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Delfine Persoon: «En boxe, il est bon de savoir encaisser les coups, physiques comme psychologiques!»

« Si j’avais une fille qui devait choisir entre l’agriculture et la boxe professionnelle, je lui conseillerais toujours la boxe. Quoi qu’on en pense, c’est un beau sport qui est moins pénible pour le dos que d’autres sports de contact tel que le judo », explique la championne de boxe Delfine Persoon. Aujourd’hui, cette fille d’agriculteur arrive au terme de sa carrière de sportive mais, elle souhaite briller une toute dernière fois.

Temps de lecture : 10 min

Delfine Persoon a gagné à peu près tout ce qui était possible de gagner en boxe féminine internationale. Lorsqu’on analyse son impressionnante liste de combats remportés, sa défaite controversée contre Katie Taylor et le fait qu’elle n’ait pas pu faire ses preuves aux Jeux olympiques ne sont que de petits accidents de parcours. Jusqu’à présent, elle a gagné 47 de ses 50 combats, dont 19 par K.O.

À 38 ans, elle envisage tout doucement de faire ses adieux à la boxe. « Je veux finir en beauté. Il est hors de question que je serve de tremplin à des jeunes femmes qui rêvent de faire partie de l’élite mondiale. Si je ne peux plus gagner, je ne monterai plus sur le ring. Je veux seulement obtenir ce titre mondial pour mettre fin à ma carrière avec brio », déclare Delfine.

Certains agriculteurs ont probablement déjà aperçu Delfine Persoon à l’une ou l’autre foire agricole où elle est ambassadrice pour New Holland, l’un de ses sponsors. Lors de ces événements, elle signe volontiers des autographes.

Tout a commencé par la danse classique

Comment une fille d’agriculteur de Moorslede devient-elle championne du monde de boxe ? Pour Delfine, tout a commencé par la danse classique.

« Notre exploitation était mixte avec 600 porcs engraissés dans trois grandes étables et une culture de légumes tels que des choux-fleurs, des poireaux et des céleris-raves, mais aussi des grandes cultures comme des pommes de terre et du blé. Mes deux sœurs et moi-même étions sollicités pour la culture des légumes mais, nous pouvions avoir des loisirs. C’était un point important pour notre maman qui n’y avait jamais eu droit », explique Delfine.

« Ainsi, nous avons commencé par la danse classique. En fait, c’est surtout parce que nous pouvions accompagner une petite-cousine aux cours de danse classique. Cela simplifiait les trajets puisque nos parents ne pouvaient pas arrêter de travailler pour venir nous chercher. Néanmoins, nous n’étions pas vraiment faites pour ce sport. On rentrait toujours à la maison avec nos bas déchirés. Nous étions plus intéressées par les motos tout-terrain que nous utilisions dans la cour de la ferme. »

Après la danse classique, les trois sœurs se lancent dans d’autres activités, et notamment le cross. « Sur le terrain, avec nos bottes, mes sœurs et moi organisions de petits concours, qui sont devenus ensuite de vraies compétitions. Mon père nous motivait en nous lançant des défis. Il disait que je ne gagnerais pas de toute façon, mais j’ai relevé le défi, juste pour prouver que je pouvais gagner. »

Interdites de seconde session

Les parents Persoon n’avaient pas beaucoup de temps à consacrer aux loisirs de leurs filles. « On nous a très vite inculqué qu’il ne fallait surtout pas avoir de seconde session à l’école, parce qu’en été, nous devions aider dans les champs. Mais, nous n’avons jamais eu l’impression de manquer de quoi que ce soit. »

Plus tard vient le judo. « Une fois que j’y ai goûté, je n’ai plus jamais arrêté. C’est un sport de contact, du « un contre un ». On ne peut pas se planquer derrière son équipe ou dans un peloton. L’adrénaline, ça rend accro. Lors des entraînements et des compétitions, j’ai rencontré Yves Lampaert et son frère Jens. Comme moi, ils ont atteint un haut niveau en judo à l’époque avec des sélections nationales, stages à l’étranger, etc. Quand on rentrait à la maison à vélo, ils nous distançaient immédiatement. Il était évident qu’Yves Lampaert était taillé pour devenir cycliste. »

Du judo à la boxe

Les sélections nationales de jeunes ont permis à Delfine de partir à l’étranger en tant que championne de Belgique. « En tant que fille d’agriculteur de Flandre occidentale, c’était une aventure pour moi. À la maison, il fallait travailler et il n’y avait pas de place pour les voyages. Une fois, nous avons gagné un voyage aux États-Unis et, par la suite, nous avons fait quelques voyages en famille, pendant les vacances de carnaval, avant les semis. Mais, tout cela était assez rare »

« C’était toujours difficile de trouver du temps. Mes sœurs et moi étions souvent livrées à nous-mêmes. Nous devions trouver notre propre voie. Je pense que nous en récoltons encore les fruits aujourd’hui. »

Tout comme Yves Lampaert est passé du judo au cyclisme, Delfine est passée du judo à la boxe. « Une blessure au dos a mis fin à ma carrière de judoka. Je me sentais tellement bien dans ces sports de contact que j’ai cherché un sport qui s’en rapprochait et mon choix s’est porté sur la boxe. Physiquement, c’est très éprouvant, mais on ne sollicite pas autant notre dos. »

La boxe féminine, un tabou

À la maison, Delfine n’osait pas dire qu’elle faisait de la boxe. « Je disais que j’allais m’entraîner. C’est à l’occasion de mon premier combat, à 22 ans, que mes parents se sont rendu compte que je faisais de la boxe et ça a bardé à la maison. Aujourd’hui, cela commence à changer, mais à l’époque, la boxe était encore un sujet tabou pour beaucoup, en particulier pour les femmes. »

« Le fait que mes parents ne m’aient pas soutenue dans cette voie m’a encore plus motivée à continuer. J’ai fait mes preuves dans ce sport et mes parents l’ont finalement accepté, même si ça n’a pas été de gaieté de cœur. Il a fallu longtemps avant qu’ils ne viennent voir un de mes combats. Maintenant qu’ils sont à la retraite, ils viennent plus facilement. »

Une image édulcorée du métier d’agriculteur

Durant toute cette période, le boulot à la ferme était en effet toujours bien présent. « Dès le départ, il était clair que je ne serais pas celle qui reprendrait la ferme. Ni aucune des trois sœurs, en fait. Nos parents ne nous ont d’ailleurs jamais forcées à suivre cette voie. Nous avons vécu une belle enfance à la ferme et en même temps, nous avons vu à quel point le quotidien peut y être ardu. »

La vie n’est pas un long fleuve tranquille, et encore moins celle d’un agriculteur. « Dans les émissions télévisées telles que « L’amour est dans le pré », on présente toujours les meilleurs aspects du métier : rouler en tracteur et donner le biberon à un veau. Ils ne montrent pas comment nous récoltons les légumes à la main dans nos champs, sous la pluie et la boue à mi-bottes. Ou encore comment nous nettoyons les poireaux avec de l’eau glacée avant de les vendre. Nous avons aussi vécu de chouettes moments, bien sûr. Couper les choux-fleurs en été était ma tâche préférée ».

De l’admiration pour le travail fourni

Selon Delfine, la société ne respecte pas suffisamment les agriculteurs. « J’ai beaucoup de respect pour mes parents, ils ont bossé dur. Aujourd’hui, je travaille à temps plein et je m’entraîne aussi pour faire de la boxe au niveau mondial. Les gens se demandent parfois comment je peux concilier le tout. Ils considèrent que j’ai deux emplois à temps plein, alors que j’ai le sentiment que je ne travaille toujours pas autant d’heures par jour que mon père en tant qu’agriculteur. En fait, il me reste même du temps libre. Le dimanche, je ne travaille pas et je vais courir pendant quelques heures. Un agriculteur ne conçoit pas ce type de dimanche. »

Delfine travaille aux directions de coordination et d’appui de Flandre occidentale (à la police fédérale). Lorsqu’elle voit des images d’une manifestation d’agriculteurs, elle hésite parfois à se positionner du côté des agriculteurs ou de la police. « Ma première pensée est toujours de savoir si tout se déroule en toute sécurité. Heureusement, il n’y a pas eu d’incidents majeurs lors des dernières manifestations d’agriculteurs, contrairement à ce qui s’est passé aux Pays-Bas, par exemple. En même temps, je ne blâme pas les agriculteurs. Ils ont de bonnes raisons d’aller manifester. On devrait les écouter plus attentivement. »

En reconversion

Désormais, la sœur cadette de Delfine, kinésithérapeute, a aménagé la ferme pour en faire son cabinet. « Mon père exploite encore quelques terres, il possède toujours son tracteur et quelques animaux mais, c’est surtout pour arrondir ses fins de mois et s’occuper. »

Elle-même continuera à pratiquer la boxe après sa carrière de sportive de haut niveau. « Après de longues recherches de fonds, nous avons trouvé un lieu pour la construction d’une nouvelle salle. Gits est un espace moderne et ouvert, qui offre de nombreuses possibilités pour s’entraîner et organiser des compétitions. Mon entraîneur, Filiep Tampere, et moi-même voulons découvrir et former de nouveaux talents de la boxe dans cette nouvelle salle. »

« L’époque où, pour faire de la boxe, il fallait venir d’un milieu « rude » comme celui de la construction ou de l’agriculture est révolue. Si vous avez du talent pour la boxe, le lieu ou la manière dont vous avez grandi n’a pas beaucoup d’importance. Mais il est bon de savoir encaisser les coups, aussi bien physiques que psychologiques », explique Delfine.

Du sport pour les enfants d’agriculteurs ?

L’entraîneur Filiep Tampere, lui-même ancien maréchal-ferrant, observe toutefois une différence. « Plusieurs raisons expliquent pourquoi les enfants d’agriculteurs ont tendance à mieux réussir dans le sport. Dès leurs débuts, ils sont souvent plus indépendants et prennent plus d’initiatives. Ils supportent souvent mieux la douleur que la moyenne », explique l’entraîneur.

« Au club, nous accueillons parfois des jeunes pour qui la boxe représente un moyen de trouver leur place dans la société. Les garçons et les filles atteints de TDAH, d’autisme ou victimes de harcèlement trouvent ici leur résilience et leur exutoire. Sur le ring, les migrants apprennent le néerlandais, ou plutôt le dialecte de Flandre-Occidentale. Ceux et celles qui, pour l’une ou l’autre raison, ont eu des ennuis, bénéficient d’une deuxième ou d’une troisième chance en venant ici. Pour tout le travail social que nous accomplissons, nous ne recevons malheureusement aucune subvention », précise l’entraîneur.

De la boxe pour les managers et chefs d’entreprise

Dans cette nouvelle salle, Delfine et Filiep vont également organiser du « gentlemen’s boxing » : de la boxe pour les chefs d’entreprise et les managers. « Ils apprendront ainsi à gérer l’adrénaline et le stress que l’on ressent lorsqu’on monte sur le ring pour un combat », explique Delfine.

« La boxe, ça ne se résume pas uniquement à se donner des coups de poing au visage. C’est de la stratégie, de l’entraînement, de la technique, de l’endurance, mais ça consiste aussi à évaluer l’adversaire, à développer un mental de gagnant, à improviser dans des situations imprévues, à chercher les faiblesses dans la défense de l’adversaire, à tirer parti de nos propres atouts, à apprendre à encaisser… Tous ces éléments peuvent également faire la différence dans la vie quotidienne ou dans le monde des affaires », précise Filiep. Un peu comme un agriculteur affronte les éléments de la nature ou les multiples réglementations.

Vers une dernière médaille

Delfine Persoon va tenter une dernière fois de remporter le titre mondial. Le 28 mai, à Torhout, elle s’est imposée face à la redoutable Sud-Coréenne Bo Mi Re Shin. Delfine et ses sponsors ont dû débourser beaucoup d’argent pour organiser ce combat en Belgique. « L’événement affichait complet des semaines avant sa tenue. Plus de 1 000 personnes étaient présentes. Dommage qu’aucune chaîne de télévision belge n’ait voulu retransmettre ce combat en direct. Mais en même temps, on a l’impression que la boxe n’est pas encore reconnue comme un sport de haut niveau. Même si mon combat contre Katie Taylor à New York a attiré plus de téléspectateurs en Flandre que le Tour des Flandres. »

Grâce à sa victoire contre la Sud-Coréenne, Delfine Persoon pourra bientôt affronter l’Américaine Alycia Baumgardner, l’actuelle tenante du titre.

D’après Filip Van der Linden

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