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Interrogation sur «un avenir durable» pour le secteur de l’élevage

Face à la chute du nombre d’exploitations, aux crises sanitaires et à la pression des normes environnementales, le parlement européen s’est penché sur l’avenir de l’élevage. Autour d’un rapport d’initiative porté par le démocrate-chrétien italien Carlo Fidanza, les eurodéputés ont exposé leurs divergences : comment préserver la souveraineté alimentaire et les territoires ruraux tout en répondant aux exigences de durabilité et de bien-être animal ?

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« Comment assurer un avenir durable au secteur de l’élevage de l’UE compte tenu de la nécessité de garantir la sécurité alimentaire et la résilience des agriculteurs et de répondre aux défis posés par les maladies animales ? ».

Tel était l’intitulé de la réunion organisée par la commission de l’agriculture (Comagri) du parlement, le 24 septembre dernier. C’est autour du rapport d’initiative présenté par l’Italien Carlo Fidanza, que les débats se sont engagés. Derrière cette formule programmatique, les élus ont livré leurs diagnostics et leurs divergences sur l’avenir d’une filière fragilisée.

Un secteur en recul

Le constat est largement partagé. En dix ans, l’Europe a perdu près de trois millions d’exploitations, dont la majorité dans l’élevage. Le cheptel s’amenuise, tandis que les crises sanitaires se multiplient et que les coûts de production atteignent des niveaux insoutenables. À cela s’ajoute une crise démographique : les jeunes ne reprennent plus les fermes, rebutés par la charge de travail et la faiblesse des revenus.

« Être éleveur, c’est un métier sept jours sur sept, sans congés ni arrêts maladie », a rappelé l’eurodéputé wallon Benoît Cassart. Dans de nombreux États membres, la disparition progressive des éleveurs menace non seulement la souveraineté alimentaire, mais aussi la vitalité de territoires ruraux déjà fragiles.

Des visions politiques divergentes

Le rapport Fidanza, qui a suscité pas moins de 715 amendements, a révélé des divergences profondes. Les conservateurs soulignent le rôle de l’élevage dans la sécurité alimentaire et défendent une régulation « fondée sur les résultats » plutôt que sur des obligations de moyens. Les sociaux-démocrates insistent sur la diversité des modèles agricoles et sur la nécessité d’encourager innovation, formation et renouvellement générationnel.

Les libéraux, eux, mettent en avant la compétitivité, par la recherche génétique, l’allègement administratif et l’adaptation des politiques sanitaires aux effets du changement climatique. À gauche, les critiques sont plus tranchées : pour le groupe The Left, le rapport réduit la notion de durabilité à une logique de compétitivité, quand les Verts dénoncent le recours massif aux importations de protéines végétales pour nourrir le bétail, jugé incompatible avec l’autonomie et la durabilité.

Le débat sur l’élevage intensif a cristallisé les tensions. Les critiques dénoncent des pratiques qui sacrifient le bien-être animal et transforment les animaux en simples unités de production. L’Allemand Sebastian Everding a évoqué le cas des dindes élevées en Allemagne, dont les capacités naturelles de vol ou de course disparaissent, remplacées par une croissance accélérée aux lourdes conséquences physiologiques.

Le rapporteur Carlo Fidanza, lui, plaide pour une approche plus nuancée. Il a cité des exploitations intensives en Lombardie où l’innovation permet de conjuguer production de biogaz, circularité des ressources et respect des normes de bien-être animal. « Il est possible d’avoir un élevage intensif durable », a-t-il insisté, en appelant à soutenir ces modèles vertueux.

Vers un consensus sur le commerce et les normes

Un terrain d’entente a toutefois émergé : la réciprocité des normes commerciales. Nombre de députés ont insisté sur le fait que les importations devraient respecter les mêmes standards sanitaires, environnementaux et de bien-être animal que ceux imposés aux éleveurs européens. Faute de quoi, préviennent-ils, l’Union exposerait ses producteurs à une concurrence déloyale insoutenable.

En arrière-plan, d’autres sujets sensibles ont ressurgi : l’inflation normative européenne, la directive sur les émissions industrielles ou encore les effets potentiels du Pacte Vert. Certains élus appellent à desserrer l’étau réglementaire pour ne pas accélérer la disparition des élevages.

La commission plaide pour une « transition juste »

La commission, invitée à réagir, a salué « un rapport holistique » qui reflète à la fois l’importance stratégique du secteur et la nécessité de son adaptation. Ses représentants ont rappelé que l’élevage joue un rôle majeur dans la sécurité alimentaire, l’emploi rural et la cohésion territoriale, tout en soulignant l’urgence de renforcer la prévention contre les zoonoses.

L’exécutif européen a insisté sur la notion de « transition juste » : accompagner financièrement et techniquement les éleveurs pour qu’ils puissent répondre aux nouvelles exigences sans sacrifier leurs revenus.

Le rapport Fidanza doit maintenant être retravaillé. Le vote en commission est prévu en janvier, puis en plénière en février.

Au-delà du calendrier parlementaire, le débat reflète une tension de fond : comment conjuguer souveraineté alimentaire, compétitivité économique et exigence de durabilité ? La question, posée en ouverture de la réunion par le titre même de ses travaux, reste entière : comment assurer un avenir durable à l’élevage européen, alors que les éleveurs, déjà éprouvés, peinent à entrevoir un futur viable ?

Une équation politique et sociale

Ce débat, au-delà de ses aspects techniques, révèle un dilemme plus profond. L’Europe cherche à maintenir un secteur qui fait vivre des millions de familles et structure ses paysages, tout en répondant aux impératifs climatiques et au souci croissant du bien-être animal. Les élus oscillent entre la défense d’une agriculture enracinée dans les territoires et la pression de réformes écologiques jugées indispensables.

Cette équation, éminemment politique, est aussi sociale : la reconnaissance du rôle des éleveurs, la lutte contre la détresse psychologique et la garantie d’un revenu digne deviennent des conditions préalables à toute réforme. Faute de quoi, le risque est grand que l’Europe ne se réveille un jour sans éleveurs, dépendante de ses importations pour nourrir sa population.

Marie-France Vienne

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