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«Nous sommes prêts à nous adapter», clament les acteurs de la pomme de terre

« La pomme de terre, culture importante et impactante. » Le thème interpelle… et reflète la réalité d’une filière qui s’est fortement développée en Wallonie ces vingt dernières années, sous l’impulsion essentiellement de l’industrie de transformation. Mais cet essor est également synonyme de nouveaux défis, tant agronomiques et environnementaux qu’économiques. Du producteur au transformateur, comment aborder l’avenir et apporter les solutions adéquates ?

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Une table ronde, organisée en novembre dernier par le Centre wallon de recherches agronomiques et la Fiwap, a permis de dégager plusieurs pistes de solutions. En effet, sous la houlette de Caroline Devillers, administratrice de Bel Go Bio, tous les maillons de la filière étaient réunis. Ont ainsi livré leurs perspectives pour l’avenir : Loïc Piat, responsable recherche et développement chez McCain Europe, Emanuel Van den Broeke, directeur agronomie chez Lutosa, Nicolas Mullier, producteur de pommes de terre pour le frais et l’industrie, Kürt Demeulemeester, chef de département auprès de l’institut de recherche Inagro, et Hervé Vanderschuren, professeur de génétique végétale au sein de Gembloux Agro-Bio Tech.

De gauche à droite: Loïc Piat, responsable recherche et développement chez McCain Europe, Emanuel Van den Broeke, directeur agronomie chez Lutosa, et Nicolas Mullier, producteur de pommes de terre pour le frais et l’industrie.
De gauche à droite: Loïc Piat, responsable recherche et développement chez McCain Europe, Emanuel Van den Broeke, directeur agronomie chez Lutosa, et Nicolas Mullier, producteur de pommes de terre pour le frais et l’industrie. - J.V.

Kürt  Demeulemeester  (à gauche) et  Hervé  Vanderschuren représentaient  le monde de la recherche.
Kürt Demeulemeester (à gauche) et Hervé Vanderschuren représentaient le monde de la recherche. - J.V.

La transition vers d’autres variétés

Le premier défi abordé est agronomique et économique et concerne tant les agriculteurs que les industriels. Il s’agit de la forte dépendance des usines de transformation aux variétés sensibles aux maladies et, par conséquent, gourmandes en intrants.

Et l’industrie, par la voix de Loïc Piat, d’expliquer que la qualité du produit fini constitue le point le plus important dont il faut tenir compte. « L’objectif est de proposer à la vente des frites de la bonne longueur, sans défaut et dont la conservation est assurée. Pour l’instant, seules Challenger et Fontane satisfont parfaitement à nos attentes en la matière », détaille-t-il. Il se montre néanmoins ouvert à d’autres variétés, moins sensibles aux maladies. « Pour autant que celles-ci répondent tout aussi bien, voire mieux, que les deux précédentes à nos critères », précise-t-il. Notons toutefois que la transition ou la cohabitation entre variétés ne peut être envisagée que si la disponibilité en plants suit la demande.

Le contexte dans lequel a évolué la filière, à savoir une abondance de produits phytosanitaires, doit aussi être pris en compte. « Historiquement, la résistance variétale n’était pas un critère de sélection prépondérant… Les choses changent désormais… », ajoute Emanuel Van den Broeke. Si la volonté d’avancer est présente, il faut tenir compte du temps dont ont besoin les sélectionneurs pour mettre de nouvelles variétés sur le marché.

Suite à ce constat, une question se pose : les consommateurs sont-ils si attachés aux critères évoqués ci-dessus et à leur stabilité dans le temps ? Pour M. Piat, ce ne sont pas eux qui y sont le plus attentifs, mais bien les grossistes et autres intermédiaires. « Nos clients comparent nos produits avec ceux de la concurrence… Nous devons suivre le marché. »

« Ils se montrent frileux lorsqu’il s’agit de modifier un quelconque critère, de peur de perdre leurs propres clients », le rejoint M. Van den Broeke. Avant d’affirmer que la frite de demain ne sera pas celle d’aujourd’hui. « Il y aura du changement, du côté des agriculteurs, des transformateurs et des consommateurs. »

Changement qui est en marche depuis plusieurs années déjà et s’est accentué lors de la crise sanitaire. Pour preuve, cet épisode durant lequel les consommateurs, privés de restauration hors domicile, se tournaient vers les repas à emporter a été le théâtre d’une hausse de la demande en frites enrobées, pour une meilleure conservation de leur croustillance et de leur chaleur.

La création de nouvelles lignes de transformation  constitue une forme de sécurité, tant pour  l’industrie que pour les producteurs.
La création de nouvelles lignes de transformation constitue une forme de sécurité, tant pour l’industrie que pour les producteurs. - D.J.

Les agriculteurs vont de l’avant

De la réduction de l’utilisation des produits de protection des plantes, grâce au recours à de nouvelles variétés, à l’agriculture de conservation, il n’y a parfois qu’un pas. Les industriels l’ont compris et plusieurs débloquent des moyens financiers pour les agriculteurs souhaitant s’inscrire dans cette transition. C’est notamment le cas de McCain.

Loïc Piat détaille : « Nous avons remarqué que les rendements faiblissent un peu partout dans le monde, depuis une dizaine d’années. Les questions en matière de législation, enjeux climatiques, produits phytosanitaires… sont de plus en plus fréquentes. Nous pensons que l’agriculture de conservation des sols peut être une piste de solution. Pour autant que celle-ci ne s’interdise rien mais vise à retrouver la fertilité des sols et, in fine, palier l’érosion des rendements ».

Le programme a été développé à destination des agriculteurs volontaires. Il comporte deux volets, l’un technique, l’autre économique. Dans le premier, des experts sont présents et accompagnent les participants dans différents domaines : meilleure utilisation des intrants et des produits de protection des plantes, rééquilibrage de la teneur en matière organique des sols, prise en compte de la biodiversité… afin d’adopter de nouvelles pratiques et d’accroître la durabilité de la filière. « L’accompagnement concerne toutefois l’ensemble des cultures de la rotation, c’est pourquoi nous cherchons des cultivateurs qui ne louent pas les terres pour une seule année. » Difficile, en effet, de mettre sur pied un tel suivi si le volontaire n’occupe qu’une seule fois la parcelle.

Le second volet s’articule, lui, autour de contrats spécifiques, incluant des primes. Pour McCain, ce dispositif est actuellement accessible en France, aux Pays-Bas et en Pologne mais devrait voir le jour en Belgique également. En parallèle, des groupes d’échange ont été mis sur pied pour permettre aux participants de progresser ensemble.

Nicolas Mullier, en sa qualité de producteur, confirme que les agriculteurs apportent leur pierre à l’édifice. « Personnellement, je travaille en non-labour. J’accorde une grande importance à la couverture des sols. Le tout, sans prime… Preuve, une fois encore, que nous sommes prêts à nous adapter et à aller de l’avant. »

Emanuel Van den Broeke enchaîne : « L’agriculteur est un entrepreneur, qui prend également des initiatives. Si l’industrie venait à imposer un paquet de mesures, les planteurs n’auraient pas envie de s’impliquer dans la transition ».

Répondre aux attentes de chaque acteur

Les efforts menés en matière d’agriculture de conservation ne doivent pas occulter l’impact sévère que la pomme de terre peut avoir sur la structure des sols, tant lors de la plantation que des arrachages. Ceux-ci ont d’ailleurs laissé des traces, cette année comme à l’automne 2023.

« On s’est tourné vers des variétés dont la période de croissance est plus longue. De ce fait, les arrachages ont lieu tardivement, dans des conditions parfois exécrables. Les parcelles en portent longtemps les séquelles… », éclaire Kürt Demeulemeester. Une seule solution, selon lui, contournera cette problématique : s’orienter vers des variétés caractérisées par des périodes de croissance moins longue. « Il sera toujours plus facile de récolter une pomme de terre précoce. »

Dans ce cadre, l’établissement de partenariats entre la recherche, l’industrie et les maisons de plants, en vue d’identifier les variétés répondants aux défis rencontrés par chaque acteur de la filière, semble faire l’unanimité. « Les collaborations existent déjà, et permettent d’identifier les traits à améliorer pour répondre aux attentes de tous », commente d’ailleurs Hervé Vanderschuren.

Et M. Demeulemeester de confirmer : « Nous manquons de plants améliorés et multipliés en Belgique ». Selon lui, il convient également d’axer le travail sur les variétés requérant moins de traitements. Ce qui séduit Nicolas Mullier : « Ce serait favorable, pour l’environnement, mais aussi pour l’image de l’agriculture ».

L’industrie suit le mouvement. « Une fois les variétés ciblées identifiées, il convient de disposer des surfaces nécessaires pour alimenter les usines en matières premières. Il faut que tout le monde travaille ensemble », concluent de concert Emanuel Van den Broeke et Loïc Piat.

Jérémy Vandegoor

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