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Abattage à la ferme: une volonté wallonne mais quelques freins…

Si la notion d’abattage à la ferme est déjà une réalité dans plusieurs pays européens, elle fait tout doucement son chemin chez nous. La réflexion a pris réellement forme début 2019, à la faveur de l’adoption par les députés d’une résolution parlementaire demandant au gouvernement d’envisager la mise en place d’un abattoir mobile en Wallonie.

Temps de lecture : 8 min

D ans sa philosophie, ce mode d’abattage vise à éviter aux animaux les souffrances liées à des transports longs et extrêmement stressants, assurer un abattage des animaux dans des conditions sereines, dans le calme et le respect, leur éviter ainsi toutes formes de stress ainsi que l’univers anxiogène des abattoirs traditionnels et des conditions d’abattage parfois opaques.

Afin d’étudier la faisabilité technique, économique, législative et sanitaire de cette technique, les ministres Willy Borsus et Céline Tellier ont conjointement lancé un appel à projet remporté par la Faculté de Médecine vétérinaire de l’Université de Liège, laquelle a « planché » pendant près d’un an sur la possible mise en place de ce type de filière sous nos latitudes.

Une étude de longue haleine

Lancé en mai 2021 et initialement prévu pour une durée de six mois, le projet aura finalement couru sur une période longue de neuf mois.

Il a débuté par une phase de recherche bibliographique afin de réaliser état des lieux de tout ce qui existe en la matière, que ce soit à l’étranger ou chez nous.

Car il faut savoir qu’une première étude avait déjà été diligentée par le CER en 2012, qui portait sur l’abattage mobile de porcs et d’ovins en province de Luxembourg. Elle s’était toutefois heurtée à des obstacles techniques et économiques.

La Suède et l’Allemagne en pionnières…

« La mise à mort à la ferme se pratique déjà en Suède et en Allemagne depuis plusieurs années où elle s’organise en collaboration avec des petits abattoirs ou des boucheries pratiquant l’abattage et qui prennent directement en charge la bête » explique Alexia Maldague, vétérinaire et chargée de projet à L’université de Liège, précisant qu’en Belgique « ce type d’abattoirs susceptibles d’offrir pareil service aux éleveurs ferme les uns après les autres. Ne restent plus que les abattoirs communaux ».

En Allemagne, les autorités organisent par ailleurs une formation de deux jours à destination des éleveurs à l’issue de laquelle ils sont à même de mettre à mort leurs animaux (étourdir, saigner) quasi exclusivement issus de races rustiques.

… la France leur emboîte le pas

En France, des éleveurs bourguignons sont à l’origine de l’abattoir mobile « Le Bœuf éthique » composé de trois semi-remorques qui s’invitent dans les cours de ferme. Un pour accueillir un le vestiaire, les sanitaires des salariés et le bureau administratif. Un autre pour l’abattage et la découpe de la carcasse. Enfin, un troisième, réfrigéré pour stocker les carcasses dans une chambre froide, une réserve d’eau ainsi que l’électricité grâce à un groupe électrogène.

Le « matador » est l’un des outils clefs de cet abattoir. Il s’agit d’un tube cylindrique à air comprimé que l’on pose sur le front de l’animal, lequel l’étourdit en quelques secondes grâce à une tige perforante, avant de le saigner.

À noter que pour être rentable, il faut que la structure puisse abattre six bovins par jour en moyenne.

L’abattage à la ferme a aussi un avenir en raison des changements d’habitude de consommation des citoyens désormais beaucoup plus sensibles à la notion de bien-être animal.
L’abattage à la ferme a aussi un avenir en raison des changements d’habitude de consommation des citoyens désormais beaucoup plus sensibles à la notion de bien-être animal. - auremar - stock.adobe.com

Nos voisins doivent par contre lutter contre le monopole de deux, trois sociétés d’abattage qui mènent un important lobby pour empêcher le développement des abattoirs mobiles.

La situation est heureusement plus favorable en Wallonie, « nous avons eu des contacts avec tous les abattoirs qui ne sont pas opposés au déploiement d’abattoirs mobiles, au pire sont-ils indifférents à ce type d’initiative » précise Alexia Maldague.

Un profil d’éleveur bien précis

La seconde phase du projet menée par l’Université de Liège a porté sur l’étude du contexte wallon qui s’est effectuée par le biais de la diffusion d’un questionnaire général à destination des éleveurs wallons.

« Nous avons reçu environ 300 réponses et avons contacté dans la foulée ceux qui avaient marqué leur intérêt afin de cerner leur profil, tout en s’intéressant aux demandes et au ressenti des consommateurs ».

« Sans tirer de conclusions trop hâtives, ce sont majoritairement les petits éleveurs de bovins qui se sont montrés les plus intéressés. La plupart d’entre eux sont en bio, pratiquent la vente directe à la ferme ou se sont inscrits dans une démarche de circuit court, faisant que leur demande en matière d’abattage est très faible » contextualise M. Maldague.

La troisième étape du travail s’est intéressée à l’angle technico-socio-économique de ce projet. Il a fallu contacter des concepteurs d’UMA (unité mobile d’abattage) ou d’abattoirs mobiles pour compiler les données chiffrées quant aux coûts (main-d’œuvre, matériel). Une phase qui incluait également un volet sanitaire et des échanges avec l’Afsca.

Deux options envisagées en Wallonie

L’option la plus simple consiste à pratiquer l’étourdissement et la saignée de l’animal à la ferme, puis de déplacer la dépouille à l’aide d’une unité mobile d’abattage (remorque adaptée) vers un abattoir agréé fixe selon les règles édictées par l’Afsca.

Pour procéder à l’abattage en lui-même, ce serait soit l’abattoir qui diligenterait un ouvrier à la ferme, soit directement l’éleveur sous la surveillance d’un vétérinaire, après avoir suivi, comme en Allemagne, une formation spécifique.

La seconde orientation vise à développer un abattoir mobile indépendant d’un abattoir fixe mais équipé de manière à pouvoir effectuer toutes les tâches d’un abattoir classique, soit l’étourdissement, la saignée, le dépeçage, l’habillage et la découpe en deux des carcasses. Il peut aussi prendre en charge le refroidissement des carcasses, un processus qui peut prendre jusqu’à 36 heures.

Cet abattoir se présente sous la forme d’un camion modulable qui doit pouvoir « s’étirer » sur une hauteur d’au moins 4 mètres pour permettre la suspension d’une carcasse de bovin.

« C’est une option particulière intéressante pour les éleveurs qui disposent d’une boucherie à la ferme » spécifie Alexia Maldague.

Une solution « mixte »

Déplacer un abattoir mobile dans chaque ferme aurait un coût particulièrement élevé d’autant que le déploiement complet du camion pour le rendre opérationnel prend deux bonnes heures, faisant que « l’on ne peut se rendre que dans deux exploitations par jour ».

Les chercheurs ont donc travaillé à une troisième solution visant à stationner le camion sur une aire d’accueil pendant dix à quinze jours en fonction des besoins de la commune et y apporter, à l’aide d’unités mobiles d’abattage, les dépouilles d’animaux abattus à la ferme dans les environs.

Ce serait toutefois la première option qui serait retenue par la région wallonne. Ce système est comparable aux abattages d’urgence (pour une question de bien-être de l’animal) qui se pratiquent déjà aujourd’hui.

Mais tout n’est pas simple pour autant. Car ce système-là reste deuxfois plus cher qu’un abattage normal. Il nécessite en effet la présence d’un vétérinaire sur place, la rémunération de l’ouvrier qui procède à la mise à mort à la ferme et l’éventuel défraiement de l’abattoir pour « dérangement » parce qu’il reçoit une dépouille qu’il doit s’arranger pour insérer sur une chaîne, sans compter la nécessité de rentabilisation de l’unité mobile.

Les éleveurs les plus motivés sont néanmoins prêts à payer un prix plus élevé d’autant que le prix d’abattage représente finalement une part minime dans le prix de vente final, et s’amortit assez bien chez les bovins, qui sont des espèces aux carcasses lourdes.

Pas de remise en cause des abattoirs traditionnels

« Dans notre enquête, nous ne remettons absolument pas en cause le travail des abattoirs fixes qui sont tous consciencieux au niveau du bien-être animal » nuance la chercheuse ajoutant que l’abattage à la ferme a l’avantage « d’éviter les étapes du (dé)chargement, transport et l’attente à l’abattoir, même si cela se passe dans les meilleures conditions possibles ».

« Elles restent stressantes pour les animaux, particulièrement les races rustiques qui vivent majoritairement dehors, qui ont peu de contacts avec l’homme ».

Les abattoirs fixes en difficulté

L’abattage à la ferme peut sûrement avoir un avenir en Wallonie en raison de la motivation des éleveurs et des changements d’habitude de consommation dans le chef des citoyens désormais beaucoup plus sensibles à la notion de bien-être animal.

Une enquête « Eurobaromètre » publiée en mars 2016 démontre d’ailleurs que 71 % des citoyens belges pensent qu’il est nécessaire d’améliorer le bien-être des animaux de ferme, 60 % d’entre eux souhaitent disposer de plus d’informations sur la manière dont les animaux de ferme sont traités et 62 % sont prêts à payer plus cher des produits présentant une plus-value pour le bien-être animal.

Mais il faudra prendre en considération, pour l’abattage à la ferme couplé au transport vers des abattoirs fixes, les difficultés que ces derniers rencontrent quand ils ne mettent carrément la clef sous la porte.

L’Afsca en embuscade

D’autres freins s’invitent également dans la danse. C’est le cas des recommandations figurant dans une circulaire de l’Afsca stipulant qu’il ne faut pas dépasser un délai de 45 minutes entre la saignée à la ferme et l’éviscération de l’animal à l’abattoir.

Sauf qu’il faut prendre en compte le transport entre la ferme et l’abattoir auquel il faut ajouter de 25 à 30 minutes pour la prise en charge à l’abattoir. Un délai quasi impossible à tenir sauf si la ferme se situe à moins de 10 minutes de l’abattoir. Il s’agit de la norme la plus exigeante dans l’UE !

Il existe très peu de données scientifiques quant au degré de contamination de la viande entre la saignée et l’éviscération. On apprend que l’Allemagne a déjà réalisé des analyses officieuses prouvant qu’un délai de deux heures entre les deux étapes ne serait pas préjudiciable au produit. Ce délai est donc à renégocier avec l’Afsca, sur base des résultats provenant d’autres pays et/ou d’études permettant la récolte de données scientifiques nouvelles.

La porte reste ouverte…

Marie-France Vienne

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