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Terroir-caisse

Que n’inventerait-on de nos jours pour vendre, tout et n’importe quoi ? Parmi les concepts à la mode, la notion de « terroir » est devenue sans conteste un facteur d’attractivité de premier ordre. Les publicitaires en ont plein la bouche et l’assaisonnent à toutes les sauces, pour mettre en avant certaines productions et activités locales, leur conférer une valeur unique, nulle part ailleurs égalable. Cuisine du terroir, tourisme de terroir, bière ou vin du terroir, jambon et fromage du terroir, etc, etc. Du terroir ? En voilà autant qu’on veut, pourvu que cela rapporte et fasse tinter le tiroir-caisse, -pardon ! –, le terroir-caisse !

Temps de lecture : 5 min

On parle même d’une « agriculture de terroir », comme si elle venait d’être inventée, c’est drôle. Forcément, chaque terroir -chaque région agricole bien définie- pratique une agriculture adaptée aux contraintes naturelles locales, à la qualité particulière de ses sols. L’Ardenne n’est ni la Gaume ni la Famenne, et encore moins la Hesbaye ou le Condroz. Les paysans de chaque terroir ont développé des stratégies originales pour se débrouiller au mieux, utiliser les atouts et s’accommoder des faiblesses de leur petit coin de vie. En fait, chaque ferme, et même chaque parcelle de chaque ferme, constitue un terroir à lui tout seul. La prairie du fond de la vallée est bien différente du champ labourable situé sur le plateau, où l’érosion éolienne a déposé voici des millions d’années une petite couche de limon fertile. Un agriculteur qui se respecte connaît par cœur les moindres recoins de son terroir ; il l’aime sans partage et n’a pas trouvé mieux que « son lopin de terre avec son arbre tordu au milieu, et la douce lumière du soir au coin du feu qui réchauffait son père et la troupe entière de ses aïeux, le soleil sur les murs de poussière. ».

Hélas, quand vous parlez de ce terroir-là, les commerçants vous regardent en rigolant, comme si vous veniez d’une autre planète, où le fric n’existe pas. Leur « terroir », c’est tout autre chose ! Cela se monnaie en espèces sonnantes et trébuchantes, pour remplir le tiroir-caisse d’une société qui ne vit et ne respire que par l’argent. Le « terroir » est devenu une appellation, en théorie un gage de qualité, d’originalité, d’authenticité. Comme disaient Galinette et le Papet à propos de Jean de Florette, un agriculteur de terroir cultive « l’ôtantik » ; il sème partout des tas « d’ôtantiks » ! Et ces « authentiques » produits de terroir rapportent surtout à ceux qui les vendent en bout de chaîne. Je rigole, quand je vois les touristes néerlandophones, états-uniens ou bruxellois, se pâmer d’aise devant la charcuterie « authentique » à Bastogne : des jambons fumés IGP (indication géographique protégée), qui proviennent de porcs élevés en Flandres, nourris au soja brésilien et au blé des pays de l’Est. Miam, miam ! Que c’est bon, le terroir ardennais !

Cela fait partie du jeu, semble-t-il. C’est le plus malin qui attrape l’autre… Pendant ce temps, les vrais producteurs artisanaux de terroir s’échinent à élever des animaux, à fabriquer des fromages, à cultiver des légumes, à produire du miel, du vin de fruit…, qu’ils viennent vendre sur des marchés dits « de terroir ». Ceux-là méritent toute notre estime, car ils ne sont guère payés à la hauteur de leurs mérites et de leurs efforts. Les consommateurs ne font pas la différence entre le terroir artisanal et le terroir commercial à grande échelle. Pour celui-ci, le « terroir-caisse » tintinnabule joyeusement -ting, ting, ting !- et incite ses promoteurs à abuser du concept, à tirer sur la corde sans se gêner, à user et abuser d’un terroir sans demander l’avis de ceux qui l’habitent.

Tenez, justement, je suis allé cette semaine dans un petit village juché sur les hauteurs de la Semois, une localité paysanne fort charmante voici cinquante ans, quand nous y venions en promenade scolaire. Elle est aujourd’hui devenue charmeuse, professionnelle : un terroir-caisse aux dimensions XXL, une machine de guerre -du terroir- où les visiteurs sont incités à dépenser leurs euros de trente-six manières différentes ! Tout y est « du terroir », avec un tourisme du terroir, une brasserie et un parc animalier du terroir, des hôtels et logements du terroir, une cuisine et des animations du terroir, etc, etc. Ici, comme en d’autres terroirs-caisses en Wallonie, on folklorise le paysan d’autrefois dans un musée de la vie rurale, celui du « bon vieux temps » : le bon, le brave, le sage paysan que l’on a pourtant humilié, rabaissé, éradiqué au PAC-Roundup comme du chiendent maladif. L’agriculture d’aujourd’hui est diabolisée ; celle d’hier est angélisée à chaque fois que le mot « terroir » est prononcé, encore et encore, jusqu’à vous donner l’envie de fuir. Les plus à plaindre sont justement les natifs de ce terroir envahi par un tourisme invasif, les habitants de ce village privé de sa vocation paysanne. Le bonheur des uns crée des désagréments pour les autres… On ne fait pas d’omelette -pour le terroir-caisse- sans casser les œufs -du terroir-…

Trop de terroir tue le terroir, le vide de sa substance. Le concept est hélas galvaudé, rabaissé au rang des nombreux avatars de notre société commerçante où les plus belles choses sont exploitées sans vergogne, pourvu qu’elles rapportent. Son potentiel sympathie s’étiole peu à peu et fait de moins en moins rêver, mais il dispose encore de belles perspectives, pour qui sait y faire et actionner le terroir-caisse jusqu’à plus soif, jusqu’à plus faim. Quant aux vrais artisans de terroir, je leur dis mille fois « respect » ! Et bon courage…

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