«Les Broutards», à Awans: une filière vertueuse, de l’éleveur au consommateur
L’air, le glacé, le brûlant, et toutes sortes de clartés jouent sur les pavés de la ferme en carré en une course qui accompagne la lente rotation des jours. Quelques images dorment à même la terre. Le ciel ce matin est une cour de récréation, des oiseaux s’y poursuivent, du gris et du blanc y jouent à la marelle, l’ombre s’assoit sur une petite chaise. Par la lourde porte l’air s’engouffre et la vie aussi dans la ferme de Jean-François Moesen, à Villers-l’Evêque.

C’est ici, dans ce petit village lové dans l’entité d’Awans, dont près de 75 % du territoire total sont dédiés à l’agriculture, que se déploie son exploitation mixte de part et d’autre de la rue de l’Yser.
Réappropriation du territoire rural et de ses productions
Il fait partie de ces éleveurs qui constituent la colonne vertébrale de l’Asbl « Les Broutards », dont Sophie Raway nous narre la genèse, les objectifs et ambitions.
Subventionnée par la région wallonne depuis sa création, en janvier 2021, jusqu’à sa reprise par un collectif citoyen, en juin 2024, l’association répondait, à la base, à l’appel à projets « Relocaliser l’alimentation en Wallonie ». Alors géré par l’Asbl « Planteurs d’Avenir », à Awans, le projet avait pour but de protéger les pâturages en contribuant à les rentabiliser par la vente directe de viande bovine issue des élevages locaux.
L’Asbl est exclusivement composée de bénévoles aux profils aussi variés que complémentaires. Elle est présidée par Catherine Moesen, sœur de Jean-François, qui a tout de suite adhéré au projet. C’est cette contrôleuse aérienne basée à Maastricht qui est allée démarcher les éleveurs tandis que Sophie Raway, professeure de français, en assure la communication.
« Nous sommes tous des citoyens convaincus par la nécessité de préserver l’environnement et d’offrir une juste rémunération aux éleveurs » souligne cette dernière, avant d’ajouter que son activité au sein des Broutard lui a permis de « connaître quasiment tout le monde dans le village et ses agriculteurs en particulier. Nous contribuons à réellement tisser du lien dans la ruralité ».
Vente de viande au cœur des fermes
Si l’Asbl travaille à la préservation des prairies et à la promotion du circuit court, elle vise aussi à valoriser le travail des éleveurs et à se réapproprier le territoire rural et ses productions. Ils sont désormais quatre éleveurs à avoir rejoint l’association, trois sur la commune d’Awans, qui regroupe plusieurs villages, et un sur Juprelle.
« Nous agissons comme un intermédiaire entre les éleveurs et les consommateurs » précise encore Sophie Raway.
La vente de viande s’organise environ une fois par mois (en fonction de la demande et de la saisonnalité) toujours au sein de la ferme d’un des éleveurs membres de l’Asbl, afin de favoriser le contact avec l’agriculteur tandis que les bénévoles de l’association veillent toujours à inviter à chaque distribution un maximum de quatre petits producteurs locaux. Parmi ceux-ci, la biscuiterie artisanale Octogôn, les Fraises d’Othée, le Domaine viticole de Quantole ou encore les jus de pommes bio du Verger d’Al’Savatte.
« Nous voulons faire de cette action un moment de rencontre » souligne Mme Raway en précisant que l’Asbl « Les Broutards » organise par ailleurs, deux fois par an, une vente de poulets élevés en plein air.
Ce sont entre 40 et 50 colis de viande emballés sous vide de 5 ou 10 kg (à 140 €) qui sont écoulés lors de chaque vente. Leur contenu va du haché de première qualité aux belles pièces nobles pour un prix et une qualité qui défient ceux qui sont pratiqués en grande surface.
« Nous en sommes à environ 780 colis de viande vendus depuis 2021, ce qui représente une moyenne de 8 vaches par an » synthétise la bénévole.
Quant aux consommateurs, ils viennent majoritairement d’Awans et des environs, mais aussi des communes environnantes comme Grâce-Hollogne et Ans, voire de Liège.
Maintien des prairies et des élevages
Jean-François Moesen s’est inscrit dans la démarche défendue par « Les Broutards » et sa charte dont les grandes lignes imposent aux éleveurs de garder les bêtes sur une même implantation locale dans un système respectueux de l’animal, de la biodiversité.
Sur son exploitation classique de la région limoneuse, où il travaille en association avec son père, il développe des cultures (betteraves, maïs, pommes de terre, froment…) et élève environ 140 Blanc-Bleu, correspondant à 35 à 40 vêlages par an. Tout est fait en circuit fermé chez ce naisseur-engraisseur qui n’a jamais souhaité acheter à l’extérieur, évitant ainsi de passer par des intermédiaires.
L’agriculteur est quasiment en autonomie fourragère depuis qu’il a acquis une mélangeuse lui permettant de faire les aliments pour le bétail sur place.
Pour Jean-François Moesen, tout a commencé quand il a été contacté par l’association « Les planteurs d’avenir » en 2021 dans le but de reboiser les champs et bords de route, mais aussi, dans la foulée, d’organiser une vente de colis de viande dans le but de préserver le bétail sur l’exploitation afin de ne pas laisser disparaître les prairies dans les villages.
C’est quand le projet, exclusivement écologique, a évolué vers une sensibilisation citoyenne aux productions locales que M. Moesen s’est engagé au sein de la nouvelle association « Les Broutards » dont sa sœur devient présidente.
« Nous avions déjà proposé occasionnellement des ventes de colis sur la ferme avec des bêtes (d’accident) que nous ne pouvions pas valoriser par le biais du circuit classique, mais la démarche était compliquée à gérer surtout avec des vaches dont le poids avait atteint les 400kg » rembobine l’éleveur qui devait s’occuper tout seul des démarches liées à l’abattoir, à la découpe, mais aussi trouver des clients pour écouler sa viande en l’espace de trois jours.
La ferme, l’abattoir, le boucher : un circuit en terre liégeoise
Adhérer à l’association lui a permis de planifier sereinement son activité.
« Une fois la date de distribution des colis connue, je prévois une bête à l’engraissement. Une semaine avant la vente à la ferme, un transporteur vient la chercher pour l’amener à l’abattoir d’Aubel. Elle est abattue en général le mardi et sera reprise le lundi, après avoir reposé, par le boucher qui s’occupera de la découpe et de la mise en colis, lesquels seront distribués le mercredi.
Soucieux de travailler avec des acteurs locaux, Jean-François Moesen s’est tourné vers un collègue éleveur qui s’est diversifié en ouvrant la boucherie à la ferme « Du pré à la bouche », à Bombaye (Dahlem). La viande est mise sous vide en colis de 5kg et 10kg qui sont déposés dans des cageots et, enfin, acheminés dans une remorque frigorifique vers Villers-l’Evêque.
L’éleveur se dit « très satisfait » de cette solution. Elle lui offre l’opportunité de rencontrer les consommateurs qui viennent souvent en famille puisque les ventes sont organisées le mercredi. « Les enfants viennent voir les machines, les animaux, et s’approprient l’univers de la ferme » sourit-il, ajoutant que c’est « avec plaisir » qu’il explique tout ce qui se fait sur l’exploitation à leurs parents.
Une filière sans intermédiaire
Même si les ventes à la ferme sont financièrement plus avantageuses pour l’éleveur, les volumes qui sont écoulés par ce biais-là n’apportent pas de réelles plus-values financières à M. Moesen qui déclare avoir surtout à cœur l’accueil de clients à la ferme pour leur faire découvrir son métier, ses outils, ses animaux qui leur fourniront la viande qu’ils achètent en direct.
« Grâce à ce projet porté par des bénévoles, nous touchons 100 % du fruit de nos ventes, nous devons juste déduire les frais d’abattage, de découpe et de transport » développe l’éleveur ajoutant que « c’est plus intéressant de vendre une bête dans cette filière qu’à un marchand et en passant par tous les intermédiaires qui captent une partie de ce qui nous revient ».
Un modèle transposable ailleurs en Wallonie ?
L’Asbl a tout récemment remporté l’un des Prix des acteurs de la transition écologique de la province de Liège qui leur a permis de toucher 5.000€, un montant qui va aider les bénévoles à communiquer efficacement sur leur projet qu’ils comptent encore développer davantage pour continuer à sécuriser l’activité des éleveurs bovins de la région.
Il faut dire que leur nombre est en constante diminution, soit du fait de l’abandon de l’activité agricole (retraite), soit du fait de l’abandon de l’activité d’élevage, considérée comme trop peu rentable ou trop contraignante. Tant et si bien (ou plutôt mal) qu’en 2021, il n’y avait plus que 6 éleveurs de bovins viandeux sur tout le territoire awansois.
Au-delà de l’élevage, le projet vise aussi à contribuer ainsi au renforcement d’une ceinture verte protectrice de prairies, de haies et de vergers autour des villages.
« Je plante des haies et une dizaine d’arbres chaque année » tient d’ailleurs à préciser Jean-François Moesen.
Si la vocation affichée de l’Asbl est bien de rester ancrée dans ce petit territoire, les bénévoles sont prêts à accompagner un autre projet qui se calquerait sur le modèle vertueux des « Broutards » dans une autre province ou région en Wallonie, peut-être à Aubel ou du côté de Spa qui sont aussi des terres d’élevage. La marque « Les Broutards restera toutefois liégeoise » promet Sophie Raway.