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Grands carnivores : une menace pour la ruralité

Malgré tous les efforts engagés par les éleveurs et les actions mises en place par les États membres, le statut de protection strict des carnivores rend inefficaces et insuffisantes les mesures prises dans le cadre du débat visant à créer une coexistence harmonieuse entre l’homme et les prédateurs sauvages.

Temps de lecture : 6 min

C’est ce qu’a développé dans une tribune Michèle Boudoin, éleveuse et présidente du groupe de travail « Ovins » du Copa-Cogeca.

Avec la croissance aveugle et illimitée de la population des espèces de grands carnivores en Europe, on assiste à une recolonisation des zones rurales et même de certaines zones urbaines, avec des loups, des ours et même des lynx qui commencent à apparaître dans des lieux où on ne les avait pas vus depuis des décennies, voire jamais auparavant.

Le coût des prédateurs dans l’UE

Le coût pour le contribuable européen s’élève à 28,5 millions € par an pour compenser les dommages causés aux animaux, aux biens et aux infrastructures locales. Le coût moyen par an et par prédateur entre 2005 et 2013 est de 2.400 € pour les loups et de.1 800 € pour les ours.

Si l’on ajoute à cela les mesures d’atténuation imposées aux agriculteurs, aux forestiers et aux habitants des zones rurales dans le cadre de leur vie quotidienne, le programme Life a coûté 88 millions € depuis sa création, et 36 millions € supplémentaires ont été promis pour d’autres mesures.

Mais le véritable coût n’est pas seulement monétaire, c’est celui de l’effet psychologique qu’il peut avoir sur l’homme et les animaux domestiques. Des blessures aux avortements, en passant par la baisse de la fertilité et la perte de l’intégralité du troupeau, les éleveurs subissent des dommages psychologiques. Les chiens de protection des troupeaux financés en partie par l’UE sont souvent tués ou blessés, en raison de l’intensité physique d’une attaque de prédateur.

L’éleveur subit la perte de son troupeau, la perte de revenus, l’augmentation des coûts de main-d’œuvre et de matériel, et le financement sur fonds propres de 20 % des moyens de protection engagés. Mais il y a aussi la pression psychologique d’être constamment sur le qui-vive pour la prochaine attaque, sans savoir si le troupeau survivra la nuit. Certains éleveurs ont même pris l’habitude de dormir la nuit avec leurs troupeaux dans un sac de couchage, loin de leurs familles et de leurs maisons, afin de protéger leurs moyens de subsistance.

Des mesures de protection inefficaces

Michèle Boudoin cite certaines des mesures présentées par la commission comme la solution pour parvenir à une « coexistence harmonieuse » entre le prédateur et sa proie : clôtures de protection, chiens de protection, dispositifs d’effarouchement par le bruit et logements pour le bétail, gardiennage. Cependant, ces mesures sont inefficaces pour freiner le nombre croissant et la férocité des attaques. Les zones les plus protégées sont celles où la pression de prédation est la plus forte. Les prédateurs passent par-dessus ou en dessous des clôtures, blessent ou tuent les chiens, s’habituent aux bruits forts qui font partie de leurs rituels d’attaque, et les bâtiments d’élevage constituent un espace confiné dont les proies ne peuvent s’échapper.

De même, dans les zones en cours de recolonisation par les grands carnivores, le prédateur n’a souvent pas encore peur de l’homme en raison de son manque de contact ou de sa crainte traditionnelle des établissements urbains, de sorte qu’il n’est pas effrayé ou réellement affecté par les dispositifs. L’inaction de l’UE dans ce domaine entraîne de graves violations du bien-être des animaux ; c’est presque comme si le bétail était considéré comme superflu et qu’il était normal qu’il souffre pour que les espèces sauvages puissent survivre. Alors qu’au début, on s’inquiétait de la diminution de ces espèces prédatrices, aujourd’hui, en l’absence de limitation des attaques, la nourriture librement disponible permet à leurs populations d’augmenter de manière exponentielle et incontrôlable.

Le financement de la protection des campagnes contre les grands prédateurs ne devrait pas provenir de la PAC ni de la poche des éleveurs ; si la société civile et la commission souhaitent que des loups, des ours et des lynx parcourent les terres, qu’ils les financent par des fonds autres qu’agricoles et que les agriculteurs ne soient pas les seuls à en souffrir financièrement.

Chaque année, des fonds sont prélevés sur le budget de la PAC pour créer ces mesures, qui n’atteignent manifestement pas leur objectif et ne font que priver les agriculteurs de financement qu’ils pourraient utiliser à des fins économiques plus importantes.

Des solutions concrètes pour l’avenir

La directive « Habitats » prévoit la possibilité d’accorder des dérogations en cas de besoin particulier dû à une nécessité géographique, ce qui permet de gérer les populations et d’assurer une coexistence harmonieuse dans des endroits tels que la Lettonie avec sa population de lynx.

Cependant, ces dérogations sont peu nombreuses et accordées de manière complexe, en fonction des pays. Il est temps au vu de ce réel danger dans les campagnes d’accorder des dérogations qui redonnent le pouvoir et la sécurité aux habitants des campagnes. Enfin, afin d’assurer la création d’une solution à long terme et réaliste au problème de l’explosion démographique et territoriale des populations de grands carnivores dans nos campagnes, il est indispensable de modifier les annexes de la directive Habitats afin de garantir que certaines espèces avec des populations stables et saines puissent être mieux gérées pour le bien-être de l’homme et de la nature.

Actuellement, les grands carnivores tels que le loup, l’ours et le lynx se trouvent dans la catégorie « strictement protégée », et il est nécessaire, pour obtenir des résultats durables et immédiats, d’ajuster cette désignation à « protégée ». Seule une gestion de leur population permettra de rétablir une véritable harmonie et de redévelopper la nature dans nos paysages européens, y compris la biodiversité maintenue par le pastoralisme qui est inscrit aujourd’hui au patrimoine mondial de l’Unesco. Cette question, qui avait à l’origine une solution depuis la nuit des temps, celle d’une protection adéquate et proportionnée face aux attaques, a été bouleversée par la directive Habitats, vieille de trente ans, qui laisse l’homme et les animaux domestiques exposés aux attaques pendant que la commission reste les bras croisés.

Grâce à cette directive, les grands carnivores sont strictement protégés au détriment de la sécurité des humains ou des animaux depuis 1992. La directive interdit la bonne gestion des populations de ces prédateurs depuis si longtemps que pour la Commission, il semble presque impossible de faire bouger les lignes et de remettre l’homme au-dessus de l’ensauvagement aveugle de nos territoires. Les questions qui se posent sont les suivantes : quand la commission va-t-elle agir pour protéger ses éleveurs, ses citoyens et leurs animaux domestiques ? Est-ce que ce sera lorsque le premier citadin sera attaqué dans son jardin ? Est-ce que ce sera lorsqu’il sera trop tard pour agir ?

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