Les plus démunis seraient encore plus fragilisés

Face aux risques réels de pénurie alimentaire, « des actions anticipatives doivent être entreprises dès maintenant pour sauvegarder les moyens de subsistance des personnes les plus vulnérables ainsi que les systèmes agroalimentaires vitaux, indique le rapport mondial sur les crises alimentaires 2020, publié par des agences de l’Organisation des Nations Unies et des bailleurs de fonds internationaux.

Le rapport propose à cette fin différentes mesures telles que le développement des systèmes de surveillance de la sécurité alimentaire en temps quasi réel et à distance de manière à fournir des informations actualisées sur les impacts de l’épidémie sur les moyens de subsistance, la santé, l’accès aux services, aux marchés et aux chaînes d’approvisionnement. Autre mesure proposée : l’augmentation du soutien à la transformation alimentaire, au transport et aux marchés alimentaires locaux. Cela, tout en plaidant pour que les couloirs commerciaux restent ouverts afin de garantir le fonctionnement continu de la chaîne d’approvisionnement alimentaire et des systèmes agroalimentaires essentiels dans les pays en crise.

L’insécurité alimentaire gagne du terrain

Alors que ledit rapport estime que 135 millions de personnes situées dans 55 pays sont actuellement confrontées à une crise alimentaire aiguë, les derniers chiffres du Programme alimentaire mondial (Pam) sont encore plus alarmants. En effet, 265 millions de personnes seraient ainsi menacées, cette année, surtout dans les pays à faible et moyen revenu, en raison de l’impact du Covid-19.

Selon Erika Joergensen, directrice du Pam pour l’Afrique de l’Est, « le nombre de personnes souffrant d’insécurité alimentaire dans cette région pourrait doubler, de 20 à quelque 40 millions au cours des trois prochains mois en raison du Covid-19 et de ses conséquences. « Les personnes les plus pauvres vivants dans les bidonvilles urbains, les réfugiés dans les camps, les personnes déplacées à l’intérieur du pays et les enfants dont les écoles sont fermées et qui ne bénéficient pas des repas scolaires sont particulièrement exposés. »

Et Lola Castro, directrice régionale du Pam pour l’Afrique australe, craint que la pandémie « n’aggrave de façon spectaculaire une insécurité alimentaire déjà bien installée. Traditionnellement, les personnes les plus touchées par ce phénomène dans cette région sont celles qui produisent la plupart de leurs propres aliments. Les agriculteurs de subsistance dépendent trop souvent d’une unique saison des pluies, qui est de plus en plus irrégulière. Beaucoup d’entre eux aujourd’hui ne peuvent plus se rendre dans leurs champs ou sur les marchés. »

Les restrictions de mouvement nécessaires pour contenir la propagation du virus vont ainsi perturber le transport et la transformation des denrées alimentaires et d’autres biens essentiels, augmentant les délais de livraison et réduisant la disponibilité des denrées alimentaires, même les plus élémentaires, indique le rapport.

Menaces liées aux restrictions à l’exportation

Les politiques protectionnistes pourraient également déstabiliser le système alimentaire mondial en faisant augmenter les prix des denrées. Pour Arif Husain, économiste en chef du PAM, « les barrières commerciales telles que les interdictions d’exportation sont extrêmement contre-productives, en effet accumuler des réserves de nourriture ou mettre en place des barrières commerciales ne fonctionne pas. Affamer son voisin n’est pas une bonne politique. Nous l’avons constaté à maintes reprises lors de la crise induite par l’augmentation des prix des produits alimentaires et des combustibles de 2008 et de la crise financière de 2009 ou encore lors des crises alimentaires de 2010 et 2012. Il vaut mieux faciliter le commerce et le laisser circuler dans le monde entier ».

Concernant les pays qui dépendent fortement des importations de denrées alimentaires pour couvrir leurs besoins de consommation tels que la République démocratique du Congo, le Soudan, la République arabe syrienne et le Yémen, le rapport note qu’« ils pourraient connaître à court terme une hausse des prix des denrées alimentaires si leur monnaie se déprécie davantage par rapport au dollar américain ».

Selon les chiffres du Pam, en 2018, les pays d’Afrique subsaharienne comme la Somalie et le Soudan du Sud ont importé plus de 40 millions de tonnes de céréales provenant du monde entier pour combler les lacunes de la production alimentaire locale. Ces taux élevés d’importation les rendent ainsi extrêmement vulnérables aux risques de fluctuations des prix en cas de crise mondiale.

Par ailleurs, des pays comme l’Angola et le Nigeria souffriront de la forte baisse de leurs exportations de carburant.

Doper les systèmes alimentaires locaux via le commerce électronique

S’exprimant au nom des trois agences alimentaires des Nations unies basées à Rome (Fao, Pam et Fonds international de développement agricole) le directeur général de la Fao, Qu Dongyu, juge que cette crise offre une opportunité d’accélérer la transformation du système alimentaire. Il estime aussi que « les outils du commerce électronique sont un moyen d’améliorer la résilience locale et de renforcer les liens directs entre producteurs et consommateurs. La crise impose la mise en place de nouveaux modèles commerciaux. Il est temps donc d’intégrer ces outils dans les systèmes agricoles et alimentaires à travers le monde ».

À cette fin, Qu Dongyu relève qu’il est important de collaborer avec tous les acteurs de la chaîne d’approvisionnement, et d’établir ainsi des partenariats public-privé tout en promouvant l’innovation.

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