. « Ici, je sais ce que la ferme dépense et je sais ce que la ferme gagne », confie Valentine.
Forte de l’expérience familiale et du soutien de Thomas, elle envisage l’avenir avec pragmatisme : poursuivre l’œuvre familiale tout en garantissant une qualité de vie décente, également au niveau du temps de travail.
Dans le contexte wallon où la transmission des fermes devient critique pour notre souveraineté alimentaire, l’aventure de la ferme de la Sarthe illustre à la fois la complexité et la richesse de la transmission intra-familiale, ainsi que les opportunités offertes par des collaborations extra-familiales, sur des structures dont la relativement petite taille représente une opportunité abordable pour les repreneurs.