Les femmes, colonne vertébrale du monde rural européen
Dans un projet d’avis présenté au parlement européen, la députée écologiste néerlandaise Anna Strolenberg a appelé à briser l’invisibilité des femmes rurales. Son texte sur l’entrepreneuriat féminin dans les zones rurales, insulaires et ultrapériphériques fait de l’égalité entre les sexes un levier de développement pour des territoires souvent oubliés.

« Les femmes sont la pierre angulaire de nos économies rurales », a-t-elle affirmé, rappelant que leur rôle dépasse la simple exploitation agricole : elles sont entrepreneures, innovatrices, soignantes, artisanes du lien social. Pourtant, leurs contributions demeurent trop souvent invisibles, « sous-évaluées ou dénuées de reconnaissance formelle », a-t-elle déploré.
Des inégalités enracinées dans les structures rurales
Le constat dressé par la rapporteure est sans appel. Dans l’UE, les femmes représentent à peine 30 % des cheffes d’exploitation agricole. Leurs fermes sont généralement plus petites, moins rentables et donc moins soutenues par les aides publiques. En moyenne, leur taux d’emploi reste inférieur de treize points à celui des hommes.
Cette inégalité économique se double d’un héritage social : dans bien des régions, la transmission des terres demeure gouvernée par un modèle patriarcal, « de père en fils ». Les épouses ou compagnes d’agriculteurs, qui partagent pourtant les tâches de gestion et de production, restent souvent sans statut ni protection. Privées de droits à pension, d’assurance maladie et de congés de maternité, elles demeurent à la périphérie du système économique. Pour Mme Strolenberg, « il est temps de rompre avec cette invisibilité historique ». Elle appelle les États membres à reconnaître juridiquement le travail des conjointes sur les exploitations et à leur garantir un accès effectif à la propriété, au crédit et aux aides européennes.
Une égalité économique à construire
L’accès au financement constitue l’un des nœuds de cette inégalité. Bien que près d’un tiers des entrepreneurs européens soit des femmes, celles-ci ne perçoivent que 2 % du financement non bancaire disponible. La députée néerlandaise plaide pour une refonte des dispositifs de crédit et pour la promotion de microfinancements adaptés à la taille des entreprises dirigées par des femmes. Elle souhaite aussi que les politiques financières européennes intègrent systématiquement une dimension de genre.
Mais l’enjeu dépasse les chiffres. Dans les campagnes européennes, la vie économique féminine se heurte à des contraintes concrètes : le manque d’accès à la santé, aux transports, à la formation et aux structures d’accueil pour enfants. Mme Strolenberg a rappelé que sans ces services de base, aucune politique d’émancipation ne peut réussir. Elle appelle les États à appliquer les objectifs de Barcelone, qui prévoient un investissement accru dans des services de garde accessibles et de qualité.
La question oubliée des violences de genre
Rare dans un débat sur l’agriculture, la question des violences faites aux femmes s’est invitée au cœur du rapport. Dans les zones rurales, l’isolement et la stigmatisation aggravent les risques de violence domestique et économique. La rapporteure plaide pour des lignes d’assistance dédiées, des refuges et des unités mobiles de soutien.
« L’entrepreneuriat et la sécurité vont de pair », a-t-elle souligné. « Une femme ne peut pas bâtir une entreprise si elle n’est pas en sécurité chez elle ou dans sa communauté ». Cette phrase rappelle que la liberté économique reste indissociable de la liberté physique et morale.
Des soutiens modérés, des oppositions franches
Les réactions des eurodéputés ont reflété la diversité politique du parlement. Une conservatrice allemande a salué le travail de la rapporteure, tout en interrogeant la commission sur sa capacité à généraliser les initiatives locales réussies, comme le programme Leader, qui soutient les projets ruraux portés par des femmes.
La socialiste espagnole Cristina Maestre a regretté la lenteur des progrès : seuls 8 États membres, selon elle, ont intégré la dimension de genre dans leurs plans stratégiques de la Pac. Elle a plaidé pour un meilleur accès des femmes à la terre, au crédit et aux marchés, ainsi qu’un renforcement des réseaux féminins d’innovation.
À l’inverse, les groupes souverainistes ont dénoncé un texte « idéologique » et une « ingérence bruxelloise dans les affaires nationales ». Selon eux, les difficultés agricoles relèvent avant tout d’un abandon général du monde rural et non d’une question de genre. « La passion agricole n’a pas de sexe », a lancé un député, fustigeant une approche « déconnectée des réalités des campagnes ».
La commission promet une nouvelle approche
Face à ces débats, la commission a tenu à réaffirmer son engagement. Le représentant de la commission, Gijs Schilthuis, a salué la cohérence du rapport Strolenberg avec les priorités de l’exécutif. Il a rappelé que les femmes ne représentent que 31,6 % des gestionnaires d’exploitations et que seulement 2 % d’entre elles ont moins de 40 ans, un chiffre alarmant pour le renouvellement des générations agricoles.
La commission s’est engagée à renforcer la perspective de genre dans la Pac post-2027, à maintenir le programme Leader et à créer, d’ici 2026, une plateforme européenne pour les femmes dans l’agriculture, afin de favoriser l’échange de bonnes pratiques et l’accès à l’innovation. Elle prévoit aussi de développer la collecte de données sexuées pour mieux mesurer les écarts de traitement.
Vers une ruralité plus équitable
Au terme des échanges, un constat s’est imposé : la reconnaissance du rôle des femmes rurales ne relève plus d’un simple impératif moral, mais d’une condition de survie pour des territoires fragilisés. En défendant ce texte, Anna Strolenberg a voulu transformer une question d’égalité en une politique de développement à part entière.
Au-delà du prisme de l’égalité, son rapport s’inscrit aussi dans une réflexion plus large sur la transition écologique et le renouvellement des générations. Dans nombre de régions européennes, les femmes figurent parmi les premières à adopter des pratiques agricoles durables, à relocaliser la production ou à diversifier les revenus des fermes. Leur ancrage communautaire, conjugué à une gestion plus prudente des ressources, en fait des actrices décisives de la résilience climatique. Pour la députée néerlandaise, soutenir les femmes rurales, c’est aussi investir dans un modèle agricole plus durable, plus solidaire et plus vivant.
Son rapport, bien qu’il ne soit qu’un avis consultatif, marque une étape importante dans la lente féminisation de la Pac et dans la redéfinition du monde rural européen. Il invite à repenser la ruralité non comme un espace figé dans ses traditions, mais comme un lieu d’innovation et de justice sociale.
« Les femmes ont toujours fait vivre nos campagnes », a résumé une députée irlandaise en conclusion du débat. « Il est temps qu’elles en prennent enfin les rênes ».





