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Un nouvel allié pour le bien-être animal dans les abattoirs

Longtemps cantonnée aux laboratoires et aux grandes entreprises technologiques, l’intelligence artificielle (IA) s’invite désormais dans les coulisses de l’agroalimentaire. Dans le secteur de la viande, elle commence à s’imposer dans les abattoirs où elle vient appuyer les efforts en matière de bien-être animal. Analyse d’images, détection d’anomalies, gain de temps pour les opérateurs, elle promet de transformer ce maillon sensible de la chaîne agroalimentaire. Pour nous éclairer sur ces évolutions, nous sommes allés à la rencontre de Michael Gore, administrateur délégué de la Fédération belge de la viande (Febev).

Temps de lecture : 7 min

L’IA s’inscrit dans une dynamique de modernisation du secteur, répondant à des exigences accrues en matière d’éthique et de contrôle. Et c’est précisément dans les abattoirs que son application se fait aujourd’hui la plus concrète.

Le bien-être animal au cœur des préoccupations

Une évolution qui s’inscrit dans le prolongement logique des préoccupations liées au bien-être animal, lesquelles ont connu un tournant décisif avec la signature, en décembre 2017, d’une convention entre le secteur de la viande, représenté notamment par la Febev et les autorités wallonnes.

Pour rappel, cet accord impose l’installation de caméras à des endroits stratégiques des abattoirs : zones de déchargement, étables, couloirs de conduite, postes d’étourdissement et de saignée. L’objectif consiste à garantir un suivi rigoureux des conditions d’abattage, renforcer la transparence des pratiques et assurer leur conformité avec la législation en vigueur.

Or, « cette surveillance vidéo continue représente une charge importante pour les opérateurs, contraints d’analyser des heures de séquences chaque jour » développe Michael Gore.

Grâce à l’IA, les opérateurs ne sont plus contraints de visionner d’interminables heures de vidéos pour repérer d’éventuelles anomalies. Les algorithmes d’analyse d’images identifient automatiquement les séquences problématiques (comportements atypiques, non-respect des procédures, manipulation brutale) et les signalent aux équipes de contrôle. Celles-ci peuvent alors concentrer leur attention sur des extraits ciblés, significatifs, et intervenir de manière plus rapide et pertinente.

« On passe d’un contrôle passif à un contrôle actif », résume Michael Gore, qui insiste sur l’importance de percevoir cette technologie comme un outil d’appui. « Elle ne remplace pas l’humain, elle le renforce, en allégeant sa charge tout en augmentant sa capacité de réaction » dit-il.

aWISH, une initiative européenne pilote

Parmi les projets structurants à l’échelle européenne, Michael Gore met en lumière aWISH (Animal Welfare Indicators at the Slaughterhouse), porté par le programme Horizon Europe. Ce projet vise à évaluer de manière continue et objective le bien-être des animaux au sein des abattoirs, en s’appuyant sur des technologies de pointe : capteurs environnementaux, dispositifs d’analyse comportementale, algorithmes de détection du stress ou de la douleur. Concrètement, ces systèmes mesurent en temps réel une série d’indicateurs clefs, tant au niveau de l’abattage que lors du transport ou des phases amont de l’élevage.

Grâce à l’IA, « on passe d’un contrôle passif à un contrôle actif », se félicite Michael Gore.
Grâce à l’IA, « on passe d’un contrôle passif à un contrôle actif », se félicite Michael Gore. - Febev.

Le projet, centré pour l’instant sur les porcs et les poulets de chair, repose sur une logique collaborative inédite, puisque l’ensemble des maillons de la chaîne, du producteur au distributeur, accède en temps réel à une interface partagée regroupant les données collectées. Cette transparence opérationnelle permet non seulement d’ajuster rapidement les pratiques, mais aussi d’anticiper les situations à risque et de corriger les écarts avant qu’ils ne prennent une ampleur problématique. En conjuguant innovation technologique et intelligence collective, aWISH esquisse ainsi les contours d’une gestion plus proactive, et surtout plus responsable, du bien-être animal.

L’intelligence artificielle joue ici un rôle clef. En détectant instantanément les comportements anormaux, elle permet aux opérateurs d’intervenir immédiatement, avant qu’un incident ne dégénère ou ne soit capté par les caméras intrusives d’organisations militantes.

« Plutôt que de subir une exposition médiatique défavorable, les abattoirs peuvent eux-mêmes repérer et corriger d’éventuelles dérives », fait valoir Michael Gore. Et d’ajouter que cela permet « de reprendre la main sur la narration, en démontrant que des mesures concrètes sont prises pour garantir le respect du bien-être animal. »

Mieux comprendre pour mieux agir

L’objectif n’est pas de pointer un opérateur en particulier, mais d’identifier des comportements à risque. L’IA permet d’objectiver les pratiques, d’engager une réflexion sur les processus en place et, surtout, de localiser précisément l’origine d’un problème.

Ainsi, si une situation problématique survient, il devient possible de démontrer qu’elle trouve sa source non pas dans l’abattoir, mais en amont de la chaîne, par exemple au niveau du transport ou chez le producteur.

Pour l’administrateur délégué de la Febev, « cette approche factuelle favorise des échanges constructifs, fondés sur des données tangibles, et permet de corriger les dysfonctionnements, qu’ils relèvent du comportement humain ou de l’infrastructure, dans une optique d’amélioration continue ».

Pourtant, les membres de la Febev sont encore peu nombreux à avoir franchi le pas de ces technologies, même si l’intérêt pour leur mise en œuvre ne cesse de croître. « L’ensemble de notre conseil d’administration s’est montré favorable à l’idée d’explorer les possibilités d’intégration de ce type de dispositif au sein de tous nos abattoirs affiliés », confie Michael Gore.

Il souligne au passage que certains pays, notamment en Scandinavie, ont une longueur d’avance en la matière. C’est que là-bas, des normes particulièrement rigoureuses en matière de protection animale coexistent avec une collaboration étroite entre scientifiques, industriels et pouvoirs publics. Le secteur agroalimentaire, à la fois structuré et technologiquement mature, bénéficie en outre d’une forte digitalisation. À cela s’ajoute une opinion publique exigeante, qui pousse à davantage de transparence et d’éthique dans les pratiques.

Portés par des financements européens ciblés, comme ceux du programme Horizon Europe, la Norvège, la Suède ou encore le Danemark s’imposent ainsi comme de véritables laboratoires à ciel ouvert de l’innovation dans la filière viande.

La sécurité alimentaire comme nouvelle frontière

L’organisme représentant les abattoirs, les ateliers de découpe et les grossistes s’intéresse plus largement de près aux multiples applications que l’IA peut offrir à son secteur. C’est ainsi qu’à l’occasion de son assemblée générale de juin dernier, la Febev avait réuni trois experts afin d’illustrer le potentiel qu’elle pourrait apporter.

À côté du cabinet Deloitte qui y a présenté son logiciel AI4Animals, conçu pour optimiser le bien-être animal dans les abattoirs, une entreprise norvégienne spécialisée dans l’amélioration du rendement de la découpe et de la transformation de la viande a démontré comment l’IA pouvait exploiter les données internes d’un site afin de détecter d’éventuelles marges de progression dans l’organisation et les performances des unités de production. Enfin, la société iComply s’est illustrée par une approche centrée sur la sécurité alimentaire. Elle propose une analyse intelligente des nombreuses bases de données européennes liées aux retraits de produits, aux non-conformités, ou encore aux incidents survenus aux frontières ou dans le cadre des exportations vers les États-Unis et les pays tiers.

En agrégeant et en croisant ces informations, son système permet d’identifier en temps réel des risques émergents, offrant ainsi une capacité d’anticipation précieuse pour les professionnels du secteur. L’IA, en accélérant l’analyse des données et en révélant des tendances jusqu’alors invisibles, s’impose progressivement comme un outil stratégique pour renforcer la performance, la conformité et la sécurité dans l’industrie de la viande.

 

Une optimisation logistique encore marginale

Au-delà des considérations liées au bien-être animal, l’IA s’impose également comme un levier d’optimisation logistique, en particulier dans les processus de scannage et d’identification des produits.

Grâce à des systèmes intelligents, il est désormais possible d’orienter automatiquement les articles vers l’unité de conditionnement adéquate, sans qu’une intervention humaine soit nécessaire.

Une tâche qui, jusqu’ici, incombait à un opérateur chargé d’inspecter manuellement chaque boîte et d’en encoder les données, est désormais confiée à des algorithmes capables d’exécuter cette opération de manière plus rapide et systématique.

« Cette automatisation reste toutefois marginale à l’échelle du secteur car seules quelques entreprises y ont recours pour le moment », tempère Michael Gore.

 

Les atouts de l’IA et ses possibles dérives

L’usage de l’IA dans l’industrie agroalimentaire semble offrir de nombreux atouts, notamment l’optimisation des processus de production, l’amélioration de la qualité des produits, et une gestion plus efficace des ressources. Grâce à des technologies comme l’analyse prédictive, la robotisation ou l’automatisation des lignes de production, les entreprises peuvent certainement réduire les coûts, accroître leur productivité et mieux répondre à la demande des consommateurs. Sans compter que l’IA permet une meilleure traçabilité des produits, renforçant ainsi la sécurité alimentaire et la transparence.

Son utilisation soulève néanmoins plusieurs interrogations. L’automatisation des processus ne pourrait-elle entraîner des pertes d’emplois dans certains secteurs, où les machines et algorithmes viendraient remplacer les tâches humaines ? Par ailleurs, l’IA risque de creuser davantage le fossé entre grandes et petites entreprises, exacerbant ainsi les inégalités existantes.

Sans compter que la concentration des données entre les mains de quelques géants technologiques pourrait remettre en question les notions de transparence et de sécurité…

Marie-France Vienne

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