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Bleu, blanc, et vert

Trois couleurs : bleu, blanc et vert. Elles ornent le drapeau du Lesotho -petit pays enclavé dans l’Afrique du Sud visitée naguère par le Sillon Belge- et l’étendard d’une immense région située en Argentine : la Patagonie. Ces couleurs pourraient évoquer également une coalition gouvernementale improbable, avec un parti blanc sans le moindre pigment politique. Pourquoi pas ? À dire vrai, notre « blanc bleu vert » désigne un projet d’étude mené pas le Centre de Recherche Agricole de Wallonie, le Cra-w. Le sujet me tient à coeur, car il met en avant une race bien de chez nous, le Blanc-Bleu-Belge, et étudie son impact sur les émissions de gaz à effet de serre.

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Un vrai Wallon aime le Blanc-Bleu contre vents et marées, en dépit de tous ses détracteurs, de tout le mal qu’on a pu dire et inventer à son propos. J’aime le Blanc-Bleu, ses couleurs diversifiées, son caractère placide, sa rusticité quand on ne va pas trop loin dans la sélection viandeuse. J’aime sa capacité à transformer des fourrages grossiers en protéines exceptionnelles, en viande maigre peu chargée en graisses saturées. J’aime sa simplicité d’élevage, ses vêlages par césarienne faciles à programmer. Je l’aime surtout parce que mon petit troupeau descend d’animaux élevés par mes parents, mes grands-parents, et la troupe entière de mes aïeux.

La race Blanc-Bleu est née dans la deuxième moitié du 19e siècle, quand les bovins ont supplanté peu à peu les ovins dans les fermes wallonnes. Les vaches de chez nous ressemblaient grosso modo à des Highland Cattle, l’épaisse toison et les cornes démesurées en moins. Leur robe était rousse ; on les appelait les « rouges bêtes ». Leur petite taille et leur conformation étaient bien adaptées au dur climat ardennais, mais leur rendement en lait et surtout en viande était particulièrement médiocre. La Belgique importa des bovins britanniques, particulièrement des Durham Shorthorn, animaux de grande taille à la curieuse livrée blanche tachetée de nuances fauves et bleutées. Cette race est elle-même originaire de Scandinavie : des vaches amenées par les Vikings en Angleterre, lors de leurs conquêtes et invasions.

Le croisement donna si bien que la Shorthorn finit par absorber génétiquement les petites races locales, pour donner une race belge à part entière, baptisée par les Wallons « Blanc-Bleu-Belge » en référence à ses couleurs dominantes. D’autres colorations sont bien présentes, comme le noir et le roux, avec une grande variété de robes plus ou moins tachetées. Le BBB est une race élégante, pittoresque, et joliment colorée… Quand on la croise avec une race française -charolaise, limousine, parthenaise, rouge des prés –, elle donne d’excellents animaux viandeux aux robes diverses : bleu souris, froment, brun, café brûlé, noire, pie-bleu, etc.

Et justement, le Cra-w vient d’ajouter à tout ce panel une couleur supplémentaire : le vert ! Le concept aurait tout pour séduire, s’il n’enfonçait joyeusement des portes déjà ouvertes depuis longtemps. Le croisement des laitières avec un taureau BBB ne date pas d’hier. Chacun sait qu’une pie-noire ou une pie-rouge inséminée -ou saillie- par un géniteur blanc donnera un veau blanc-bleu de qualité viandeuse intermédiaire. C’est magique ! De même, ajouter de la farine -ou des schilfers- de lin aux aliments concentrés est très profitable aux bovins ; leur pelage devient luisant comme celui d’une loutre (« flotchant comm’onn’ lotch’», dit-on en wallon). Les gens du Cra-w n’ont pas découvert la recette de l’eau chaude ; ils ont mis des chiffres sur des stratégies paysannes déjà bien en place. Finalement, un fermier n’est pas aussi bête qu’on ne le prétend…

Le projet Blanc Bleu Vert a été présenté à Libramont le mercredi 19 juin. Un ami fermier m’a envoyé une vidéo humoristique, qui explique non sans malice le grand défi de la transition écologique. Paulo y reprend une chanson de George Moustaki -Le Métèque- arrangée à sa sauce.

Je n’ai pu résister à récupérer pour vous les paroles :

« Avec maintenant les vaches qui pètent, et nous réchauffent la planète, au dire des plus grands savants. Avec les gaz à effet de serre qui s’échappent de leur derrière comme lâchent les pots d’échappement, le méthane et le CO2 qu’elles font fuser dessous leur queue, ou voire parfois même en rotant. Voilà qu’elles nous mettent en péril, moi qui les croyais si dociles, avec leur regard innocent ; moi qui dans ma plus tendre enfance, ai dû subir leurs flatulences, sans les soupçonner un instant. Il n’y a là rien qui m’étonne : une vache dans un champ qui ballonne, n’est rien d’autre qu’un veau qu’a bu l’air. Je sais qu’mon jeu de mots est débile, mais c’est pour dire aux imbéciles qu’elles ont un rôle à jouer sur Terre. Comment s’fait-il qu’un scientifique n’ait pas vu le côté pratique de ces gaz en les récupérant ? Innovation originale à la sortie de leur trou de balle, greffer un simple détendeur. À l’heure où l’écologie domine, remporter le concours Lépine, faire d’une vache une pompe à chaleur. » (Le concours Lépine, créé en 1901, récompense les inventions les plus utiles et originales)

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