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Le point sur l’interdiction des néonicotinoïdes

Au cours des journées techniques de L’Irbab, Barbara Manderyck, directrice, faisait le point sur l’interdiction des néonicotinoïdes : l’autorisation de 120 jours, ses contraintes, les risques et les alternatives…

Temps de lecture : 6 min

En 2019, l’agriculture va subir les effets de la législation européenne CE/1107/2009 visant à réévaluer environ 450 substances actives parmi lesquelles environ 77 sont sous pression.

Les produits sous pression

Pour la betterave, cette loi signifie plus particulièrement l’interdiction des néonicotinoïdes mais aussi une dernière année d’utilisation pour des molécules telles que le thirame utilisé en enrobage contre les fontes de semis, le propiconazole (dans le fongicide Armure), ou le quinoxyfen (dans le fongicide Fortress contre l’oïdium). On s’attend également à ce que 2020 soit l’ultime année d’utilisation du fenpropimorphe présent dans le fongicide Opus Team et de l’herbicide Pyramin (à base de chloridazon). Enfin l’herbicide Betanal avec le desmediphame et le phenméniphame est également sous forte pression.

Les éléments clés pour une culture durable

« Face à ces obstacles, la culture betteravière et les produits phytopharmaceutiques en betteraves doivent changer. Nous devons évoluer dans la façon de cultiver et investir en recherche et développement. Mais, nous avons également besoin de temps pour développer des alternatives », dit Barbara Manderyck.

Pour développer une culture saine et sans pertes, plusieurs éléments clés sont à retenir, le premier étant le développement de produits phytopharmaceutiques alternatifs. « Le processus est en route », dit la directrice.

La résistance variétale, et surtout l’évolution vers des variétés multirésistantes ne sont pas à négliger non plus. « On connaît déjà les variétés résistantes à la rhizomanie, aux nématodes, au rhizoctone ainsi que les variétés tolérantes aux maladies foliaires mais on espère aussi avoir des variétés tolérantes à la jaunisse virale. Ces pistes sont à creuser ».

La culture de la betterave peut et pourra également se reposer sur les techniques de lutte intégrée en utilisant par exemple le désherbage mécanique « classique » combiné ou non au désherbage chimique ou aux méthodes modernes tels que les robots ou les drones.

Enfin, un respect encore plus intense des bonnes pratiques agricoles au sein de la rotation avec beaucoup d’observations et de prévention sera nécessaire. « Il faudra respecter, réfléchir, prévenir et observer pour prendre les bonnes décisions au bon moment ».

Pourtant plus respectueux de l’environnement

Fin avril 2018, l’usage des néonicotinoïdes en culture extérieure a été interdit. « Pourtant cette technique respectait les principes de l’IPM », dit la directrice de l’Irbab. « Une petite quantité de clothiadine (Poncho Beta) ou de thiaméthoxame (Cruiser Force) permettait de protéger la culture de betteraves contre les pucerons et la jaunisse virale pendant 10 à 12 semaines. Les pucerons ne présentaient pas de résistance à ces substances. Cela fonctionnait bien et évitait de réaliser des traitements foliaires pour la lutte contre les pucerons. Nous étions ainsi plus respectueux des insectes utiles. Ce traitement de semences était important pour le maintien de nos rendements mais l’EFSA en a décidé autrement. Dans son évaluation de risques envers les abeilles et pollinisateurs, elle conclut que les betteraves traitées engendrent peu de risques pour les adventices, les bordures de champs, les cultures adjacentes ou même les résidus dans des flaques d’eau. Elle estime par contre qu’un risque de présence de résidus dans le pollen et le nectar des cultures suivantes existe ».

120 jours d’autorisation…

Suite à cette interdiction, une demande d’autorisation de 120 jours a été introduite. Il s’agit d’une autorisation temporaire de 120 jours pour l’utilisation d’un produit phytopharmaceutique lorsqu’un manque d’alternatives existe ou si la rentabilité de la culture est en péril. Celle-ci a été accordée fin novembre et sera uniquement valable pour les semis 2019, du 12 février au 14 juin. « Cette autorisation peut être répétée dans le temps si cela se justifie mais, il est clair que le but est de trouver des alternatives à courts termes ».

Par ailleurs, l’autorisation est assortie de conditions strictes. Du fait des craintes de l’EFSA, le Service public fédéral applique le principe de précaution avec des restrictions sur les cultures suivantes. Il demande l’intégration des restrictions dans la check-list IPM et le contrôle des restrictions sur les cultures suivantes via le système Vegaplan. De ce fait, seuls les planteurs Vegaplan peuvent acheter des graines traitées aux nénonicotinoïdes.

… aux conditions strictes

Plus particulièrement, aucune culture attractive pour les abeilles ne peut être semée ni cultivée les deux années qui suivent celle du semis de betteraves sucrière. Au cours des troisième à cinquième année qui suivent le semis, des cultures moins attractives pour les abeilles peuvent y être semées ou cultivées (pomme de terre, maïs, lin à fibre). Ce n’est qu’en sixième année de culture que l’on peut revenir avec des pois, des haricots ou du colza.

Par ailleurs, les engrais verts fleurissant peuvent être semés à condition que la floraison soit empêchée par un traitement mécanique.

En cas de mise à disposition d’une parcelle, une déclaration sera signée entre les parties. Elle indiquera si les semences de betteraves sucrières utilisées sur la parcelle ont été traitées avec les substances actives clothianidine ou thiaméthoxane. La traçabilité de tout traitement sera assurée au cours des 5 années suivant le semis de semences de betteraves sucrières traitées aux néonicotinoïdes lors de chaque mise à disposition de ces parcelles.

Les sanctions potentielles en cas de non-conformité lors d’un audit normal Vegaplan seront :

– l’obligation de détruire une culture attractive pour les abeilles ou un engrais vert,

– la réalisation d’un audit Vegaplan complet au frais de l’agriculteur l’année qui suit la constatation de l’infraction,

– l’interdiction d’acheter des semences traitées aux néonicoténoïdes à l’avenir.

Un grand manque d’alternatives

Lors de l’utilisation de graines standard, c’est-à-dire sans insecticides dans l’enrobage et donc aucune protection contre les insectes du sol, la perte de rendement moyenne est évaluée à 7 % avec une variation allant de 8 % de gain à 89 % de pertes (selon Hauer et al, 2017).

Dans le cas d’un traitement au Force des semences, la betterave sera protégée contre les principaux insectes du sol tels que les atomaires, les taupins, les blaniules et les scutigerelles. Il faudra néanmoins se prémunir contre les pucerons vecteurs de la jaunisse virale. « La présence de cette dernière peut varier de 100 % à 10 % en fonction des années et de la rigueur de l’hiver mais aussi de la région. Historiquement, le Hainaut et la Flandre ont toujours été plus touchés. La maladie est devenue anecdotique lorsque l’utilisation du Temik s’est généralisée, suivie dans les années ‘90 par celle des néonicotinoïdes. Mais, la jaunisse virale est encore bien présente dans notre environnement et on ne peut pas prévoir la gravité de l’infection. Elle peut engendrer des pertes de rendements de 1 % à 11 %, avec des scénarios catastrophe lors d’attaques précoces et sans aucune protection allant jusqu'à 45 % de pertes ».

Pour protéger la culture et contrôler les pucerons, il sera donc vraisemblablement nécessaire de réaliser 1 à 2 traitements insecticides. Néanmoins, les alternatives proposées sont faibles. Les pucerons vecteurs sont 100 % résistants au pyréthrinoïdes et 50  % des populations le sont aussi au pirimicarbe (Pirimor, Okapi.). « Le seul insecticide efficace agréé en betteraves est donc le Teppeki, c’est trop peu ! ».

Les pégomyies, altises et atomaires aériens devront également être tenus à l’œil. Suivant la situation, un traitement pourra également être nécessaire. Dans ce cas seuls les pyréthrinoïdes sont agréés mais ils ne sont pas sélectifs des insectes utiles alors que ceux-ci sont importants pour la lutte contre les pucerons.

« On peut deux donc tabler sur 2 à trois traitements insecticides en plus du traitement des semences au Force. Une situation qui amène le coût de la protection insecticide à 120 euros/ha, là où on en déboursait environ 60 euros/ha auparavant. De plus tout cela présente plus de risques pour l’environnement », explique Barbara Manderyck.

Propos recueillis par DJ

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