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99.000 ha de plus pour la production alimentaire grâce au photovoltaïque

Tandis que les céréaliers ukrainiens tentent de faire leurs semis de printemps sous les obus, l’Europe redoute un manque de céréales, une explosion des prix, voire une pénurie alimentaire. Tout près de chez nous, 100.000 ha de bonnes terres agricoles, déjà couvertes de jeune blé, sont pourtant immédiatement disponibles, dès la moisson de l’été 2022. La volonté politique suffirait pour mettre sur le marché mondial la ration alimentaire annuelle de 2 millions de personnes supplémentaires.

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Nous manquons déjà de plusieurs céréales venues d’Ukraine et de Russie : les cultures ukrainiennes sont compromises, les circuits économiques des deux pays en difficulté, le port de Marioupol hors service, les navires russes interdits d’accoster dans nos ports.

Il faut par conséquent augmenter la production européenne de blé. Mais où trouver plus d’espace chez nous pour semer davantage de blé ? Cet espace existe déjà : en Belgique et dans les pays limitrophes, 100 000 ha de bonnes terres agricoles pourraient être réaffectées à la production alimentaire.

Et ce ne sont pas des jachères. Car remettre en culture des jachères est désormais autorisé par l’Europe qui les avait pourtant imposées (environ 1 % de la surface agricole de l’UE) en tant que « surfaces d’intérêt écologique ». Mais selon Emmanuelle Beguin, agroéconomiste (Natagora), citée par la RTBF : « Ce sont des terres marginales qui sont soit très isolées, soit très peu fertiles et que les agriculteurs choisissent en réalité de ne pas cultiver. »

Une autre solution existe. Il suffirait de courage et de volonté politiques. Et de savoir compter.

Le quatrième cavalier de l’Apocalypse : la Famine

Après « l’Épidémie », « l’Invasion » et « la Guerre », le spectre du quatrième cavalier de l’Apocalypse de la mythologie chrétienne, « la Famine », pourrait apparaître dans certains pays. Et avant lui, la flambée des prix, bien réelle en revanche, est déjà en pleine cavale.

Avant la guerre, l’Ukraine et la Russie assuraient 30 % des exportations mondiales de blé. Ces deux pays couvraient 30 % des besoins de blé d’une cinquantaine de pays, 50 % des besoins du Proche-Orient et de l’Afrique du Nord, 60 % de ceux de la Turquie et de l’Égypte et 100 % de ceux de l’Érythrée…

De son côté, l’Europe cherche à accroître son indépendance alimentaire et énergétique. Le photovoltaïque apporte une partie de la réponse sur ces deux tableaux. Démonstration.

Dépasser les a priori et calculer

Sur un hectare de prairie, on peut installer utilement 1.400 kWc de panneaux photovoltaïques en laissant assez de place entre les rangées pour circuler et en assurer ainsi la maintenance. Ces panneaux produiront environ 1.400.000 kWh (ou 1,4 GWh) d’électricité par an.

Symboliquement, couvrir un champ de panneaux photovoltaïques est perçu comme choquant. Mais certaines cultures de blé sont bien plus choquantes, et comme le scandale n’est pas visible, il ne heurte personne.

Pourtant, en Belgique et dans les pays limitrophes, 100.000 ha de bonnes terres agricoles sont couvertes de blé destiné à produire de l’éthanol, ajouté dans l’essence à la pompe, à raison de 5 à 10 % (selon la directive européenne Renewable Energy de 2003). Objectif : diminuer notre dépendance au pétrole, donc les émissions de gaz à effet de serre, et le remplacer par une énergie renouvelable.

Cette surface plantée de blé, répartie en réalité entre plusieurs pays, est équivalente à 14 % de la surface agricole de la Wallonie. Ces 100.000 ha produisent 750.000 tonnes de blé qui donnent après fermentation et distillation, en moyenne, 244 millions de litres d’éthanol (entre 300 et 350 l d’éthanol par tonne de blé). Un litre de cet alcool contient 6,325 kWh d’énergie (PCI – pouvoir calorifique inférieur).

Au total, chaque année, ces 100.000 ha de blé produisent donc 1.543.000.000 kWh (ou 1.543 GWh) d’énergie.

Pour produire la même quantité d’énergie, des panneaux photovoltaïques occuperaient seulement 1.100 ha, soit 0,15 % de la surface agricole de la seule Wallonie (730.000 ha).

En Belgique et dans les pays limitrophes, on pourrait donc réorienter les 98.900 hectares restants vers la production de blé pour l’alimentation au lieu de le brûler dans des voitures à moteur thermique… Et cela sans affecter aucunement le travail ou la rentabilité des entreprises agricoles, ni diminuer la production d’énergie renouvelable.

Combien d’hectares pour ma voiture ?

Si l’on reprend les chiffres précédents, on calcule aisément qu’un hectare de blé produit 15.430 kWh par an sous forme d’alcool. Sachant qu’une voiture thermique consomme au minimum 0,6 kWh par kilomètre, un hectare lui permet de parcourir 25.700 km.

Le même hectare couvert de panneaux photovoltaïques produit 1.400 000 kWh par an sous forme d’électricité. Si elle alimente une voiture électrique, qui consomme 0,2 kWh par kilomètre, cette voiture parcourra 7 millions de kilomètres, soit 175 fois le tour de la Terre contre un peu plus d’un demi-tour de la planète pour la voiture à alcool…

Exprimé autrement, les 100.000 ha de bonnes terres actuellement consacrés à la production d’alcool permettent actuellement de parcourir 2 milliards 570 millions de km en voiture thermique. Pour parcourir la même distance en voiture électrique, il suffirait de « sacrifier » seulement 361 hectares de mauvaises prairies peu rentables mais bien orientées au sud.

Plus un seul hectare de blé ne serait détourné vers une production d’alcool avec un rendement énergétique ridicule. Et sachant qu’un hectare de blé nourrit environ 20 Européens, on apporterait ainsi la ration alimentaire de 2 millions de personnes supplémentaires, rien qu’en cessant la production wallonne d’éthanol-carburant.

Ir physicien Laurent Minguet,

de l’Académie Royale de Belgique, classe technologies et sociétés,

administrateur d’Edora

et du cluster Tweed

(avec la collaboration

de Patrick Bartholomé)

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