Je ne sais pas vous, mais en ce qui me concerne, la première chanson entendue au matin me trotte dans la tête toute la journée. C’est idiot, mais c’est ainsi : elle me donne le tempo du jour ! En ce jeudi 30 novembre, jour du Sommet des Éleveurs à Libramont, c’est Mylène la fermière (Mylène Farmer) qui a ouvert le bal quand j’ai ouvert la radio… avec sa célèbre chanson « Désenchantée » :
« Nager dans les eaux troubles des lendemains, attendre ici la fin, flotter dans l’air trop lourd du presque rien… À qui tendre la main ? Si je dois tomber de haut, que ma chute soit lente. Je n’ai trouvé de repos que dans l’indifférence, pourtant, je voudrais retrouver l’innocence, mais rien n’a de sens, et rien ne va ! »
Ces premières paroles ont tout de suite percuté mon esprit encore ensommeillé : elles sont lourdes de sens et semblent avoir été écrites pour exprimer le désarroi actuel des éleveurs de bovins à viande. Coïncidence ou signe du destin ? La journée commençait fort, sur une note fort peu encourageante… Pourtant, hauts les cœurs, pas question de se défiler ! Il faut prendre le taureau (BBB) par les cornes et trouver des solutions ! Sommet des Éleveurs, nous voici ! La morne plaine de Libramont s’était joliment parée de blanc pour saluer notre arrivée, et la candeur virginale des flocons donnait un air de Noël plein de promesse au LEC illuminé. Une bonne jatte de café, histoire d’aiguiser les neurones comme des scalpels, et l’intervention chirurgicale était lancée, destinée à sauver notre secteur viande moribond…
D’emblée, Natacha Perat, maîtresse de cérémonie, n’a pas mis de gants pour bousculer notre amour-propre : « La solution au problème de la filière viande n’est pas à trouver dans le « on », dans les autres. Le « on » n’existe pas ! ». Et de citer Albert Einstein : « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ! ». En d’autres termes, les éleveurs de bovins eux-mêmes doivent se secouer les puces, se grattouiller les méninges, sortir enfin de leur zone de confort pour trouver des réponses et agir. Bande de fainéants, va ! Allez hop, au boulot ! Le Sommet commençait fort, et comme pour la contredire, le premier intervenant est venu dresser un tableau catastrophique de la viande bovine. Avant, la situation était grave, mais pas désespérée ; aujourd’hui, elle est désespérée, mais ce n’est pas grave, si l’on peut en croire Pierre-Alexandre Billiet. Ses chiffres sont interpellant : entre 2007 et 2016, la consommation de viande a baissé de 18 %, 27 % pour le bœuf ! La Belgique se situe à 164 % d’autonomie ; sans exportation, impossible de s’en sortir. L’élevage bovin est dans l’impasse, et le BBB au pied du mur… Pour les années 2013 à 2015, les analyses comptables de la Dgarne renseignent un revenu moyen annuel de 7.568 euros (!!) par unité de travail dans les exploitations à orientation viande, contre 19.207 €/UTH toutes orientations confondues ! Et Mylène la fermière de chanter dans ma tête :
« Tout est chaos, à côté ; tous mes idéaux : des mots abîmés ! Je cherche une âme qui pourra m’aider, je suis d’une génération désenchantée, désenchantée… »
Entendons-nous bien : désenchanté ne signifie pas exactement déprimé, révolté, désorienté, mais englobe un peu tous ces états d’âme, la tristesse en plus ! Pour nous remonter le moral, Claude Bertozzi a déploré le statut peu enviable du BBB, devenu produit d’appel malgré tous ses atouts : diététique et durabilité environnementale. En Belgique, la viande bovine est consommée pour 67 % dans les préparations hachées et pour seulement 33 % dans des morceaux nobles ! Le BBB se valorise très mal aujourd’hui, et ne vaut guère mieux que la viande dite « de fabrication », issue des vaches laitières de réforme. Et voilà Mylène Farmer qui me revient en tête, la fermière rousse au corbeau noir :
« Qui pourrait m’empêcher de tout entendre, quand la raison s’effondre ? À quel sein se vouer ? Qui peut prétendre nous bercer dans son ventre ? Si la mort est un mystère, la vie n’a rien de tendre ; si le ciel a un enfer, le ciel peut bien m’attendre. Dis-moi, dans ces vents contraires, comment s’y prendre ? Plus rien n’a de sens, plus rien ne va… »’
Plus rien n’a de sens en effet, quand on voit la dernière publicité d’une chaîne de supermarché, avec écrit en rouge : « Notre fierté nationale ! Steak BBB : moins 25 % ! ». Vous pouvez faire tout ce que vous voulez, travailler davantage encore, travailler mieux, mettre en place des stratégies les mieux réfléchies : il suffit d’une publicité comme celle-ci pour détruire totalement notre image de marque, pour brader de la manière la plus vile qui soit tout un savoir-faire, pour réduire à néant tous les efforts possibles et imaginables.
Hélas oui, chère Madame Perat, le « on », comme vous dites, existe bel et bien, ne vous déplaise. Mais vous méritez mille mercis pour vos initiatives enchantées. « Tout est chaos, à côté, tous mes idéaux : des mots abîmés ! Je cherche une âme qui pourra m’aider, je suis d’une génération désenchantée, désenchantée… ». Seriez-vous cette âme-là ?