Un choc de simplification…et de division
En validant la simplification des obligations de durabilité et de vigilance qui pèsent sur les entreprises, le parlement européen ouvre la voie à un allègement administratif inédit. Mais le vote, acquis grâce à une majorité incluant l’extrême droite, a déclenché une tempête politique.

La réforme votée le 12 novembre, intégrée au paquet « Omnibus I », revisite deux textes structurants : la directive CSRD, qui encadre le reporting de durabilité, et la CSDDD, qui impose un devoir de vigilance aux grandes entreprises. L’ambition affichée est claire : alléger un corpus réglementaire devenu selon certains « un labyrinthe administratif », tout en maintenant un socle d’exigences compatible avec les valeurs européennes en matière de droits humains, d’environnement et de transparence économique.
« Il est temps de réduire la bureaucratie »
En conférence de presse, le rapporteur démocrate-chrétien suédois Jörgen Warborn a dressé un diagnostic sans détour : l’Europe souffre d’un déficit de compétitivité qu’elle traîne depuis plus d’une décennie. « Depuis quinze ans, les États-Unis nous devancent », a-t-il insisté, rappelant qu’aux coûts énergétiques élevés, à l’accès difficile au capital ou aux lenteurs du marché intérieur s’ajoute un fardeau administratif devenu un frein majeur pour l’industrie européenne. À ses yeux, il est temps de « réduire la bureaucratie » pour « créer des emplois » et redonner de l’oxygène aux entreprises.
Le texte adopté entend répondre à ce constat : recentrage du reporting sur les très grandes entreprises, allégement massif des informations exigées, suppression des plans de transition climatique dans le cadre du devoir de vigilance, responsabilité civile désormais exclusivement nationale. Autant de modifications qui, selon M. Warborn, pourraient représenter plus de 5 milliards € d’économies annuelles. Un chiffre qu’il présente comme le symbole d’un « choc de simplification » voulu par le parlement. « Nous devons considérer les entreprises comme des alliées, pas comme des adversaires », a-t-il encore plaidé, revendiquant une approche davantage fondée sur l’incitation que sur la sanction.
La fracture politique derrière la façade de l’efficacité
Si le contenu technique du texte a suscité des débats nourris, c’est bien sa trajectoire politique qui retient l’attention. Beaucoup s’attendaient à ce que la plénière confirme le compromis négocié en commission JURI à la mi-octobre (voir Le Sillon Belge du 30 octobre), un compromis façonné par le PPE, Renew Europe et le groupe socialiste, et unanimement présenté comme une base solide pour la suite des négociations interinstitutionnelles.
Décalage entre le fond et la forme
Mais à quelques jours de la séance, les premières fissures sont apparues au sein du groupe socialiste, où des défections annoncées ont fait vaciller l’accord. Le compromis JURI est tombé, non par opposition directe à son contenu, mais par manque de cohésion au sein de ceux qui l’avaient négocié. Ce retrait a laissé le champ libre au PPE pour proposer un texte alternatif, proche dans l’esprit mais porté par une tout autre majorité : une majorité rassemblant libéraux dissidents, conservateurs et droite radicale.
Le résultat final a donné un texte affirmé, mais une image brouillée. Ce décalage entre le fond et la forme, entre l’ambition de simplification et la fragilité politique de la majorité, a cristallisé une série d’inquiétudes dans les rangs pro-européens.
Pour Benoît Cassart, la réforme adoptée constitue un pas nécessaire vers une simplification attendue depuis longtemps par les entreprises, qui réclament un cadre plus lisible et plus proportionné. Il se félicite que l’Europe avance enfin, après des mois d’incertitude, mais souligne que le Parlement disposait déjà, selon lui, d’un compromis solide, celui adopté en commission JURI le 13 octobre dernier, fondé sur un équilibre soigneusement négocié entre simplification et responsabilité.
Ce texte, qu’il jugeait à la fois ambitieux et réaliste, recentrait les obligations sur les secteurs les plus exposés, allégeait les plans de transition climatique, réduisait le périmètre du devoir de vigilance et supprimait la responsabilité civile européenne. Surtout, il donnait un cadre clair pour distinguer obligations légitimes et charges inutiles, répondant à ce que, selon lui, les entreprises attendent avant tout : cohérence et prévisibilité. La réforme « ne doit pas être synonyme de dérégulation, mais de clarification », résume-t-il en substance.
Un parlement fragilisé, des trilogues sous pression
L’adoption du texte ouvre désormais une phase cruciale, celle des trilogues avec le conseil. M. Warborn promet de « travailler jour et nuit » pour finaliser un accord avant la fin de l’année, une échéance qui tient autant à l’urgence politique qu’au besoin de stabilité réglementaire exprimé par les entreprises, auxquelles il assure vouloir offrir « la prévisibilité dont elles ont urgemment besoin ».
Mais les fissures mises en lumière par le vote plénier laissent présager un climat tendu pour les négociations interinstitutionnelles. Le conseil devra composer avec un parlement dont la position est certes adoptée, mais traversée de doutes sur sa représentativité politique. Les divergences internes risquent de compliquer les ajustements finaux, d’autant que certains États membres souhaitent aller plus loin dans la simplification, quand d’autres redoutent un affaiblissement du cadre de responsabilité. Benoît Cassart promet une évaluation scrupuleuse du texte final. Il rappelle que la réduction de la charge administrative n’est pas un slogan mais une exigence technique, qui doit s’appuyer sur des choix précis, mesurés, cohérents. Il entend juger le compromis final à l’aune d’un seul critère : la capacité de la réforme à offrir une simplification réelle, rapide et juridiquement solide, sans affaiblir le socle de responsabilité des grandes entreprises.
Une réforme, mais aussi un moment politique
L’épisode « Omnibus I » révèle finalement deux Europe, celle qui cherche à simplifier pour redonner de la compétitivité et celle qui tente de préserver l’architecture politique qui fonde la construction communautaire. Le vote de jeudi montre que ces deux Europe peuvent, parfois, entrer en tension. Et c’est peut-être dans cette tension, entre « choc de simplification » revendiqué et malaise institutionnel assumé, que se joue aujourd’hui une part du destin politique et juridique de l’UE.





