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À la croisée de chemins…?

Les gilets jaunes se sont mobilisés à l’annonce d’une nouvelle taxe sur le diesel, au nom de l’écologie. Ils sont devenus la patate chaude du moment. Il est vrai que toucher au prix du carburant aujourd’hui, c’est comme toucher au prix du pain sous Louis XVI. Cela dit, en comptabilisant tous les prélèvements, des charges patronales à la TVA et aux accises, ce sont les 3/4 du revenu du travail qui passent, directement ou insidieusement, dans les caisses de l’État. Ils sont remontés contre les privilégiés du système, ce système qui fait pourtant rêver les migrants du monde entier.

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Leur frustration, c’est du miel pour les casseurs qui s’en servent comme catalyseur. Les pavés de Paris retrouvent le chemin de Mai 68, il y a juste 50 ans. C’était l’époque où, derrière Daniel Cohn-Bendit, la génération des sixties, celle « qui n’avait pas connu la guerre », rêvait de liberté et voyait la plage sous les pavés. Les fleurs allaient même pousser sur les chemises babacool.

Aujourd’hui, ce n’est en tout cas pas l’agriculture qui plombe le pouvoir d’achat. Les produits agricoles ne représentent que 3 % du budget des ménages. Même avec 15 % supplémentaires pour l’industrie agroalimentaire et ses dérivés, on peut dire que, comme jamais dans l’histoire de l’humanité, se nourrir est à la portée de tous… chez nous.

L’agriculture est-elle appréciée et remerciée pour le travail accompli ? Silence !

Dans le même temps, des dizaines de milliers de nos concitoyens ont marché pour le climat. Pacifiquement ! La COP 24 fait entendre leurs voix, mais évite les questions qui dérangent. Exemple : pourquoi le kérosène des avions et le fioul lourd des bateaux n’est-il pas taxé ? C’est une discrimination fiscale injuste, anti-écologique et anti-agricole. Il y a là un gisement pour freiner la pollution, financer la transition énergétique et mieux protéger les producteurs locaux de tous les pays.

Résultat de cette passivité qui refuse de freiner les importations : le bœuf argentin et le lait néo-zélandais pénalisent nos éleveurs. Les politiques sont-ils conscients du rapport entre la pénibilité et la rentabilité en élevage ?

Dans le secteur longtemps solide des betteraviers, le démantèlement des quotas a généré l’incertitude. Le cours du sucre mondial tire les prix vers le bas. Les intégristes qui condamnent l’insecticide incorporé à l’enrobage (et bientôt les agréations des herbicides) sont-ils conscients qu’en s’attaquant à la betterave, ils vont créer un monopole de la canne à sucre, avec en dérivé, un désastre écologique dans les pays du Sud ?

Même dans le secteur le plus emblématique de notre production nationale, la pomme de terre, le contexte n’est pas rassurant. Interpom n’avait pas la frite cette année. Un comble ! Et pourtant, les « patatiers » ont les nerfs solides. Ils connaissent les lois du marché. Ils savent que ce qui est rare est cher, et inversement. Il y a quelques mois, les pommes de terre étaient à brader, à donner, à jeter. Aujourd’hui, elles vaudraient de l’or, s’ils en avaient pour le marché libre. L’an passé, hors contrat, point de salut. Cette année, les contrats sont un goulot d’étranglement pour ceux dont la récolte est insuffisante. Les usines vont-elles tirer sur la corde jusqu’à l’étranglement ?

D’aucuns diront : Faites du bio. Pourquoi pas. À condition qu’on y mette le prix. Pour le bio comme pour le reste, si l’offre dépasse la demande, les prix s’effondrent. Trop de bio tuerait le bio. Un slogan de la grande distribution laisse pantois : « Nous voulons démocratiser le bio ». Et comment ? En important ? En trichant ? En mettant les producteurs sur les genoux ? Sans pouvoir suffisamment protéger les cultures, quand le mildiou détruit les pommes de terre comme en 2016, quand les méligèthes ravagent les colzas comme cette année, qui prend la tuile ? Le consommateur ? Le distributeur ? Non, l’agriculteur !

Depuis 1968, beaucoup de choses ont changé en 50 ans. Une génération plus tôt, la population connaissait mieux les agriculteurs et appréciait leur travail. En Belgique, progressivement, le nombre d’exploitations agricoles est passé de près de 200.000 à 36.000. Curieusement, les postes ministériels ont progressé dans l’autre sens. D’un seul ministre de l’agriculture, on en a fait trois, couplés à quatre ministres de l’environnement. Soit !

En 1968, l’agriculture était en pleine phase d’intensification. Il fallait assurer la sécurité alimentaire de l’Europe. Certes, il y eut des erreurs, voire des dérives dans les produits et dans leur utilisation. Personne ne s’en inquiétait. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Elle ne pollue quasi plus. Les nouveaux produits de protection des plantes ont une écotoxicité très faible. La phytolicence offre des garanties de bon usage au niveau professionnel. Et pourtant, tout le monde crie au loup.

De quoi demain sera-t-il fait ? Est-ce que la civilisation des algorithmes, du big data et des GAFA (Google, Amazone, Facebook et Apple) va prendre possession de l’agriculture et cultiver la Wallonie à partir de la Silicon Valley ?

Je me souviens qu’à l’époque des Spoutnik, on m’expliqua que l’alimentation du futur tiendrait dans des pilules avec tous les glucides, lipides et protéines nécessaires à la vie. On n’a jamais été aussi friands de produits du terroir, le plus naturel et le plus local possible… au moins le WE. Parce qu’en semaine, il faut aller vite et les plats préparés ont encore de beaux jours devant eux.

JMP

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