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Oser Bové

Altermondialiste, anarchiste, populiste, activiste, gauchiste, écologiste… : épines et fleurs qualificatives sont jetées par brassées sous les pas de José Bové, défenseur charismatique de la paysannerie. Il s’est créé un rôle taillé sur mesure : celui du dernier Gaulois qui résiste aux légions impériales de l’ultralibéralisme. Sa gouaille et son franc-parler sont inénarrables, et ne laissent personne indifférent. Il amuse, ou irrite ; il exalte, ou dénigre ; il blague, ou cloue au pilori ; tantôt on le porte au pinacle, tantôt on le voue aux gémonies. José Bové ne connaît guère la demi-mesure. Il est tout d’un bloc, monolithique, sans concession ni compromission, et ne laisse personne indifférent. Le suivre dans son combat n’est pas aisé : il faut oser Bové…

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Le plus célèbre -et le plus sympathique !- moustachu de France, est monté un mardi soir à Bastogne, en pauvre Ardenne des hauts plateaux, où l’agriculture pastorale est bien malmenée en ces temps de basse sève. Il était invité par le Musée en Piconrue, dans le cadre de l’exposition consacrée au peintre-paysan ardennais de Vaux-Chavanne, André Bosmans. José Bové a en effet préfacé le livre « La fourche, la plume et le pinceau », consacré à cet artiste fort attachant. L’ouvrage lui a beaucoup plu, a-t-il déclaré d’emblée, car le récit attrayant qui accompagne les tableaux du peintre explique le cheminement d’une existence bousculée, écorchée vive par le basculement de l’agriculture paysanne vers l’agriculture industrielle moderne.

José Bové n’est plus à présenter. Chacun connaît son combat pour préserver l’agriculture sur les causses du Larzac, ses emprisonnements, le saccage médiatisé des plantations OGM, ses luttes altermondialistes contre les dérives de l’industrie agro-alimentaire, son combat syndical au cœur de Via Campesina, sa consécration comme député européen Écolo. « La contestation est dans mes gènes ! À trois ans, j’ai mené mon premier combat, en dessinant un écureuil avec sa queue au ras du sol, posture qu’il adopte quand il se sauve, alors que l’institutrice voulait absolument qu’il soit représenté de manière classique avec sa queue touffue enroulée gracieusement dans son dos. Je n’ai pas cédé ! ». Astérix-José Bové n’est pas né dans une famille d’agriculteurs ; ses parents étaient des scientifiques, à l’esprit ouvert et curieux. Dès lors, les codes paysans très stricts, inculqués impitoyablement chez nous dès l’enfance, n’ont pas bridé sa nature généreuse : notre atavisme, notre individualisme, notre utilitarisme, notre complexe d’infériorité, notre soumission et notre respect maladifs envers nos supérieurs. Nous sommes nés moutons ; il est né lion… Et l’agriculture, c’est sa potion magique ! Il est tombé dans sa marmite comme on entre en religion ; il a vécu son installation de berger au Larzac comme une vocation, un départ en croisade contre les aberrations du système.

Dans nos pays occidentaux, les agriculteurs de 2018 souffrent d’un sentiment écrasant d’impuissance, auquel se conjuguent désenchantement et frustration. Ce sentiment fataliste de découragement, voilà l’ennemi ! La cause de notre renoncement est simple : nous éprouvons les plus grandes difficultés à correctement interpréter le monde, à comprendre le fonctionnement de notre société humaine. Nous sommes devenus des étrangers, chez nous, dans nos campagnes ! On nous a confisqué nos savoirs, notre force de travail, pour en faire des rouages de la grande machinerie capitaliste. Un artiste comme André Bosmans, un altermondialiste comme José Bové, posent pour nous des balises, afin de nous guider au cœur de nos errances et nous proposer des pistes de réflexion. Nous devons retrouver notre bon sens paysan, cette sagesse dont on nous a peu à peu dépouillés au cours des septante dernières années !

Le discours de José Bové est bien rodé, peaufiné par des décennies de militantisme syndical. D’aucuns diront qu’il caresse volontiers son auditoire dans le sens du poil, en exprimant des pensées convenues que tout le monde veut entendre. Ici réside tout son art : il charme et faire sourire par ses expressions truculentes, et nous emmène précisément là où il veut nous conduire, dans une position où nous sommes obligés de reconsidérer des vérités insérées en nous. Comme un bon paysan, il laboure le champ de nos pensées, en aplanit les bosses et les fosses, ôte les pierres d’achoppement, extirpe les idées toutes faites qui nous parasitent et laisse pour nous toutes ces fleurs dites « inutiles », ces émotions-coquelicots qui colorent si joliment notre métier. Puis il herse en douceur, et ressème dans notre esprit la fierté, l’estime de nous-mêmes, l’amour de notre métier. Il ne nettoie pas nos vies au Roundup, ne les charrue pas au bulldozer. Il veut tirer le meilleur de chaque monde : l’agriculture, l’écologie, l’économie, le social…

Morceaux choisis, entendus ce mardi 9 septembre à Bastogne :

« Il faudrait calculer les aides à l’hectare en fonction du nombre de vers de terre présents au mètre carré ! »

« Depuis qu’on trouve des produits bio dans les supermarchés du hard-discount, l’agriculture biologique perd peu à peu sa crédibilité et sa noblesse. »

« Les grandes crises migratoires sont dues à la destruction du tissu paysan dans les pays pauvres. Le réchauffement climatique, les désordres politiques et l’accaparement des terres en sont les principaux responsables. Les droits coutumiers des paysans et la souveraineté alimentaire des Nations ne sont plus respectés, et c’est peu de le dire. »

« Un jour, il faudra choisir entre donner à bouffer aux bagnoles, ou donner à bouffer aux gens. »

« La démocratie est un luxe inouï, largement gaspillé par les populations européennes. Nous marchons sur notre tête. En cas de crise majeure, la seule issue deviendra la tyrannie, pour imposer des mesures indispensables à la simple survie. Personne ne veut voir les changements climatiques, ni agir sérieusement pour réduire les GES. Des catastrophes majeures vont placer notre démocratie sous l’éteignoir. Les gens s’en fichent : les vieux, les riches, les égoïstes, les idiots, les inconscients. Mais nos enfants : y pensons-nous ? »

« Comme on dit chez nous, il est grand temps de se tirer les doigts hors du c(…) et de retrousser ses manches. »

« Je recommande à tous la visite de l’exposition au Musée en Piconrue de Bastogne, et la lecture du livre « La fourche, la plume et le pinceau ». Vous comprendrez mieux, en le lisant, à quel point et de quelle manière le monde moderne a confisqué l’âme paysanne. »

Le peintre-paysan André Bosmans n’a jamais rencontré en personne le bouillant altermondialiste français. Mais durant toute son existence, il a osé Bové. De même, à ma modeste manière, dans l’écriture de cet ouvrage dédié à l’artiste de Vaux-Chavanne, j’osai Bové…

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