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L’agriculture régénératrice s’impose dans le débat européen

Pour la première fois, le Comité économique et social européen (Cese) a consacré un avis officiel à l’agriculture régénératrice. Présenté en septembre devant la commission de l’Agriculture (Comagri) du parlement européen, ce modèle entend conjuguer durabilité alimentaire, compétitivité et résilience face au changement climatique.

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« Aucun document officiel européen n’avait encore mentionné l’agriculture régénératrice », a précisé Stoyan Tchoukanov, rapporteur du Cese, devant les eurodéputés de la Comagri. L’avis adopté en juin par l’institution, intitulé « L’agriculture régénérative au service d’une meilleure production alimentaire durable contribuant aux objectifs en matière de climat et de biodiversité », marque une étape inédite : c’est la première fois qu’une instance communautaire confère une reconnaissance institutionnelle à ce modèle agricole, présenté comme l’un des piliers possibles de la transition écologique et économique des campagnes.

Une agriculture centrée sur la santé des sols

L’agriculture régénératrice repose sur une idée simple mais déterminante : replacer le sol au centre des systèmes alimentaires. Ses méthodes visent à restaurer la fertilité, à renforcer la biodiversité et à accroître la capacité des terres à stocker du carbone. « Ce ne sont pas des prescriptions figées mais des solutions adaptées au contexte de chaque ferme », a expliqué M. Tchoukanov, insistant sur la liberté laissée aux agriculteurs de définir leurs pratiques.

Le Cese propose une définition commune : une approche adaptative et centrée sur les résultats, appliquant des méthodes scientifiquement validées, qui apportent des bénéfices tangibles non seulement à l’environnement mais aussi aux communautés agricoles et à la santé publique. En ce sens, elle entend dépasser les cloisonnements entre agriculture biologique, conventionnelle ou intégrée, pour ouvrir un champ plus large d’expérimentation et de transition.

Mesurer pour crédibiliser

Pour sortir du flou, l’avis insiste sur la nécessité de mesurer les effets réels de ces pratiques. Le Cese préconise des indicateurs de performance à court et à long terme : couverture végétale, évolution de la fertilité, stockage du carbone. Les satellites du programme Copernicus offrent déjà des outils pour le suivi à grande échelle, tandis que les analyses de sols pratiquées par les agriculteurs permettent une observation fine et concrète.

« Nous devons nous concentrer sur ce qui se passe sous nos pieds », a martelé le rapporteur, rappelant que la restauration des systèmes microbiens et fongiques du sol est essentielle à la séquestration du carbone et à la productivité des cultures. Cette logique de résultats, plus que l’adhésion à un cahier des charges, constitue la rupture majeure introduite par l’agriculture régénératrice.

Enthousiasmes et critiques au parlement

L’intervention du Cese a suscité des réactions contrastées au sein de la Commission agri. L’Espagnole Heranz-Garcia s’est félicitée de la reconnaissance de ces pratiques, rappelant que son pays avait depuis longtemps expérimenté une « agriculture intégrée », désormais reconnue comme régénératrice, notamment dans la gestion des ravageurs. Elle a néanmoins soulevé des questions sur le rôle des nouvelles techniques d’édition génétique et sur la difficulté de concilier ambitions écologiques et restrictions budgétaires.

D’autres députés se sont montrés plus sceptiques. Pour certains, l’agriculture régénératrice, « sans définition précise », reste trop éloignée des réalités quotidiennes de la majorité des exploitants et fait l’impasse sur la question de la souveraineté alimentaire. L’un d’eux a même dénoncé une déclinaison du « funeste Pacte Vert », jugé pénalisant face à une concurrence internationale hyper-productiviste.

La députée italienne Isabella De Monte a adopté une posture plus prudente : tout en saluant l’initiative, elle a averti du risque de « greenwashing » industriel. S’appuyant sur un rapport de l’ONG Friends of the Earth, elle a rappelé que 93 % des surfaces dites régénératrices aux États-Unis utilisaient encore des herbicides toxiques. Elle a plaidé pour que l’agriculture régénératrice soit une véritable transition vers des pratiques durables, et non une simple façade, parlant aussi en tant qu’agricultrice engagée dans la transformation de sa propre exploitation.

La commission en soutien mesuré

En conclusion des échanges, la commission a apporté son appui, par la voix de Gijs Schilthuis, chef d’unité à la DG Agriculture et développement rural. « Les systèmes agricoles comme l’agriculture régénératrice sont bons pour l’environnement et pour la viabilité économique », a-t-il déclaré, rappelant le rôle clef des sols dans les services écosystémiques et la productivité.

La Pac, a-t-il précisé, offre déjà des outils tels que les écorégimes, et les propositions présentées le 16 juillet prévoient d’y ajouter un nouvel instrument destiné à financer la transition volontaire vers des systèmes plus résilients, grâce à des paiements de transition. La Commission entend aussi accélérer le transfert de connaissances et renforcer les services de conseil indépendants, tout en soutenant l’innovation agricole dans le cadre de la Pac post-2027.

Surtout, l’Exécutif confirme sa volonté de passer à des « schémas de résultats », déjà expérimentés par certains États membres, et de réduire la charge administrative pour les agriculteurs. Des indicateurs robustes, portant par exemple sur les émissions de gaz à effet de serre ou sur la teneur en matière organique des sols, devront être définis en partenariat avec les États et les acteurs de terrain. « Le rapport du Cese constitue une source d’inspiration », a souligné M. Schilthuis, insistant sur la convergence entre les propositions de l’institution et la vision de la commission.

Un débat désormais européen

Entre promesses de durabilité, interrogations sur les coûts et craintes de récupération par certains acteurs, l’agriculture régénératrice n’a pas fini de susciter débats et controverses. Mais pour la première fois, elle entre officiellement dans le champ des politiques européennes. « L’agriculture régénératrice n’est pas une injonction, mais une liberté donnée aux agriculteurs de trouver les solutions les plus adaptées », a conclu Stoyan Tchoukanov. Un choix qui pourrait bien redessiner l’avenir des campagnes européennes.

Marie-France Vienne

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