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Courrier des lecteurs : la laine, à double fil

Du temps de ma grand-mère, il était de coutume d’aller chez la couturière pour faire « piquer » une couverture. Un tissu de qualité avec souvent des motifs floraux et à l’intérieur, une belle laine. L’ensemble était grillagé d’une multitude de points de couture afin de retenir uniformément la laine sur toute la couverture. De qualité, chaude et lestée, chaque couverture piquée était ainsi un beau produit artisanal et unique.

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Et puis, patatras. L’industrialisation est venue bousculer la vie de nos grands-parents qui ont bravement résisté à bon nombre de sottises mais nos parents ou même vous chers lecteurs, vous avez reçu de plein fouet les annonces publicitaires des industriels. Les productions de masse ont rempli les étalages des nouvelles grandes surfaces et désormais, ce qu’on pensait original et moderne, était en réalité partagé parmi des millions de foyers. L’exemple le plus flagrant ce serait peut-être Ikea. Il y a dix ans, j’y suis entrée pour la première fois de ma vie et j’en suis ressortie complètement abasourdie. Bien que je n’y fusse jamais entrée, je reconnaissais l’entièreté des meubles et textiles. Finalement, il n’y avait plus aucune singularité nulle part, tout le monde suivait la mode dictée par ces géants comme des moutons.

Et pourtant, on aurait pu faire autrement car les ovins n’ont jamais déserté la Belgique mais malgré tout, la filière de valorisation de la laine s’écroule. Là. Sous nos yeux. Alors que franchement, on n’a vraiment pour le coup aucune excuse. Rendez-vous compte, le seul centre de lavage de laine en Europe qui est resté et reste toujours aujourd’hui en activité est situé à… Verviers ! Mais non, mais non. Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise, moi. Une fois de plus, voici un exemple incroyable de cet indéfectible complexe d’infériorité qu’on a en Belgique de croire qu’on fait moins bien que les autres. Alors bien qu’on ait le seul centre de lavage de laine sur tout le continent, on importe ! Voyez le tableau : on a nos éleveurs belges qui tondent leurs moutons mais ne savent pas quoi faire de cette laine. Même « en stoemelings », elle ne brûle pas, ne se détériore pas… Alors on importe. Pour le coup, on est bien en Belgique car Magritte aurait pu nous dire « Ceci n’est pas de la laine ».

Alors quelle laine est-ce qu’on achète ? Au marché de noël de Woluwé-Saint-Lambert, on vous y vend des chaussettes en laine véritable de Mérinos à 50 € la paire. Je ne vous donne pas le prix de l’écharpe, vous risqueriez de vous étrangler avec. Mais oui madame, qu’on vous dira, c’est de la laine véritable de Mérinos . C’est bien joli ça le Mérinos, mais qui sait déjà pourquoi cette laine serait meilleure que la nôtre ? Et autre question, elle vient d’où cette laine ?

Comme la quasi totalité de la viande ovine que vous achetez en grande surface, la laine aussi vient d’Australie. Ce grand continent qui est à l’exact opposé de la Belgique et qui a donc la plus grande empreinte carbone possible au niveau importation, pratique des conditions d’élevage qui sont tout autant diamétralement opposées à celles de nos éleveurs.

Là-bas, les fermes sont aussi grandes que la Belgique. Ce n’est pas au seau qu’on ramène les brebis, mais à l’hélicoptère. Vous l’aurez compris, les domaines sont démesurés et les pratiques aussi. Par mesure de prévention contre les parasites, donc on n’est même pas dans une démarche curative, on enferme les animaux dans une sorte de piscine, qu’on remplit ensuite d’une mixture. Quand je vous dis remplir, un toit plat vient s’abaisser par-dessus pour non seulement fermer cette piscine, mais être lui-même immergé. En dessous, des moutons entièrement enfouis, qui n’ont plus aucune chance de respirer. Cette étape dure de longues secondes qui s’étirent dans une attente insoutenable, quand on sait que les animaux sont en apnée, pour ceux qui en sont capables. Les images ont fait le tour des réseaux sociaux.

Plus glauque encore, on y pratique le Mulesing sur les agneaux âgés d’à peine quelques semaines. C’est une pratique qui consiste à découper des lambeaux de peau autour du siège de l’agneau, sans aucune anesthésie. Ils sont retournés sur le dos, avec chacune de leur patte fermement attachée. Ils ne peuvent plus bouger et sont mutilés au scalpel. Pourquoi font-ils ça ? Encore une fois, pour s’économiser du travail. La cicatrisation d’une nouvelle peau plus lisse et donc moins plissée, permettrait de limiter les infestations de myases (les vers) sur cette zone rendue sensible par la présence des excréments. On diminue ainsi la surveillance des animaux. Et puis comme ce n’est pas tout, les Australiens se vantent d’avoir réalisé une sélection génétique sur des dizaines d’années pour accroître la qualité de la laine, ou plutôt, la production de la laine. Elle pousse si vite que des moutons perdus dans la nature se retrouvent au bout de quelque temps avec plus de quarante kilos sur leurs squelettes, incapables de soutenir un tel poids s’ils ne sont pas tondus à un rythme soutenu.

Alors aussi chaude soit elle, cette laine de Mérinos me glace le sang.

Aujourd’hui, la filière de la valorisation de la laine en Belgique s’est relevée grâce à l’initiative d’une poignée de personnes passionnées qui ont réussi ce pari fou. La laine, celle de chez nous, c’est celle de nos moutons qui pâturent dans nos belles campagnes. C’est ensuite un savoir-faire belge qui la magnifie et qui nous la rend avec ses mille vertus. Que ce soit pour isoler, réduire l’acoustique, dormir ou même tricoter. Belle et noble, elle se charge également d’histoires. Jamais, au grand jamais, on ne mettra dans un grand sac noir de vêtements de seconde main les pulls que ma grand-mère a tricotés pour mes frères et moi en mailles épaisses. Ses tricots nous tenaient au chaud et ont protégé des décennies plus tard nos propres enfants. Ils sont chargés d’une mémoire et cette laine devient un héritage familial, tout comme cette couverture piquée.

Maintenant vous savez tout. Choisissez bien votre laine, car elle peut être à double fil.

Valérie Neysen

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