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«Nous voulons remplacer le dogmatisme par la rigueur scientifique»

La proposition de règlement sur le transport des animaux, présentée par la commission le 7 décembre 2023, est désormais entre les mains du parlement. Ce texte suscite de vives tensions, tant du côté des défenseurs du bien-être animal que des professionnels de la filière viande, soucieux de sa viabilité économique. Faute de consensus entre les co-rapporteurs, ce sont désormais les rapporteurs fictifs qui prennent le relais. Parmi eux, l’eurodéputé wallon Benoît Cassart, farouche opposant à une nouvelle réglementation qu’il juge aussi inutile qu’incohérente.

Temps de lecture : 7 min

Dans sa forme actuelle, la proposition de règlement suscite de vives inquiétudes chez les professionnels du transport. Les exigences en matière de dimensionnement des camions et les restrictions sur la durée des trajets risquent d’avoir un impact majeur sur la logistique des filières viande.

Un texte qui fait l’objet de… 3.000 amendements

C’est du moins la position défendue par l’organisation des transporteurs routiers européens (Otre), qui juge ces mesures souvent déconnectées des réalités de terrain. Une opinion partagée par Benoît Cassart, rapporteur fictif pour le groupe Renew au parlement.

Tenter de réconcilier l’écologiste Tilly Metz (voir Le Sillon Belge du 1er mai) et le démocrate-chrétien Daniel Buda relevait, dès le départ, de la gageure. De cette impasse politique a d’ailleurs découlé une avalanche d’amendements (on en dénombre non moins de… 3.000), dont trois propositions de rejet émanant du PPE, mais aussi des groupes d’extrême droite ECR et Patriotes.

Si ces trois groupes unissent leurs voix, même sans le soutien des centristes de Renew, le texte pourrait être définitivement abandonné au profit du maintien du règlement de 2005. À moins qu’il ne soit renvoyé à la commission, qui devrait alors proposer une nouvelle version.

« Officiellement, notre rôle en tant que rapporteurs fictifs est de rechercher un compromis. Mais en réalité, je ne suis pas hostile à un amendement de rejet », confie Benoît Cassart à demi-mot. 

Un débat qui repose sur une désinformation

Il faut dire que l’élu a rejoint la commission des Transports et du Tourisme (Tran) avant tout pour suivre de près cette réglementation, dont il entend parler depuis des années, en tant qu’éleveur et secrétaire national de la Fédération nationale du commerce de bétail et de viande. « Si elle est adoptée, ce sera une véritable catastrophe économique pour la filière », alerte-t-il. À ses yeux, le projet de texte relève d’un « assemblage d’éléments totalement incohérents ».

Aux côtés de ses collègues du groupe Renew, il a mené en amont un travail de fond pour convaincre de la nécessité d’ancrer les décisions dans la réalité du terrain. Selon lui, le débat actuel autour des transports repose largement sur une désinformation. « On est en train de déconstruire une réglementation qui, lorsqu’elle est appliquée correctement, ne pose aucun problème », déplore-t-il.

Et d’ajouter, à titre de comparaison, que « c’est un peu comme vouloir réécrire le code de la route parce qu’un chauffard alcoolisé et en excès de vitesse a renversé un enfant ».

Selon lui, il est à la fois injustifié et inefficace de vouloir réformer la législation à partir de quelques faits divers tragiques, aussi bouleversants soient-ils, dès lors qu’ils résultent précisément du non-respect des règles existantes. Une approche qu’il juge à la fois injuste et inefficace. 

La question des températures, une « aberration »

Benoît Cassart fustige notamment la mesure visant à interdire le transport d’animaux lorsque la température excède 30°C ou descend sous 0°C, sauf à bord de véhicules climatisés et spécialement équipés. Il y voit « une aberration », citant en exemple l’Espagne, où les animaux vivent régulièrement dans un environnement à plus de 35°C sans que cela n’entraîne d’interdiction. « Il est absurde d’interdire le transport dans des conditions identiques à celles que les animaux subissent déjà sur place », conclut-il.

À l’initiative de Benoît Cassart, plusieurs acteurs du secteur du transport animal sont venus faire entendre leur voix,  le 5 mars dernier, devant le parlement européen.
À l’initiative de Benoît Cassart, plusieurs acteurs du secteur du transport animal sont venus faire entendre leur voix, le 5 mars dernier, devant le parlement européen. - Renew.

D’autres dispositions ont aussi des conséquences : la densité des animaux dans les camions (obligeant les professionnels à agrandir leur flotte) et la réduction temps de transport qui va obliger à reconstruire des abattoirs.

L‘eurodéputée démocrate-chrétienne française Céline Imart va encore plus loin et a pour sa part estimé que, « le seul objectif de cette réglementation est de supprimer l’élevage dans l’UE ». Un avis largement applaudi par son camp. Son confrère italien, Herbert Dorfmann, ne dit pas autre chose et dénonce quant à lui une proposition absurde qui n’a, selon lui, « aucun avenir ».

Exportation d’animaux vivants vers le Maghreb

L’eurodéputé wallon s’insurge également contre la mesure visant à interdire l’exportation d’animaux vivants vers les pays du Maghreb, au profit de l’envoi de viande transformée. Une approche qu’il juge déconnectée des réalités du terrain : « c’est tout de même le client qui décide », fait-il remarquer. Certains pays, souligne-t-il, exigent des animaux vivants pour des raisons religieuses ou faute d’infrastructures de conservation comme la chaîne du froid. « Ils ne vont pas attendre qu’on leur livre de la viande congelée, ils vont importer des animaux d’Argentine », ajoute-t-il avec scepticisme.

À partir du moment où l’on considère la distance comme un obstacle en soi, interdire les exportations européennes vers ces pays revient, de facto, à favoriser celles en provenance du Brésil ou de l’Australie à destination de l’Afrique du Nord. Une logique que Benoît Cassart qualifie d’« incohérence intellectuelle totale ».

Il dénonce un raisonnement en silo, déconnecté d’une vision d’ensemble. Le même travers s’observe, selon lui, dans l’approche environnementale de l’élevage. « Si l’on veut réduire les émissions de CO2 dans une prairie, on y retire les vaches… pour ensuite importer de la viande du Brésil, avec en prime les émissions liées au transport », ironise-t-il. Une logique qui, à ses yeux, relève d’un contresens écologique.

« J’ai véritablement le sentiment que, dans ce dossier, nous assistons à un dialogue de sourds entre ceux qui connaissent la réalité du terrain et ceux qui prêtent une oreille complaisante aux ONG qui pratiquent la désinformation », déplore l’eurodéputé wallon.

L’élevage injustement stigmatisé

Faut-il encore le rappeler, Benoît Cassart co-préside l’intergroupe sur l’élevage durable, dont l’objectif, insiste-t-il, est de remplacer les jugements dogmatiques et systématiquement négatifs à l’égard de l’élevage, qu’ils concernent la santé, l’environnement ou le bien-être animal, par une approche rigoureuse et fondée sur la science.

« Nous souhaitons favoriser le dialogue entre les acteurs de terrain, les chercheurs et les institutions européennes, tout en reléguant au second plan certaines ONG dogmatiques, parfois malveillantes, qui s’emploient à discréditer le secteur de l’élevage » synthétise l’élu wallon.

L’intergroupe, particulièrement dynamique, organise régulièrement des rencontres thématiques, offrant la parole à des scientifiques de renom sur des enjeux ciblés touchant aux multiples facettes de l’élevage. Parmi les experts intervenants figurent notamment Éric Froidmont (Cra-w), Jean-François Hocquette (Inrae), Alice Stanton (University of Medicine and Health Sciences, Irlande) ou encore Irena Czycholl (Université de Copenhague).

Un cruel manque d’information au niveau des institutions

Le 5 mars dernier, les échanges ont justement porté sur la problématique du transport des animaux. À l’initiative de Benoît Cassart, plusieurs acteurs du secteur du transport animal sont venus faire entendre leur voix.

Cet événement, qui a rassemblé un large public, témoigne, selon l’élu libéral, d’une vive inquiétude partagée par les syndicats agricoles, les professionnels de l’élevage et les transporteurs eux-mêmes. Il souligne la nécessité d’informer davantage, dans un domaine où les institutions européennes manquent cruellement d’expertise.

Une étude présentée par l’Institut français du porc (Ifip) évalue le surcoût lié aux nouvelles mesures à environ 7€/porc.
Une étude présentée par l’Institut français du porc (Ifip) évalue le surcoût lié aux nouvelles mesures à environ 7€/porc.

Le moment fort de cette journée fut sans conteste la présentation d’un jeune couple de transporteurs français, auteurs d’un film retraçant leur mission d’acheminement d’animaux vers le Maroc. Le documentaire montre en toute transparence les différentes étapes (chargement, trajet, débarquement des animaux) et démontre qu’un transport réalisé dans les règles n’entraîne aucune atteinte au bien-être animal. « Ces professionnels n’ont fait qu’appliquer la législation en vigueur, comme le font d’ailleurs 99 % des transporteurs » résume M. Cassart.

L’intergroupe sur l’élevage durable poursuit sa mobilisation

La plupart des professionnels estiment que le respect strict des règles actuelles suffit à garantir le bien-être des animaux durant leur transport. Une étude présentée par l’Institut français du porc (Ifip) évalue en outre le surcoût lié aux nouvelles mesures à environ 7€/porc, soit une augmentation d’environ 5 % du prix carcasse, sans garantie d’amélioration significative du bien-être animal.

Une prochaine session organisée par l’intergroupe explorera les conséquences d’une diminution de l’élevage en Europe. En juillet, ce seront les éleveurs eux-mêmes qui seront invités à partager leur vision du métier. Par ailleurs, le député annonce la projection du documentaire « Un monde sans vache », le 21 mai prochain.

En attendant, le 15 mai prochain, une nouvelle réunion conjointe des commissions de l’Agriculture et des Transports est prévue. Les parlementaires y passeront en revue les quelque 3. 000 amendements déposés sur le texte.

Marie-France Vienne

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