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Danse avec les tsars : on achève bien les chevaux

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Pas de place à l’ennui en ce début d’automne ! L’agriculture wallonne vit des heures rock’n roll, dans un climat d’été indien sec et frisquet, un vrai sale temps pour les cochons en tout cas, dans cette zone de 63.000 hectares située au sud du pays. Les autorités y sont occupées à cuisiner un pâté gaumais de plus de 4.000 porcs, pour sauver les millions de cochons flamands. Particulièrement indigeste, ce plat sera difficile à avaler et restera longtemps sur l’estomac des éleveurs wallons, obligés de mâcher et de marcher comme la musique joue…

D’autres danses nous animent au quotidien : la valse musette des sécheresses des derniers étés, le tango renversé du marché de la viande bovine, la lambada des coûts de production… Mais réjouissons-nous ! Pour nous distraire à leur tour, les politiciens se sont mis au french-cancan ces jours-ci, cuisses légères et froufrous fous, dans le grand cabaret des élections communales. À Bastogne, c’est plutôt la danse des canards, -tournez, c’est la fête ! –, avec les frères Lutgen qui font coincoin et remuent du popotin. Ils en oublient de courtiser leurs agriculteurs, très peu nombreux il est vrai. Reste-il encore cent fermes sur la commune de Bastogne ? 200 électeurs sur 12-13.000, cela ne représente plus grand-chose. Le constat est déprimant, voire consternant : nous ne pesons plus le poids d’une plume dans la balance politique, même dans les entités purement rurales ! Nos politiciens ne daignent plus nous chanter « Save the last dance for me » (Garde-moi la dernière danse), une « shaga dance » comme l’intitulent les initiés, sorte de tango au rythme syncopé.

Nos tsars politiques et administratifs nous imposent d’autres danses, pour nous rendre ridicules et nous infantiliser. Aux yeux du public, ils jouent les grands seigneurs de la poudre aux yeux, les fiers danseurs étoiles qui maîtrisent parfaitement leur sujet et virevoltent au milieu de leurs mots. Leurs promesses tournoient ; leurs slogans jouent des claquettes ; leurs discours tracent des arabesques. Auprès d’eux, nous avons l’air patauds ; nous nous agitons dans tous les sens pour défendre notre survie, danse déglinguée de Saint Guy, -vous n’avez rien contre les Guy, j’espère ? –, contorsions sans grâce, vaines et désordonnées…

Leurs promesses tournoient dans les airs, en effet, quand nos ministres de l’agriculture affirment que les éleveurs de cochons gaumais seront correctement indemnisés, que le fonds des calamités agricoles va épauler solidement les exploitations durement impactées par les sécheresses. Laissez-moi rire ! Mieux vaut entendre cela que d’être sourds… Ils veulent conduire la danse, toujours dans la lumière. Ils se donnent systématiquement le beau rôle, celui du généreux donateur, intelligent et clairvoyant, tandis que nous endossons aux yeux du grand public celui du quémandeur, de l’éternel assisté un peu débile qui ne sait pas se débrouiller seul.

Les tsars nous font danser sans répit pour mériter nos primes, comme dans les marathons de danse organisés aux USA lors de la Grande Dépression. Avez-vous déjà regardé le film « On achève bien les chevaux » (1969), de Sydney Pollack ? Les agriculteurs se reconnaîtront dans les participants de cette danse infernale, privés de sommeil, de temps pour réfléchir, et soumis à toutes sortes d’épreuves cruelles. Les concurrents tombent les uns après les autres, laminés, humiliés, désespérés. Le gagnant, mort-vivant exténué, est tout autant détruit de l’intérieur. Ne sera-ce pas le lot du dernier agriculteur survivant, lorsque tous les autres auront disparu ? Au train où vont les choses, cela ne tardera plus longtemps, à force de nous faire danser follement, jusqu’à l’épuisement du corps et de l’esprit, dans la cacophonie du monde moderne…

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