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Chez Marc Remy, entre viande et laine, le pari d’un modèle ovin durable

La Bruyère. Domaine La Falize, une brèche ouverte dans le temps. L’humidité, la bruine serrée, elle enveloppe le paysage de son écriture à l’insu de son auteur. Ciel cambriolé de décembre, il engloutit des routes de nuages sombres, en dessous les prairies ondulées mouchetées de brebis glissent en vagues silencieuses dans la houle verte. C’est ici que Marc Remy fait paître une partie de son troupeau bio de Texel français. L’éleveur namurois a inscrit son activité dans le cycle vertueux du circuit court pour valoriser la viande et la laine de ses animaux. Une orientation qui sied à la vision du métier et du territoire qu’il défend.

Temps de lecture : 7 min

Quand Marc Remy reprend la ferme familiale en 1995, il n’hérite pas seulement d’un cheptel et de bâtiments. Il reçoit en partage un regard, une façon de comprendre l’animal et le paysage.

L’héritage d’un savoir-faire

Son père, ingénieur agronome formé à Gembloux devenu un éleveur émérite, avait construit à Floreffe un petit troupeau de Texel destiné à la vente directe : des brebis bien typées, inscrites au stud-book, jugées en concours, observées avec la précision d’un artisan qui connaît les lignées comme d’autres connaissent les arbres de leur verger.

Le fils, lui, reprend ce geste sans s’y enfermer. À peine installé, il transforme la structure de l’exploitation : passage en bio, introduction du mouton vendéen pour étaler les agnelages, diversification vers un petit atelier bovin de Limousine. Cette évolution rapide ne procède pas d’une rupture mais d’un approfondissement. Marc Remy cherche à ajuster son troupeau à son territoire, à la qualité de ses prairies, à la capacité d’accueil des sols.

Dès 1998, l’ensemble des prairies est certifié biologique, puis toute l’exploitation en 2000. Ce choix précoce, loin des modes, reflète un rapport très concret au paysage : beaucoup de ses terres sont superficielles, non labourables. Un système herbager, fondé sur la prairie permanente, la rotation, la biodiversité fonctionnelle, y trouve naturellement sa place.

Une exploitation tissée de lieux et de parcours

Aujourd’hui, l’exploitation de Marc Remy ne se résume pas à un bloc homogène. Elle s’étend entre Floreffe, Sart-Saint-Laurent et La Bruyère, trois lieux qui dialoguent entre eux, trois terroirs qui portent chacun une part du troupeau. Ce morcellement n’est pas un handicap, il constitue au contraire une richesse : variation des sols, diversité des expositions, multiplicité des ressources pastorales.

Au cœur de ce réseau se trouve la bergerie de Sart-Saint-Laurent, enchâssée entre deux anciens étangs de pêche. L’endroit, protégé, presque feutré, devient l’abri hivernal où se concentrent les soins, les mises bas, les observations fines. C’est là que se joue la relation la plus intime entre l’éleveur et ses animaux, celle qui se mesure au bruit discret du râtelier, à la densité du poil, au regard d’une brebis qui s’apprête à agneler. Dès que la température le permet, les brebis se dispersent dans les prairies : les terres familiales de Floreffe, les pâtures de Sart-Saint-Laurent, les coteaux cultivés du Domaine La Falize où elles pâturent les couverts hivernaux et entretiennent les interlignes de vigne.

Entre Texel français et Vendéen

Avec ses 400 brebis, Marc Remy atteint une taille qui lui permet de vivre de son troupeau sans en perdre la maîtrise. « Au-delà, je sens que le geste m’échapperait », dit-il. Cette maîtrise du nombre lui permet de garder un contact direct avec chaque étape : alimentation, reproduction, soins, tri des toisons, relations commerciales. La ferme grandit, mais l’éleveur refuse de se déposséder de sa propre pratique.

Le choix des races traduit cette recherche d’équilibre. Le Texel français reste la pierre angulaire, mais sa saisonnalité stricte ne convenait pas à un système qui cherche à répartir le travail. L’arrivée du Vendéen, à la fin des années 90, souffle une autre dynamique : plus rustique, plus souple dans ses périodes de reproduction, mieux adapté aux agnelages étalés. Cette dualité des races apporte une sécurité zootechnique et une respiration nouvelle au métier.

Un système fourrager pensé comme une mosaïque

Pendant plus de 20 ans, Marc Remy a cultivé environ 4,5 ha de terres labourables, rares et précieuses, où il produisait épeautre, orge et luzerne destinés à l’aliment du troupeau. Mais le temps, l’usure des sols et les besoins financiers de la ferme (agrandissement, nouvelle étable) l’ont poussé à vendre ces parcelles récemment.

Au Domaine La Falize, les brebis pâturent les couverts, assurent l’entretien des interlignes,  aèrent les sols par leur passage, réduisent l’usage mécanique.
Au Domaine La Falize, les brebis pâturent les couverts, assurent l’entretien des interlignes, aèrent les sols par leur passage, réduisent l’usage mécanique. - M-F V.

Aujourd’hui, il assume un système presque entièrement basé sur les fourrages : foin, préfané, pâturage. Pour l’équilibre nutritionnel, il achète un concentré bio, respectueux des mêmes distances d’approvisionnement que son propre système.

Cette autonomie fourragère partielle mais solide s’articule avec la présence d’un petit troupeau de Limousines. Les vaches permettent de valoriser les fourrages grossiers et les tournières, tandis que les brebis exploitent les prairies les plus fines. Le tout compose un ensemble agroécologique cohérent, pensé comme une mosaïque plutôt qu’un modèle unique.

15 ans d’engagement dans les Maec

Une partie de l’exploitation est engagée depuis plus de 15 ans en Maec de haute valeur biologique. D’autres parcelles ont suivi, même si l’ensemble de la ferme ne peut pas être intégré en raison de la nature des sols ou de l’organisation du pâturage.

Ce long engagement témoigne d’une intention profonde : maintenir des prairies riches en espèces, préserver les sols légers des érosions rapides, favoriser les insectes et la faune auxiliaire, offrir aux brebis une herbe diversifiée qui s’exprime au rythme des saisons plutôt qu’à celui des intrants.

Pour M. Remy, la Maec n’est pas une étiquette. C’est un cadre qui correspond à ce qu’il fait déjà : écouter la terre, ajuster les pratiques, préserver ce qui ne se remplace pas. Au Domaine La Falize, les brebis pâturent les couverts, assurent l’entretien des interlignes, aèrent les sols par leur passage, réduisent l’usage mécanique. Ce partenariat, né presque par hasard, est devenu une composante essentielle du système. Pour l’éleveur, c’est un pâturage supplémentaire, précieux en hiver. Pour les vignes, c’est un entretien vivant, précis, respectueux du sol. Pour le domaine, c’est aussi une image renouvelée : celle d’un paysage qui respire, où la viticulture retrouve des gestes anciens. 

La viande : une économie fondée sur la proximité

Marc Remy vend ses agneaux en colis à des particuliers fidèles et à quatre ou cinq boucheries locales. Cette stabilité commerciale repose sur la confiance et la régularité plus que sur les volumes. Le lien humain est central. Le boucher connaît l’éleveur, le client connaît l’animal, et cette transparence, rare dans les filières longues, constitue une forme de garantie morale autant que qualitative.

Mais l’élevage ne s’arrête pas au poids des carcasses ni aux circuits de proximité. À côté de la viande, une autre matière raconte le troupeau, une matière plus ancienne, patiente, presque intemporelle : la laine. Elle apparaît chaque printemps, comme un second revenu possible mais incertain, dépendant cette fois non de la confiance locale mais des fragilités d’une filière en pleine recomposition. 

La laine, une matière en quête de filière

Lors de la tonte annuelle, les 400 brebis livrent 1, 2 t de laine. La toison est dense, propre, régulière, car Marc Remy veille à préparer les bêtes, à maintenir un chantier propre, à éviter pailles et souillures. Cette exigence découle d’une tradition familiale : considérer la laine comme un produit, non comme un déchet.

Pendant des années, la laine européenne trouvait encore preneur sur les marchés internationaux, soutenue notamment par les achats massifs de la Chine. Cependant, lorsque Pékin a cessé d’importer ces volumes, les prix se sont effondrés, révélant la fragilité d’une filière déjà concurrencée par les fibres synthétiques. À cela s’ajoute une comparaison permanente avec le mérinos australien et néo-zélandais, dont la finesse exceptionnelle domine les standards internationaux. Face à ces laines très prisées, celles des races à viande européennes, plus grossières, plus courtes, se retrouvent mécaniquement dévalorisées, malgré leur qualité intrinsèque et leur potentiel d’usage.

Pourtant, le marché wallon, comme ailleurs en Europe, peine à rémunérer correctement cette matière. La disparition récente de DBC Wool, l’absence de collecteur stable, les volumes trop modestes pour l’industrie textile, la concurrence internationale… tout concourt à rendre la laine invendable. Marc Remy s’y refuse. Il trie, il sélectionne, il valorise. Une partie de la laine est achetée par Florence Momin (voir en p. 10), artisane lainière, qui vient elle-même assister au chantier pour choisir les toisons qu’elle pourra transformer. Le reste trouve preneur dans les filières relancées par Valbiom ou Wool Concept : feutres horticoles, isolants, projets de pellets fertilisants. Ces débouchés ne remplaceront jamais l’ancienne économie de la laine, mais ils recréent un mouvement, une circulation, une dignité de la matière.

Marie-France Vienne

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