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Taskforce agroalimentaire : vers un dialogue renforcé dans le cadre d’accords de branche

Représentants des agriculteurs et des autres maillons de la filière agroalimentaire se sont déjà mis par deux fois (en réunion plénière) autour de la table pour décider de mesures urgentes à apporter à la crise actuelle. Nous revenons en détail sur leur nature et les perspectives qu’elles ouvrent au secteur agricole.

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Le 9 février dernier, les ministres David Clarinval, Pierre-Yves Dermagne et la secrétaire d’État à la protection des consommateurs, Alexia Bertrand, réunissaient la taskforce agroalimentaire.

Une réunion, des réflexions

Une réunion au cours de laquelle les agriculteurs ainsi que les autres maillons de la filière agroalimentaire avaient eu l’occasion de s’exprimer en présence, également, du ministre Willy Borsus venu présenter le travail déjà engagé au niveau de la simplification administrative.

À l’issue de cette rencontre, trois groupes de travail avaient été mis en place, pour se pencher sur les différentes attentes du secteur.

Un groupe juridique

L’une de ces attentes forte portait sur le prix payé au producteur et la façon de mieux garantir le respect de son coût de production.

Revenons, pour ce faire, sur la déclaration gouvernementale fédérale approuvée en septembre 2020 qui prévoyait non seulement que le gouvernement étudierait en concertation avec l’Observatoire des prix les évolutions de prix du secteur et améliorerait la transparence au sein des filières agroalimentaires ; mais examinerait aussi la possibilité d’adopter une « loi sur la protection des prix agricoles ». C’est sur ce passage précis ainsi que sur le débat français autour de la Loi Egalim, que se sont appuyées les organisations agricoles pour demander un ancrage du coût de production dans un texte réglementaire fédéral.

Les discussions ont porté, entre autres, sur les campagnes abusives de promotions au niveau de la grande distribution, afin d’éviter que le produit agricole ou alimentaire soit trop souvent attendu à prix bradés.
Les discussions ont porté, entre autres, sur les campagnes abusives de promotions au niveau de la grande distribution, afin d’éviter que le produit agricole ou alimentaire soit trop souvent attendu à prix bradés.

Dans ce groupe, il a finalement été décidé d’un renforcement de l’interdiction de la vente à perte. Une clause spécifique sera ajoutée pour les producteurs dans la liste grise de la loi UTP (unfair trade practices), signifiant que la pratique est présumée déloyale, à moins qu’elle n’ait été préalablement convenue entre l’agriculteur et son acheteur.

La position de négociation de l’agriculteur s’en trouve ainsi renforcée, sans qu’il ne perde pour autant sa faculté de choix de vendre à perte dans certaines circonstances (écoulement à prix réduit pour éviter une destruction de sa production).

Interdiction d’autres pratiques commerciales abusives

Ont également été interdits : le délisting abusif, afin d’éviter que l’acheteur menace son fournisseur de retirer ses produits de ses rayons, ainsi que l’imputation automatique de dommages et intérêts ou la compensation unilatérale par l’acheteur de pénalités, pour non-respect d’engagements convenus. Ces pratiques sont ajoutées cette fois à la liste noire de la loi UTP.

À noter que le refus de renégocier le contrat lorsqu’un changement imprévisible de circonstances n’incombe pas au fournisseur mais le place dans une situation délicate pour exécuter correctement son contrat, est lui aussi présumé déloyal, s’il n’y pas eu d’accord préalable entre le fournisseur et son acheteur. La mesure est ajoutée à la liste grise de la loi UTP.

Le point sur les promotions excessives

Enfin, les discussions ont porté sur les campagnes abusives de promotions au niveau de la grande distribution, afin d’éviter que le produit agricole ou alimentaire soit trop souvent attendu à prix bradés. Aucun accord n’a pu être encore dégagé mais l’on s’orienterait vers une autorisation maximale du 1+1 gratuits et d’une interdiction du 1+2 gratuits, donc 50 % en valeur sur les produits frais (fruits et légumes, viande, poulet et lait). Un rapprochement des positions entre le maillon agricole et Comeos est donc perceptible. Pour rappel, les agriculteurs défendent de ne pas aller au-delà du 2+1 gratuits (34 % en valeur) et une limitation en volume de 25 %.

Faute d’accord définitif, le dossier reste en débat pour la prochaine réunion de la taskforce alimentaire du mois d’avril.

Un groupe économique sur la transparence

Les travaux de ce groupe ont porté sur les coûts de production en essayant d’apporter des réponses à qui les calcule ?, selon quelle méthode ? Et qui les publie officiellement ensuite ? Leur grande variabilité en fonction du type et de la taille des exploitations mais aussi le facteur de volatilité ont poussé les participants à travailler sur base d’indices de rentabilité, débutant par les secteurs de la viande bovine et de la viande porcine, qui sont déjà publiés périodiquement depuis 2013 et 2016 par le SPF Économie, mais qui demandent aujourd’hui une actualisation, comme l’intégration du coût de l’énergie et la prise en compte du revenu du travail.

Des propositions concrètes doivent être présentées à la fin de ce mois de mars.

Des seuils seront aussi établis par filière, sur un modèle de « tunnel ». Lorsque l’Observatoire des prix du SPF Économie constatera un dépassement par l’indice du seuil fixé, il enclenchera un mécanisme d’alerte. Le maillon agricole pourra convoquer la concertation de chaîne et une discussion doit alors s’ouvrir avec Fevia et Comeos pour parvenir à un ajustement des prix.

Une situation mi-figue, mi-raisin pour les agriculteurs, car aujourd’hui, ni les indices, ni les coûts de production ne sont donc ancrés dans une loi. Résultat, il faut toujours compter sur la bonne volonté des acteurs de la filière pour se parler.

Les participants à ce groupe de travail ont également tous demandé un renforcement significatif du pôle d’économistes de l’Observatoire des prix du SPF Économie qui ne compte aujourd’hui que deux personnes.

L’inspiration Belpotato

L’inspiration pourrait bien venir d’accords de branche calqués sur le modèle Belpotato, conclu en janvier 2020 entre tous les acteurs de la filière de la pomme de terre. À noter qu’une même formule existe aussi au niveau du lait, pilotée par la CBL.

Le ministre Clarinval a validé ce type de fonctionnement en organisation de branche pour les autres secteurs, à savoir rassembler les acteurs d’une filière (par exemple Fenavian, Febev, Comeos pour la viande bovine) dans le but de convenir de bonnes pratiques et de clauses-types contractuelles ; mais aussi de se mettre d’accord sur l’évolution des prix une fois l’indice de rentabilité calculé, affiné et officialisé.

Le SPF Économie est aussi invité à réactualiser l’évolution de la transmission des marges dans les filières bovine et porcine, en tenant compte d’un certain nombre d’éléments dont les prix ont flambé (intrants, énergie, matériel, machines…). Le secteur de l’agrofourniture devra lui aussi être intégré dans les analyses sur les marges.

Groupe sur l’étiquetage et la sensibilisation des consommateurs

Les participants à ce groupe de travail ont mis l’accent sur les contrôles et l’amélioration de l’étiquetage. L’inspection économique a d’ailleurs annoncé sa décision d’intensifier les contrôles au niveau des fruits et légumes et des produits de viande pour lesquels l’indication de la provenance est obligatoire.

L’étiquetage alimentaire étant décidé au niveau européen, un dossier plaidant pour un renforcement de l’étiquetage en matière de provenance et d’origine, sera porté par la présidence belge qui demandera à la commission différents correctifs dans la législation en vigueur.

Les membres du groupe de travail ont par ailleurs proposé une campagne de conscientisation du consommateur à la valeur de l’alimentation, au travail qui la génère, à sa valeur stratégique, a fortiori dans un contexte géopolitique où il est indispensable d’encourager la relève en agriculture afin de protéger l’outil de production agricole national.

Une campagne fédérale complétera une campagne régionale portée conjointement par l’Apaq-w et son homologue flamand Vlam (Vlaams centrum voor Agro- en Visserijmarketing) sur le réflexe d’achat local.

Les réunions des groupes de travail se poursuivent. Les représentants des agriculteurs se disent satisfaits de plusieurs avancées, mais restent très prudents et demandeurs d’un calendrier strict d’exécution… avant la fin de la législature.

Marie-France Vienne

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