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Des deux côtés de l’Atlantique

Il paraît que l’océan Atlantique n’a pas toujours existé. Selon les géologues, il s’est creusé au « Jurassique », il y a 150 millions d’années. Ce qui est sûr, c’est que le fossé entre les mentalités des deux côtés de l’Atlantique continue à se creuser.

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Tout récemment, un jeune homme issu de notre « terroir » s’en est allé découvrir « les Amériques », (Ainsi disait-on au temps de Vasco de Gama). Et là, choc de culture comme lorsque les Incas ont vu débarquer les conquistadors de la Sainte Europe. Peut-être pas dans le même sens.

Il vient d’une petite ferme à deux fins : Polyculture-Elevage d’un côté, Social-Accueil Champêtre de l’autre. Bucolique, écologique, sociologique. Le genre de joyau dont rêve, (dans ses discours du moins), notre « trop bon » ministre de l’Environnement.

Le jeune homme est aussi sorti avec les honneurs d’une docte université du pays. Il est imprégné des sciences du vivant : agro-bio-foresterie, zéro-phyto, etc. bref, l’exact contraire de la génération précédente à qui les professeurs enseignaient l’intensification. Mais c’était l’époque où l’Europe ne produisait pas encore assez pour nourrir toute la population.

Or donc, notre jeune homme s’est retrouvé aux « States », plus précisément dans le Middle West, le pays où on parle l’anglais avec l’accent de John Wayne. En agriculture, c’est un pays où les fermes font 2.500 ha de moyenne, 100 fois plus que chez lui, et c’est surtout le pays des OGM et du Roundup Ready.

Apparemment, économiquement, chez eux, tout va bien, observe-t-il : rentabilité et qualité de vie ! « American First » dirait leur « trop bon, lui aussi » président Donald Trump, se targuant que depuis qu’il est élu, les pauvres ont le moral parce qu’il les flatte et les riches sont heureux parce qu’ils payent moins d’impôts. Du coup, tout le monde est content et l’économie tourne bien.

Chez nous, c’est vrai, tout le monde se plaint. Le climat, les prix, les grèves, les gilets jaunes, les impôts, les politiciens, rien ne va plus. Qui a raison, qui a tort ?

Apparemment, là-bas, on n’essaye même pas de faire compliqué quand on peut faire simple : désherbage bon marché ultra-simplifié avec le glyphosate à toutes les sauces : colza, soja, maïs. On ne s’offusque guère de voir du colza OGM repousser dans du soja OGM. Comme leur président, les « Farmers », ne s’inquiètent pas trop d’éventuels effets négatifs pouvant endommager l’environnement. Ils ne comprennent pas la subtilité européenne qui consiste à interdire les cultures OGM chez nous tout en autorisant d’importer les leurs. Ils se frottent plutôt les mains de voir ainsi le marché rester disponible pour ceux qui savent (ou peuvent) en profiter. Cerise sur le gâteau, grâce aux amicales pressions de leur président sur nos courageux dirigeants, la part du soja américain importé en Europe est passée de 25 à 52 % en 1 an. Qui a raison, qui a tort ?

En Europe, on est beaucoup plus « spépieux » sur les questions de sécurité. Ainsi, cela fait des décennies qu’on ne joue plus avec de l’ammoniac anhydre, c’est-à-dire de l’azote gazeux (80 % de N) qu’on injecte directement dans le sol. Plus dangereux certes, mais surtout beaucoup moins cher. Pour les américains, pas de soucis. Il faut juste tenir les stagiaires à distance. Quand même ! Qui a raison, qui a tort ?

Question matériel agricole, c’est pareil : ils ont le souci du bon matériel, parfaitement en ordre de marche, d’autant qu’une panne au mauvais moment, c’est plus compliqué là-bas qu’ici. Il n’y a pas d’entrepreneurs à tous les coins de rue pour dépanner. Et vu la taille des exploitations, c’est aussi beaucoup plus facile à amortir. On ne cherche pas non plus le dernier kilo. Du coup, d’aucuns diront qu’au moins, chez eux, la terre n’est pas surexploitée. En tout cas, la population a confiance dans son agriculture et le métier d’agriculteur est socialement bien reconnu.

Ici, on fait croire à la population que ce qu’elle mange serait presque empoisonné, bourré de pesticides. Les fermiers seraient des pollueurs sans scrupule exploitant des sols complètement morts. La peur est dans notre assiette. « Fake news » devrait-on dire !

Là-bas, au pays des flingues en vente libre, le budget de l’armée est démentiel : 10 X celui de leur meilleur ennemi. De quoi ont-ils peur pour laisser à leurs enfants une dette nationale colossale, pire que la nôtre ? Qui a raison, qui a tort ?

Là-bas comme ici, les bedons respirent la (trop ?) bonne chair et la durée de vie (en bonne forme) s’allonge toujours plus. Pourquoi se plaindre ? Certes, il y a sans doute là-bas comme partout ailleurs dans le monde autant de cons que de gens sympas… et autant de manipulateurs…

Notre jeune homme s’en est donc revenu en ayant gagné en ouverture d’esprit ce qu’il a peut-être perdu en naïveté. Le voilà devant beaucoup de questions, comme l’est toute notre agriculture.

Comment peut-il construire un projet dans une agriculture qui peine à faire comprendre qu’un minimum de pragmatisme vaut mieux qu’un maximum de dogmatisme, qu’un minimum de tolérance vaut plus qu’un maximum de préjugés, que la production locale et familiale est tellement préférable au « greenwashing » multinational ?

JMP

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