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Pour nourrir nos villes,

la recherche aura

aussi son rôle à jouer

Face à l’accroissement de la population mondiale,

et urbaine en particulier, comment nourrir les villes ?

Si la réponse à cette question viendra, du moins en partie,

des agriculteurs et de l’industrie agroalimentaire, la recherche scientifique peut également apporter sa pierre à l’édifice,

notamment en matière de santé des plantes.

Temps de lecture : 5 min

Nourrir la population urbaine constituera assurément un des défis majeurs de ce siècle, tant elle ne cesse de croître. Pour preuve, entre 1950 et 2014, elle est passée de 746 millions de personnes à près de 4 milliards. D’ici 2050, elle devrait en outre représenter pas moins de 65 % de la population mondiale.

Une telle évolution stimule l’intérêt pour l’agriculture urbaine et périurbaine un peu partout dans le monde. Pas moins de 800 millions de personnes sont engagées dans cette agriculture « différente », principalement en Asie où l’urbanisation est en pleine expansion. « À l’image de l’agriculture « traditionnelle », l’agriculture urbaine montre un visage différent d’un continent à l’autre, en raison de la diversité des systèmes de cultures et des demandes des consommateurs », rappelait Claude Bragard, professeur à la faculté des bioingénieurs de l’Université catholique de Louvain, à l’occasion de la Foire de Libramont.

Il ne s’agit toutefois pas de la seule solution évoquée pour alimenter nos villes. Ainsi, certains suggèrent de baser notre alimentation sur les algues, les insectes et la viande de synthèse. D’autres pensent à l’installation de ferme sur les toits des villes, à intensifier les productions locales (via l’hydro –, l’aéro- ou encore l’aquaponie) et les circuits courts, à un développement accru de l’économie circulaire…

« Ces solutions sont nombreuses et dépendent, à chaque fois, des manières de consommer. Cela signifie qu’à l’échelle du globe, on ne trouvera pas une simple et unique solution pour nourrir les villes mais bien un ensemble complexe de solutions », ajoute-t-il.

Aussi différentes qu’elles soient, ces solutions ont néanmoins deux points communs. Elles doivent non seulement intensifier le lien entre communautés rurales et urbaines mais aussi mobiliser tous les acteurs du monde agricole, parmi lesquels figurent les chercheurs.

Intensifier n’est pas sans danger

En effet, ce véritable challenge qu’est l’urbanisation peut potentiellement induire des problèmes de santé végétale. D’une part, suite l’intensification de la production locale, que ce soit via l’hydroponie, l’aéroponie ou l’aquaponie. D’autre part, via l’intensification des transports nationaux et internationaux, en vue de conduire toujours plus de nourriture dans les villes. « C’est ici que les chercheurs peuvent mettre leur expérience à profit, pour identifier et éviter que de tels problèmes se développent. » Et Claude Bragard de présenter plusieurs situations.

Le premier cible, notamment, les cultures de tomates, chicons ou encore salades. « Ces légumes sont la plupart du temps cultivés en hydroponie ou aéroponie. Or, l’utilisation d’eau, dans le premier cas, et la pulvérisation d’une solution nutritive, dans le second, sont propices à la transmission de virus, viroïdes et bactéries dans l’entièreté de la serre. » Si aucune précaution préalable n’est prise, l’intensification de la culture peut donc mener, dans les cas les plus extrêmes, à une destruction totale de la récolte.

Les risques liés au transport sont également très nombreux. Ainsi, la bactérie Xylella fastidiosa a été détectée dès la fin du 19ème siècle dans les vignobles californiens, aux États-Unis. Bien plus tard, dans les années 1980, elle est identifiée au Brésil où elle s’attaque aux Citrus. Quelques années plus tard, elle est à nouveau repérée dans l’ensemble du vignoble californien. Fin 2013, ce sont cette fois des milliers d’hectares d’oliviers qui sont détruits par la bactérie. « L’intensification des transports et des échanges internationaux a donc facilité les déplacements de la maladie », souligne Claude Bragard.

Depuis, Xylella est entrée sur le continent européen par l’intermédiaire de végétaux importés. On la retrouvée en France (en Corse et région Provence-Alpes-Côte d'Azur), en Italie, en Espagne continentale et dans les îles Baléares. « Son arrivée en Europe s’est faite en plusieurs vagues, avec des impacts différents », ajoute-t-il.

Ainsi, la bactérie est probablement établie en Corse depuis une vingtaine d’années mais n’a été détectée que très tardivement. La raison ? Sa présence se limitait au maquis et ne causait pas de dégâts aux cultures. A contrario, elle engendre d’importants problèmes en Italie, où elle s’attaque aux oliviers. « Mais les dégâts pourraient être encore plus importants, notamment en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne et au Portugal si le type bactérien s’attaquant à la vigne venait à y être introduit », met-il encore en garde.

Plusieurs projets, menés par des chercheurs européens, permettent d’analyser les risques liés à cette bactérie mais aussi à toutes une série d’autres maladies via un screening des réseaux sociaux. « Il est fréquent qu’un agriculteur, un horticulteur ou un centre de recherches qui est confronté à une maladie en parle sur internet. Nous pouvons ainsi suivre les maladies et tenter de prédire leur propagation. »

Plus près de chez nous

Claude Bragard s’est également intéressé à notre région, et plus particulièrement à deux projets menés par des chercheurs wallons autour de la pomme de terre : les projets Wacobi et Potato Smart.

« Les chercheurs du projet Wacobi se sont attelés à chercher et sélectionner des souches bactériennes issues des sols wallons, pour le contrôle biologique d’agents phytopathogènes ou la stimulation des défenses de la plante », explique-t-il. L’objectif est de permettre aux pommes de terre de résister plus efficacement au mildiou, à l’alternariose, au rhizoctone brun, à la galle commune et aux pourritures sèche et molle.

Le projet Potato Smart se focalise quant à lui sur les différentes formes du mildiou de la pomme de terre (Phytophthora infestans) dont la pression parasitaire est très forte en Belgique. Il vise à capter, identifier et quantifier, en temps réel et tout au long de la saison, les propagules de P. infestans avant leur arrivée sur les champs, c’est-à-dire avant l’infection des plantes. De cette manière, les chercheurs ont la capacité de modéliser la présence du mildiou mais aussi, grâce aux outils moléculaires actuels, d’identifier les différentes formes du champignon.

« Ces deux projets prouvent, une fois encore, qu’il est plus qu’utile d’associer tous les acteurs de monde agricoles – agriculteurs, industriels, investisseurs, décideurs et, bien sûr, chercheurs – pour trouver les réponses à cette question cruciale qu’est « Comment nourrir nos villes demain ? » ».

J.V.

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