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L’empire du faux

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Fausse viande, simili-viande, viande in vitro, clean meat (viande « propre », ah bon ?)… On connaît la (triste) musique des professionnels du faux depuis longtemps puisque nombreuses sont les start-up qui ont commencé à bricoler leurs premiers poulets et steaks à base de protéines végétales au tournant des années 2010.

Question protéines, justement, il ne faut pas être trop regardant sur leur nature. Pour les rendre agréables au palais, ces dernières, issues du soja, du gluten ou des légumineuses, font l’objet d’une ultra-transformation. Et c’est loin d’être les principaux composants discutables de ces substituts végétaux. Pire, chacune des références contient finalement une liste d’ingrédients longue comme le bras, dont un certain nombre d’additifs indésirables. On peut aussi souligner que cette forme d’agriculture cellulaire souffre d’une littérature scientifique largement insuffisante. De nombreuses questions restent en suspens et d’autres ne sont même pas abordées. Dans ces conditions, l’opacité des entreprises et de leurs processus de production n’est pas rassurante.

Dans la galaxie du faux, on peut désormais ajouter le poisson. Nous apprenons qu’une start-up canadienne vient de lever 12 millions de dollars de fonds afin de repenser le processus de fabrication d’un filet qui ressemble visuellement à s’y méprendre à du vrai saumon. En termes d’ingrédients, la recette utilise de la pomme de terre, des pois ou du colza, d’après le média spécialisé « Fooddive ». Surtout, la préparation utilise un gel à base d’hydrocolloïdes dérivés d’algues afin d’obtenir cette imitation plus vraie que nature. Ces molécules n’ont rien de nouveau : on utilise déjà ces agents de texture dans tout un tas de formules alimentaires ou médicamenteuses afin d’absorber des liquides pour en faire une masse gélatineuse. Et ce n’est pas fini. On peut même cultiver aujourd’hui du lait de synthèse ou du blanc d’œuf. C’est peu dire que cette orientation interroge le futur de l’Homme qui a depuis la nuit des temps toujours cohabité et coévolué avec les animaux.

Lucrativement, le marché du faux est une poule aux œufs d’or usant (et surtout abusant) d’un marketing fallacieux utilisant largement l’argument de la santé et du climat, caricaturant à qui mieux mieux les méchants mangeurs de viande qui détruisent la planète et infligent de la souffrance animale. L’écosystème de la viande cellulaire se porte bien, et c’est bien là le drame.

On peut parler d’une dangereuse rupture de civilisation. Les substituts en tous genres ne sont aucunement en relation avec d’autres êtres vivants, que ce soient des mammifères ou des poissons, des vrais. Aucun contact avec la biodiversité, un éleveur, un paysage que ces animaux contribuent à sculpter au fil du temps, des saisons. Rien, un néant béant d’incertitudes, une plongée dans l’inconnu, voire un questionnement philosophique quant à notre histoire, notre destin.

Marie-France Vienne

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