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Conflit russo-ukrainien : «il faut tout faire pour libérer le potentiel de production agricole en Europe»

Face à la tragédie qui frappe l’Ukraine, la présidence française a convoqué, le 2 mars dernier, un conseil des ministres européens de l’Agriculture exceptionnel par visioconférence. Un seul mot a enveloppé les débats : la solidarité, celle des États membres vis-à-vis de leurs partenaires ukrainiens et un soutien au secteur agricole européen, comme s’en est expliqué Julien Denormandie à l’issue de la réunion.

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Le conflit a semé la zizanie sur les marchés agricoles, non seulement sur le Vieux Continent mais également dans d’autres parties du globe où de nombreux pays entretiennent des liens commerciaux avec la Russie et l’Ukraine en termes de fourniture de céréales, de protéines et d’engrais. Il a aussi interrompu le transport par bateau des marchandises et cargaisons de grains via le détroit de Kertch entre la mer d'Azov sur les rives de l’Ukraine et la Mer Noire.

Les importations de potasse aussi en danger

Rien qu’à elles deux, la Russie et l’Ukraine mettent en circulation un tiers du blé mondial destiné à nourrir le monde. Ces deux pays ont toujours été des géants de l’agriculture. Dans l’Antiquité, Athènes s’approvisionnait déjà au Pont-Euxin, l’équivalent de la mer Noire aujourd’hui tandis qu’au XIXème siècle, la Russie représentait 50 % des exportations mondiales de céréales.

Il faut aussi savoir que l’Ukraine écoule plus de la moitié de l’huile de tournesol commercialisée sur la planète. La guerre pourrait d’autre part pénaliser les semis de semences souches au printemps 2022, puis leur multiplication en 2023, et donc avoir des conséquences sur la disponibilité en maïs consommation à l’automne 2024.

Mais il n’y a pas que les céréales et les engrais azotés : la Russie est aussi assise sur une bonne partie des gisements de potasse, engrais lui aussi indispensable à l’agriculture. Trois pays se partagent aujourd’hui sa production : outre la Russie, on retrouve le Canada et la Biélorussie. Les importations vers l’Europe depuis la Biélorussie se sont déjà taries en raison des sanctions économiques contre le pays. Si la Russie réduisait également ses importations vers l’Europe, le Canada pourrait avoir du mal à répondre seul à la demande, les États-Unis s’étant aussi reportés sur leur voisin.

En lien avec les ministres des Affaires étrangères, la présidence française s’est dès lors penchée sur des mesures permettant de faire face à la situation. À court terme, ce sera la question de l’aide alimentaire et celle de la capacité de production agricole en Europe et à travers le monde en faisant en sorte que « les cultures soient à un niveau suffisant afin d’assurer la mission nourricière de l’Europe » a précisé M. Denormandie.

Mise en œuvre de la réserve de crise, une première depuis sa création en 2013

En concertation avec la commission, les États membres ont décidé d’activer une mesure d’aide au stockage privé pour le secteur de l’élevage et le déblocage de la réserve de crise agricole d’un montant de 497,3 millions €. Une première depuis sa création en 2013.

Ces deux mesures seront avant tout dédiées aux éleveurs de porcs et de volailles qui sont les plus touchés en raison de la hausse de prix des engrais et de la rupture de l’approvisionnement en alimentation animale.

Les ministres ont encore été plus loin en touchant aux objectifs de la sacro-sainte stratégie « De la fourche à la fourchette » et convenu de libérer dès maintenant le potentiel de production agricole. Plusieurs États membres ont proposé d’utiliser des jachères pour pouvoir faire des productions de protéines. Si la commission doit encore valider cette mesure, cela signifierait que pour la saison 2022, les agriculteurs auraient le droit de planter des protéines végétales qui servent à l’alimentation du bétail (comme le colza, la luzerne ou le tournesol) sur des surfaces qui auraient dû être en jachère.

Le commissaire Wojciechowski a souligné que « l’idée était ainsi de revenir sur les objectifs de cette stratégie à l’aune de la sécurité alimentaire » avant de préciser que « l’on ne va pas s’éloigner des objectifs fixés dans le cadre des stratégies du Pacte Vert, but est d’en évaluer l’impact sur la sécurité alimentaire et ainsi tenir compte des différentes marges de manœuvre que nous disposons. Si la situation l’exige, on devra alors rectifier le tir ».

D’autres dispositions vont être lancées : réunir le plus rapidement possible le groupe d’experts du mécanisme européen de préparation et de réponse aux crises de sécurité alimentaire ou encore de fournir de l’aide alimentaire à la population ukrainienne.

L’agriculture, « pilier central de l’autonomie stratégique européenne »

En écho aux mesures prises par le conseil, le Copa explique qu’« il est fondamental de préserver la sécurité alimentaire et les chaînes d’approvisionnement » tout en rappelant à cette fin que « pour que l’agriculture européenne soit un pilier central de notre autonomie stratégique, il soit important que les décideurs de l’UE agissent avec détermination et rapidité pour la préserver ». Même son de cloche au sein du Conseil européen des jeunes agriculteurs (Ceja) qui appelle à « la mise en place rapide de mesures de réponse à la crise afin de soulager les marchés, de constituer des stocks pour l’aide humanitaire et de garantir l’accès des consommateurs aux denrées alimentaires ».

En parallèle, il demande instamment à la commission « de surveiller de près les prix de l’agriculture et de l’énergie et d’accélérer la mise en place du Mécanisme européen de préparation et de réponse aux crises de sécurité alimentaire, afin que la pleine coopération entre les États membres de l’UE et les représentants sectoriels soit garantie dans le processus ».

« Mise en place de plans d’urgence »

De leur côté, la Coceral (l’association européenne du commerce des céréales, des oléagineux, des légumineuses, de l’huile d’olive, des huiles et graisses, de l’alimentation animale et de l’agrofourniture), la Fediol (l’association européenne de l’industrie des huiles végétales et des farines protéiques) et la Fefac (fédération européenne des fabricants d’aliments composés pour animaux) considèrent qu’« il est essentiel d’anticiper les impacts négatifs potentiels pour les chaînes d’approvisionnement en denrées alimentaires et en aliments pour animaux et de souligner le besoin d’établir des plans d’urgence ».

Marie-France Vienne

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