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Un 1er état des lieux dans les vignobles belges: que nous apprend la mesure de l’activité biologique des sols ?

Évaluer la fertilité des sols n’est pas trivial. Très souvent, on résume cela à une série de mesures physico-chimiques telles que le pH, la granulométrie (texture), la richesse en éléments nutritifs (P, K, etc.) ou le statut organique (teneur en carbone total). Cette approche a ses avantages car elle se base sur des procédures éprouvées et bien souvent standardisées, relativement rapides et stables dans le temps, disposant de valeurs de références permettant une interprétation.

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Si l’approche a des avantages, elle a aussi ses limites car elle ne relate qu’une vision partielle du sol. En effet, que serait un sol avec un bon statut chimique mais totalement compacté ou imperméable (fertilité physique), ou encore complètement stérilisé et débarrassé des organismes vivants qui y habitent (fertilité biologique). Si l’évaluation de la fertilité physique des sols est aujourd’hui relativement bien documentée, même si elle ne se fait pas toujours en routine, il n’en est pas de même pour l’évaluation de leur fertilité biologique.

Le sol doit véritablement être considéré comme un écosystème a lui seul. À titre d’exemple, on trouve ainsi des organismes capables de produire de la matière (microalgues, racines de plantes via leur biomasse mais aussi leurs exsudats…), des organismes consommateurs ou prédateurs des premiers (gastéropodes, arthropodes…) et des organismes recycleurs se nourrissant de débris et déjections, les incorporant, les minéralisant (vers de terre, champignons, bactéries…). Si certains peuvent s’observer assez facilement et sont bien connus du grand public, comme les vers de terre, d’autres le sont beaucoup moins car invisibles à l’œil nu, c’est le cas des microorganismes. Ils sont pourtant souvent bien plus abondants. Dans certains sols ils peuvent représenter plusieurs tonnes à l’hectare et on estime que dans un seul gramme de sol il peut y en avoir jusqu’à un milliard de cellules. Cette composante vivante du sol est en lien étroit à la fois avec la fertilité chimique, par la mise à disposition d’éléments nutritifs (p.ex. la minéralisation ou la fixation de l’azote), mais aussi avec la fertilité physique (stabilité des agrégats…).

Des initiatives concernant la mesure de cette fertilité biologique commencent à voir le jour (p.ex. projet Microbioterre en France, Carbiosol en Belgique…) mais encore rares sont les laboratoires permettant actuellement de réaliser ces mesures en routine, même si certains commencent à les proposer (p.ex. Hainaut Analyses). En effet, à cette heure l’évaluation de la fertilité biologique des sols demeure encore fort souvent du domaine de la recherche. Dans ce cadre, à l’initiative de la Haute École provinciale de Hainaut Condorcet, une première évaluation de la qualité biologique des sols viticoles a été réalisée à l’échelle de l’ensemble du territoire belge sur 31 parcelles de vignes en place depuis plus de 5 ans réparties en Wallonie et en Flandre. La raison de s’intéresser aux sols de vignobles réside dans le fait qu’il s’agit d’une culture pérenne, en place sur la même parcelle pour de nombreuses années, et que la culture de la vigne est connue comme étant une plante nécessitant des traitements récurrents avec des produits de protection des plantes, surtout dans le cas des cépages classiques. Les résultats de cette étude ont été présentés lors du deuxième colloque sur la Viticulture belge organisé à Ath le 29 mars 2023 organisé par la Heph Condorcet en collaboration avec le Carah et Hainaut Analyses. Elle permet de faire un premier bilan et de constituer un repère dans la vision d’un suivi évolutif sur le long terme.

Les 31 échantillons de sols évalués dans cette étude.
Les 31 échantillons de sols évalués dans cette étude.

Trois approches pour la mesurer

Au moins trois approches complémentaires de la biologie des sols peuvent être envisagées :

–  quantitative, qui s’intéresse à estimer la quantité d’organismes vivants, autrement dit leur biomasse ;

–  fonctionnelle, qui vise à savoir comment vivent ces organismes vivants ;

–  qualitative, estimant la diversité et la structuration des populations de ces organismes vivants.

Celles-ci ont été explorées dans le cadre de cette première étude. De plus, elles ont été complétées par des mesures physico-chimiques classiques permettant de tirer quelques corrélations.

Fumigation au chloroforme pour la mesure de biomasse microbienne vivante.
Fumigation au chloroforme pour la mesure de biomasse microbienne vivante.
Pour l’approche quantitative, c’est la mesure de la biomasse microbienne vivante qui a été utilisée. Il s’agit d’une mesure normalisée, et éprouvée depuis de nombreuses années, consistant à soumettre le sol à des vapeurs de chloroforme pendant une nuit, provoquant l’éclatement des cellules et libérant dans le sol leur contenu cellulaire. Le carbone ainsi libéré par les cellules vivantes est dosé et permet de quantifier l’abondance de cellules vivantes dans le sol.

L’approche fonctionnelle a été évaluée de deux manières. La première consiste à mesurer l’activité respiratoire des microorganismes du sol. En effet, dans les sols agricoles la plupart des organismes vivants utilisent un métabolisme aérobie durant lequel ils consomment des ressources carbonées (sucres, débris végétaux, etc.) pour vivre, en dégageant du CO2. Plus ce dégagement est important, plus leur métabolisme est actif. Là aussi il s’agit d’une méthode normalisée et éprouvée depuis de nombreuses années (respirométrie). La deuxième manière consiste à mettre en contact le sol, et les organismes vivants qu’il contient, avec un substrat bien défini et de mesurer à quelle vitesse ils le décomposent. Pour cela il n’existe pas encore de méthode universelle, l’utilisation de différents substrats est possible, avec des temps de mesure variables. Dans notre cas, nous avons utilisé comme substrat la fluorescéine diacétate (FDA). Il s’agit d’une molécule incolore qui une fois mise en contact avec le sol peut être dégradée par une multitude d’enzymes secrétés par une grande diversité d’organismes vivants (mesure généraliste). La dégradation de la FDA libère alors de la fluorescéine, qui elle présente une coloration jaune fluorescente. Autrement dit, plus les microorganismes du sol sont actifs, plus le sol devrait prendre une couleur jaune fluorescente rapidement.

Mesure de l’activité respiratoire des microorganismes du sol.
Mesure de l’activité respiratoire des microorganismes du sol.

Finalement, l’approche qualitative s’est concentrée sur un aspect moléculaire du sol, à savoir l’extraction d’ADN et l’examen de la diversité des populations de bactéries et de champignons présentes dans les sols. Cette technique est sensible et nécessite encore des ajustements afin de bien interpréter les résultats, notamment dans l’élimination des brins d’ADN morts présents dans le sol ainsi que du rapport quantitatif (ratio) entre bactéries et champignons présents dans les sols.

Mesure selon la méthode de la fluorescéine diacétate (FDA).
Mesure selon la méthode de la fluorescéine diacétate (FDA).

Une bonne corrélation entre indicateurs quantitatifs et fonctionnels

La plupart des indicateurs quantitatifs et fonctionnels de la qualité biologique des sols étaient bien corrélés entre eux ainsi qu’aux teneurs en carbone et azote total des sols. Ceci souligne l’importance des apports organiques et du statut organique global des sols (effet précédent prairie par exemple), source première d’alimentation pour les communautés microbiennes.

La texture et le statut acido-basique (parfois liés) sont également un facteur prédominant dans l’activité biologique globale des sols. Les sols acides montrant des activités et abondances microbiennes faibles, alors que les sols neutres et légèrement basiques des activités et abondances élevées. Il est donc primordial de surveiller et entretenir le statut acido-basique des sols pour maintenir un pH proche de la neutralité.

Concernant l’impact des pratiques culturales et du système de conduite des vignobles (intensif vs extensif), les effets sont pour l’instant peu contrastés et souvent masqués par l’importance d’un des principaux facteurs déterminants (précédent cultural, pH, texture). Il est à remarquer que les vignobles belges sont pour l’instant encore relativement jeunes et que ces résultats pourraient évoluer avec le temps.

À noter que pour analyser la qualité biologique des sols en laboratoire, il est pertinent de prélever les échantillons de sols hors période de gel et hors période de sécheresse intense, de les conserver dans un état frais et réfrigéré à 4ºC jusqu’à leur dépôt au laboratoire pour analyse (frigo ou glacière, mais pas congélateur).

D’après Julien Louvieaux

HEPH-Condorcet / Carah

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