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Pac : au cœur d’un bras de fer budgétaire et générationnel

Réunis au parlement européen le 25 septembre dernier, eurodéputés et élus nationaux ont dressé un constat sévère : revenus en berne, concurrence internationale exacerbée, aléas climatiques répétés. Mais c’est aussi l’absence de perspectives pour les jeunes agriculteurs qui hante les débats sur la prochaine Pac.

Temps de lecture : 5 min

La commission de l’Agriculture du parlement européen (Comagri) a accueilli une réunion interparlementaire inédite depuis 2021. Dans une atmosphère à la fois studieuse et tendue, eurodéputés et élus des parlements nationaux ont confronté leurs diagnostics sur l’avenir de la Pac, alors que s’ouvre la discussion sur le prochain cadre financier pluriannuel.

Dès l’ouverture, le commissaire Christophe Hansen a dressé un tableau des vulnérabilités accumulées : sécheresses au Nord, inondations dans les pays baltes, incendies en Espagne, effondrement de la rentabilité dans plusieurs filières. « Les agriculteurs sont les premières victimes du changement climatique », a-t-il affirmé, tout en reconnaissant l’étroitesse de la « réserve agricole » actuelle.

Il a promis d’agir sur trois fronts : améliorer l’équité dans la chaîne de valeur en luttant contre les pratiques commerciales déloyales, simplifier la mise en œuvre de la Pac, et défendre des conditions de concurrence justes face aux importations traitées avec des substances interdites en Europe. Mais ses assurances n’ont pas suffi à dissiper les doutes sur la capacité réelle de l’UE à financer ces ambitions.

La Belgique à l’offensive

Au fil des interventions, le constat s’est imposé : les agriculteurs européens vivent une crise de revenu structurelle. Polonais, Portugais, Français ou Finlandais décrivent tous la même impasse : des coûts de production en hausse, des prix insuffisants à la ferme et des marges captées en aval par la grande distribution.

Dans son intervention, Willy Borsus a insisté sur le caractère vital de l’agriculture et sur le moment «crucial » dans lequel s’inscrit ce débat. Il a dénoncé la baisse annoncée du budget agricole, la renationalisation partielle de la Pac et la dilution des fonds dans un ensemble budgétaire unique. Pour lui, il est urgent de renforcer la position des agriculteurs dans la chaîne de négociation, en adaptant notamment les règles de l’OCM.

Tout en appelant à poursuivre la simplification administrative, il a souligné la nécessité de consolider les filets de sécurité pour protéger les revenus face aux crises climatiques, sanitaires ou de marché. L’accès au foncier, en particulier pour les jeunes, demeure selon lui un enjeu décisif pour l’avenir des campagnes. Enfin, il a mis en garde contre l’impact cumulatif des accords commerciaux, à commencer par celui envisagé avec le Mercosur, qui alimente la concurrence déloyale et fragilise la confiance du monde agricole.

L’appel pressant des jeunes agriculteurs

Mais c’est l’intervention du Néerlandais Peter Meedendorp, représentant des jeunes agriculteurs européens (Ceja), qui a marqué les esprits. Avec un âge moyen de 57 ans, l’agriculture européenne s’expose à une crise démographique. « Sans revenu stable et sans perspective claire, la transmission restera un vœu pieux », a-t-il martelé.

Il a réclamé la création d’un fonds spécifique pour soutenir les installations, une politique foncière plus transparente afin de faciliter l’accès à la terre et un cadre réglementaire « ambitieux mais non dogmatique », qui laisse place à l’innovation et ne pénalise pas systématiquement l’erreur. Plusieurs délégations ont appuyé ses demandes, conscientes que sans nouvelles générations, l’agriculture européenne pourrait perdre une part de sa capacité de production dès la prochaine décennie.

Jacob Jensen, la voix du pragmatisme danois

Si Christophe Hansen a défendu l’action de la commission, certains ont pointé le risque d’une approche trop technocratique. Jacob Jensen, le ministre danois qui préside le conseil des ministres européens de l’Agriculture, a insisté sur la nécessité d’une Pac lisible et pragmatique.

« Chaque nouvelle règle vient s’empiler sur les précédentes, transformant la paperasserie en un obstacle insurmontable », a-t-il dénoncé, plaidant pour une simplification réelle et une politique commune adaptée à la diversité des agricultures européennes. Tout en reconnaissant l’urgence climatique soulignée par M. Hansen, il a mis en garde contre des réglementations conçues à à la commission mais difficiles à appliquer dans les exploitations. Selon lui, la Pac doit garantir avant tout aux agriculteurs « la liberté de produire dans des conditions justes », condition indispensable pour maintenir la compétitivité et attirer une nouvelle génération vers la profession.

La deuxième partie de la réunion a porté sur la gestion des risques, désormais au cœur des préoccupations. Incendies, sécheresses, inondations, maladies animales et volatilité des prix mettent à nu les limites des outils actuels. Le président du Copa-Cogeca a rejeté la proposition budgétaire de la commission, jugée incapable de répondre aux besoins. Pour lui, la gestion du risque doit devenir un pilier stratégique de la Pac, afin de protéger les exploitations autant contre les aléas climatiques que contre les secousses des marchés agricoles, de plus en plus exposés aux spéculations.

Le représentant de la Banque européenne d’investissement (Bei), Felipe Ortega, a souligné que seuls 20 à 30 % des risques climatiques sont actuellement couverts par des assurances. Il a plaidé pour un meilleur accès au crédit et pour le développement d’outils innovants, comme les assurances paramétriques. Les interventions des délégations nationales ont mis en lumière la diversité des préoccupations, mais aussi des convergences. En Italie, on redoute des coupes budgétaires qui risqueraient de « mettre à genoux » un secteur déjà fragilisé. En Grèce, on rappelle que le revenu agricole demeure 60 % inférieur au salaire moyen, contribuant à l’exode rural.

Entre ambitions et moyens : l’équation impossible ?

Au terme de plusieurs heures d’échanges, deux lignes de force se sont dégagées. La première consiste à doter les exploitants d’outils solides face aux crises : assurances accessibles, réserves stratégiques, dispositifs de réassurance européens. La seconde vise à assurer une concurrence loyale en imposant des clauses miroirs dans les accords commerciaux. Mais une question reste pendante : comment financer ces ambitions, alors que la commission envisage de réduire la part de la Pac dans le prochain cadre financier pluriannuel ? Pour beaucoup, cette contradiction est intenable : l’Europe ne peut pas exiger davantage de ses agriculteurs tout en leur accordant moins.

Mais au-delà des interventions, une inquiétude a traversé les esprits : et si la Pac, longtemps colonne vertébrale de l’intégration européenne, devenait le symbole de son affaiblissement ?

Marie-France Vienne

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