Le président de la Cogeca s’est justement montré « préoccupé » par les concessions faites dans les secteurs de la viande ovine, bovine et du sucre dans le cadre des négociations avec l’Australie. L’impact cumulatif des différents accords commerciaux accentue la pression sur ces secteurs déjà confrontés aux difficultés en Europe alors qu’ils jouent « un rôle crucial pour l’économie des zones rurales ».
Alors que l’Espagne prendra la présidence du conseil de l’UE et le Brésil celle du Mercosur lors du second semestre 2023, les deux parties ont fait savoir le 26 avril dernier qu’elles voulaient faire aboutir l’accord de libre-échange entre les blocs européens et sud-américain d’ici la fin de l’année.
On le sait, plusieurs États membres ont encore récemment réitéré leur opposition à cette ratification en raison de considérations environnementales liées notamment à la déforestation en Amazonie, et au respect de l’accord de Paris sur le climat. La commission négocie donc toujours avec les pays du Mercosur pour trouver un accord sur le protocole additionnel visant à intégrer des garanties solides en matière de développement durable, en particulier sur l’aspect environnemental.
Solidarité avec les agriculteurs ukrainiens, oui mais…
Concernant ce qui se trame à l’Est de l’UE, le Copa a exprimé son entière solidarité avec ses collègues ukrainiens. C’était aussi l’occasion de faire le point sur les tensions au niveau des marchés, sachant que les importations en provenance d’Ukraine ont augmenté de 88 % par rapport à 2021. Une hausse qui concerne principalement les oléagineux, les céréales (hausse de 295 %), la volaille (81 %) et les œufs (297 %).
Au début du conflit russo-ukrainien, les cinq pays de l’UE limitrophes de l’Ukraine importaient au total 118.477 tonnes de céréales en mars 2022, pour atteindre ensuite un pic de 971.060 tonnes de céréales importées en novembre 2022. Le niveau de ces flux s’est ensuite contracté pour atteindre 556.767 tonnes de céréales en mars 2023.
Pour les deux premières semaines d’avril, ces pays n’avaient importé que 148.220 tonnes de céréales ukrainiennes. La Pologne, la Hongrie et la Roumanie absorbent près des trois quarts de ces importations.
Pour le président de la Cogeca, il s’agit d’un « énorme effort d’absorption de la part de la communauté agricole européenne ».
… La commission doit aller plus loin
Pour freiner l’afflux de certains produits accusés de tirer les prix vers le bas et de rogner les marges des agriculteurs locaux, la commission a conclu, le 28 avril dernier, un accord de principe, approuvé par l’Ukraine, avec la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et la Slovaquie pour instaurer une clause de sauvegarde exceptionnelle autorisant uniquement le transit de céréales et d’oléagineux (maïs, blé, colza, semences de tournesol) sur leur territoire.
L’Exécutif a également pris des engagements pour faciliter le transit des exportations de céréales ukrainiennes via les Voies de solidarité à destination des pays les plus vulnérables. Cela portera sur la réduction des coûts logistiques globaux, une meilleure coordination du transit et l’amélioration des infrastructures dans les ports et les interconnexions frontalières.
Enfin, la commission a présenté le 3 mai sa proposition relative au second paquet de 100 millions € issus de la réserve agricole. Un train de mesures insuffisant aux yeux de Christiane Lambert, qui a appelé à débloquer des fonds situés en dehors de la Pac.
« Les fonds issus de ce paquet proposé par la commission ne devraient pas émaner de la Pac » a souligné Christiane Lambert.
Bien-être animal : « peu de réalisme dans les propositions de la commission »
Le Copa-Cogeca s’est penché sur l’imposant dossier du bien-être animal et évalue actuellement l’analyse d’impact qui a fuité le 20 avril dernier. Il y constate de nombreux points préoccupants et quelques lignes rouges à ne pas franchir dans le chef de l’Exécutif européen.
« Les agriculteurs ne s’opposent pas à des exigences supplémentaires » a précisé M. Armengol. Ils demandent une période de transition adaptée pour y répondre et à tout le moins « plus longue que celle qui semble actuellement envisagée ».
Le représentant de la Cogeca regrette que la commission fasse la sourde oreille en n’organisant pas de rencontres sérieuses avec le secteur agricole et délègue plutôt la procédure à l’Efsa. C’est d’ailleurs cette dernière qui poursuit actuellement la publication de ses avis sur le bien-être animal, qui doivent servir à la commission pour proposer une révision de l’ensemble de la législation européenne en la matière d’ici la fin de l’année.
Ramon Armengol déplore le manque de réalisme dans les propositions qui pourraient « signer l’arrêt de mort de nombreuses exploitations » a-t-il prévenu avant d’ajouter que « l’on se mettrait à devoir délocaliser la production de viande, une catastrophe pour notre secteur de l’élevage et tous les opérateurs qui y sont liés ».
La restauration de la nature, un sujet qui fâche (beaucoup)
La présidente du Copa a, quant à elle, évoqué les nombreux sujets qui ont fait l’objet de débats au cours de la présidence suédoise.
Ils ont porté sur les systèmes alimentaires durables, la question des emballages plastiques, les fertilisants (leur coût, leur disponibilité), l’accès à l’eau pour pouvoir continuer à cultiver dans un contexte de changement climatique fort, les sols, la bioéconomie et l’importance de l’agriculture dans la fourniture de biomasse.
Christiane Lambert a particulièrement salué les travaux sur l’agriculture bas carbone avec le rôle que les agriculteurs peuvent jouer à la fois pour la réduction des émissions et pour la capture et le stockage de carbone dans les sols agricoles et forestiers.
La patronne de la Fnsea a rappelé ses préoccupations quant au texte sur la restauration de la nature.
« Nous sommes d’accord avec la nécessaire protection de l’environnement mais, aujourd’hui, le texte qui est sur la table ne nous apparaît ni réaliste ni réalisable, parce que le niveau des exigences que la commission se réserve le droit de faire évoluer, est extrêmement élevé et que l’ensemble des obligations n’est pas connu ».
La commission a refusé, « une fois de plus », de réaliser une étude d’impact, « probablement parce qu’elle sait que les conséquences économiques seront très négatives en termes de production pour l’agriculture » a encore pointé C. Lambert qui ne voit pas les agriculteurs et les forestiers s’engager vers l’inconnu.
Les obligations définies dans certains territoires risqueraient d’en bloquer le développement économique, notamment en termes de permis de construire pour le développement d’activités agricoles ou non. Les agriculteurs irlandais et les pays « très concernés par les tourbières ont élevé la voix : ces zones abritent des pâturages et ce serait un très mauvais signal si la restauration de la nature allait à l’encontre de l’élevage, un secteur particulièrement mal en point ».
Lors du conseil des ministres européens de l’Agriculture du mois de mars, la France avait d’ailleurs insisté pour que le texte et les futurs plans nationaux de restauration de la nature prévoient une flexibilité suffisante pour concilier restauration des écosystèmes et maintien des capacités de production agricole.
Une position qui va dans le sens de nombreux États membres, mais aussi d’eurodéputés qui souhaitent avant tout préserver la sécurité alimentaire de l’UE, donner de la flexibilité aux États membres pour atteindre leurs objectifs et fixer leurs indicateurs de suivi, ou encore faire preuve de cohérence avec les réglementations déjà en place telles que la Pac qui dispose elle aussi de sa batterie d’indicateurs et d’objectifs en matière de biodiversité.
Le coût a été chiffré à plus 7 milliards € par ans, « ce n’est pas supportable par les agriculteurs et les différents fonds existants ».
Naïveté de l’Europe ?
Pour M. Lambert, l’Europe est naïve quand d’autres pays (Chine, États-Unis, Amérique du sud) réarment leur agriculture en termes de moyens de production et de soutien aux agriculteurs.
Elle plaide ardemment pour accélérer la recherche et le processus d’homologation des produits de biocontrôle chimiques, synthétiques et biologiques. Elle réclame d’avancer sur les NBT qui représentent des solutions tant sur la réduction des produits phytosanitaires que sur la lutte contre le changement climatique. Il n’est pas inutile de rappeler qu’en 2022, 47 % des surfaces de l’UE ont été touchées par la sécheresse.
« Dire que la Pac devra financer la stratégie de restauration de la nature via les écorégimes n’est pas sérieux » a résumé la présidente du Copa qui a, enfin, critiqué le calendrier qui fixe les objectifs aux horizons 2030, 2040 et 2050 « irréalistes en raison du conflit russo-ukrainien, des perturbations de marché, de l’augmentation des coûts pour les agriculteurs ».
Elle d’ailleurs appelé à un report pur et simple de cette stratégie et un meilleur échange entre l’Exécutif et les agriculteurs qui sont sur le terrain et à même de déterminer la faisabilité de certains objectifs. Ou non.
Directive « IED », une proposition « totalement irréaliste »
Christiane Lambert a une nouvelle fois égratigné la commission au niveau de sa proposition « totalement irréaliste » sur la directive sur les émissions industrielles (IED).
L’élevage en Europe est familial. Pas question, donc, qu’il soit intégré dans une directive relative à des émissions industrielles.
La position du Copa rencontre celle des eurodéputés de la commission de l’Agriculture du parlement européen qui s’opposent aux grandes lignes des propositions de la commission.
Ils ont d’ailleurs arrêté, le 25 avril dernier une position dans laquelle ils demandent d’exclure les exploitations bovines du champ d’application de la directive et de maintenir le statu quo pour les secteurs du porc et de la volaille. Cela signifie que le texte continuerait à s’appliquer aux exploitations de plus de 40.000 places pour la volaille, 2.000 places pour les porcs de production, 750 places pour les truies, ainsi qu’aux exploitations mixtes de 750 UGB.
Le parlement européen doit adopter le texte au moment où nous bouclons la présente édition, sur la base du travail de la commission de l’Environnement. Les négociations pourront ensuite débuter avec les États membres qui ont arrêté leur position au mois de mars. Ils se sont mis d’accord sur des seuils d’entrée dans le dispositif pour les élevages de bovins et les porcs fixés à 350 UGB et pour ceux de volaille à 280 UGB.
Un avis que le Copa avait vivement dénoncé. Christiane Lambert s’était alors attaquée aux chiffres techniques mais purement politiques sortis du chapeau sans aucune réalité scientifique qui n’ont aucun sens au niveau des exploitations.
Le Copa a par ailleurs critiqué la mesure visant à empêcher une exploitation de se scinder en deux pour échapper aux contraintes et qui promet d’être un casse-tête administratif avec des concepts flous de proximité et de relation économique ou juridique menaçant le modèle d’entreprise des coopératives.
« Madame Von der Leyen disait de son mandat qu’il serait basé sur la simplification. Un comble, tant il est synonyme d’enchevêtrement et de complexité » s’est exclamé, non sans humour, l’éleveuse française.
Marie-France Vienne