Projet européen R4D : les fermes espagnoles et françaises sous le regard de nos éleveurs
Le projet européen, baptisé R4D, dont l’objectif est d’accroître la résilience des systèmes laitiers, s’est terminé en 2024. Ce dernier a notamment abouti à l’élaboration de fiches techniques décrivant des pratiques afin d’améliorer la résilience économique et sociale, l’efficacité, mais également le bien-être animal, de l’environnement et de la société. Par ailleurs, ce dernier a aussi été l’opportunité de visiter plusieurs installations, comme au Pays basque espagnol et en Bretagne.

La création de ces fiches a suivi un processus rigoureux en plusieurs étapes. Tout d’abord, les besoins du secteur ont été identifiés grâce à un questionnaire en ligne, auquel ont répondu 478 acteurs, dont 89 wallons, issus de divers horizons : éleveurs, conseillers, chercheurs, administrations… Cette enquête a permis de cerner les besoins globaux et spécifiques à chaque région participante et de répertorier plus de 300 solutions y répondant.

Les 200 innovations identifiées comme étant les plus pertinentes, par un groupe de 47 experts, ont servi de base à la réalisation de fiches techniques, disponibles en 12 langues, dont le français et l’anglais. Elles peuvent être consultées sur le site du projet : https://resilience4dairy.eu/. Celles-ci sont enrichies par des vidéos courtes, tournées directement chez les éleveurs pilotes du projet, offrant ainsi une mise en perspective concrète et visuelle des solutions proposées.
Parallèlement, des visites entre éleveurs pilotes étaient organisées. Les derniers échanges ont eu lieu au Pays basque espagnol et en Bretagne.
La coopérative Behi-Alde située au Pays Basque
En Espagne, tout d’abord, la coopérative Behi-Alde élève un troupeau de 535 vaches laitières de race Friesian. Ces animaux produisent annuellement 10.500 l de lait avec une teneur moyenne en matières grasses (TB) de 3,93 % et en protéines (TP) de 3,29 %. Les 5.600.000 l de lait produits sont commercialisés auprès de la coopérative « Kaiku ».
Une des particularités de cette exploitation réside dans une organisation en trois sites spécialisés, chacun dédié à des étapes spécifiques de l’élevage. Il y a d’abord le premier emplacement consacré à l’élevage des bovins en fin de lactation, avec pour les trois derniers mois une production de 4.500 l/VL, les vaches et les génisses primipares prêtes à vêler ainsi que la nurserie.
Il y a ensuite le deuxième site où sont hébergées les vaches multipares et des génisses à inséminer. Enfin, le troisième endroit vise à accueillir les jeunes bêtes, les génisses pleines et les primipares.
Ces trois sites sont reliés par un réseau de chemins permettant le déplacement des animaux à pied. Chaque emplacement est équipé d’infrastructures similaires (étables, salle de traite, laiterie, etc.), adaptées aux spécificités de leurs fonctions respectives.
Par ailleurs, l’exploitation s’étend sur 327 ha : 78 ha de prairies permanentes, 190 ha de prairies temporaires et 59 ha de maïs ensilage. Le troupeau est nourri avec une ration totale mélangée (RTM) composée d’ensilage d’herbe, d’ensilage de maïs, de pulpe de betterave, de luzerne et de concentrés, pour une consommation moyenne et annuelle de 4,2 t par vache. Durant la saison estivale, le pâturage représente environ 15 % de l’ingestion quotidienne.

18 coopérateurs pour assurer la gestion de l’exploitation
Depuis sa création en 1970, la coopérative regroupe 18 coopérateurs, chacun ayant des responsabilités précises sur l’un des sites. Une partie du personnel est polyvalente et intervient sur différentes tâches (traite, alimentation, travaux des champs…). Ils travaillent 6 à 7 heures par jour et un week-end sur deux. De plus, ils bénéficient de 15 jours de congé annuel. Chaque membre perçoit un salaire mensuel, auquel s’ajoute une part des bénéfices en fin d’année. La coopérative conserve un fonds de 50.000 € pour financer les investissements de l’année suivante.
Le modèle coopératif repose sur une stabilité du nombre de membres. Lorsqu’un coopérateur part, principalement pour cause de départ à la retraite, il doit céder ses parts à un nouveau membre, sélectionné par lui-même ou proposé par les autres coopérateurs. Une période d’essai est imposée au candidat, durant laquelle il est rémunéré comme ouvrier agricole, sans percevoir la part des bénéfices.
Bien que toutes ces personnes possèdent un poids décisionnel égal, l’un des membres, bien qu’il n’apprécie pas ce titre, est reconnu comme coordinateur. Il assure l’organisation du travail quotidien et propose des projets d’amélioration ou d’investissement. Cependant, trouver un consensus sur les investissements reste un défi majeur. Certains bâtiments vieillissants nécessitent des rénovations, mais les coopérateurs peinent à s’accorder sur les priorités et les projets à mettre en œuvre.
Trop de candidatures !
Lors de cette visite, les éleveurs wallons ont été surpris par l’organisation en trois sites, ne comprenant pas l’intérêt de multiplier le nombre de salles traites et de bâtiments considérés comme des investissements inutiles. Ils ont été étonnés par la présence du pâturage (contrastant avec les autres visites en Pays basque) bien que celui-ci ne représente qu’une faible part dans l’alimentation des vaches.
Le modèle de coopération est intéressant et étonnant car, selon les dires des personnes rencontrées, ils n’ont aucune difficulté à trouver de nouveaux coopérateurs. Que du contraire, ils doivent refuser des candidatures !
GAEC « Douillet » : une exploitation en transition vers la simplification
Le GAEC « Douillet » est une exploitation agricole en production biologique, gérée par un père et son fils. À 60 ans, le père a prévu de prendre sa retraite, cédant progressivement l’exploitation à son fils. Ce dernier, dans un souci de simplification et d’efficacité, a mis en place deux robots de traite Lely tout en maintenant un système de pâturage et en déléguant l’élevage des génisses à l’extérieur.
Séduit par cette évolution, le père a décidé de prolonger son activité jusqu’à l’âge légal de la retraite, soit 67 ans, pour accompagner son fils dans cette transition. Lorsque viendra l’heure de se retirer, un ouvrier viendra renforcer l’équipe déjà composée d’un employé salarié.
Le GAEC commercialise 726.000 l de lait. Il élève 117 vaches laitières croisées Holstein et Rouge Norvégienne. Ces animaux produisent, en moyenne, 6.000 l de lait par an. Ce lait affiche une teneur moyenne de 4,1 % en matières grasses (TB) et 3,3 % en protéines (TP).
Le troupeau est géré selon un système de pâturage tournant avec une organisation en parcelles ABC (plus d’infos dans l’encart) :
– parcelle de jour : accessible de 2 h à 14 h ;
– parcelle de nuit : accessible de 14 h à 2 h ;
Les déplacements sont facilités par une barrière de tri automatique et un fil mobile, déplacé quotidiennement pour ajuster l’accès à l’herbe selon les besoins du troupeau.
La fréquence des passages aux robots de traite est de l’ordre de 2 fois par jour en été et de 2,6 en hiver.
L’élevage des veaux et génisses est totalement externalisé. Les velles sont vendues pour 400 € par tête, tandis que les génisses pleines sont rachetées pour 1.600 €. Le choix des semences, afin de maintenir les caractéristiques du troupeau, et les inséminations artificielles sont réalisés par l’exploitant, Romain Chevrel.
Entre autonomie alimentaire et innovations
L’exploitation est 100 % autonome pour l’alimentation animale, produisant ses propres fourrages et concentrés. Les coûts de production sont maîtrisés aux alentours des 180 €/tonne de concentrés que ce soit à base de maïs ou d’herbe déshydratée (voir encart). Cette alimentation est produite sur 124,5 ha : 96 ha de prairie temporaire, 8 ha de prairie permanente, 6,5 ha de ray-grass hybride et trèfle rouge, 13 ha de maïs, 1 ha de ray-grass anglais pour la production de semences et assurer le renouvellement des prairies temporaires.
En 2023, un double boviduc a été construit pour un coût total de 55.000 €, financé en partie par une aide de 15.000 €. Cette installation a permis d’étendre les surfaces pâturables de 20 ha, portant le total de ces surfaces à 55 ha. Les parcelles proches des bâtiments sont divisées pour offrir trois jours de pâturage, avec des parcelles de jour plus grandes pour répondre aux besoins alimentaires plus importants en journée.
Les travaux des champs sont confiés à une Cuma, permettant à Romain Chevrel de consacrer son temps à d’autres activités.

Se libérer du temps grâce aux robots et en déléguant des tâches
L’objectif principal de Romain Chevrel est de simplifier son travail tout en se libérant du temps pour des activités personnelles, familiales et professionnelles. Romain Chevrel profite de ce temps « libre » pour suivre des formations, participer à des journées d’études et assurer son mandat de représentant agricole.
Pour atteindre cet équilibre, il mise sur l’automatisation (installation de robots de traite) et la délégation (externalisation de l’élevage des génisses et recours à la Cuma pour les travaux des champs).
Avec un prix de base du lait à 0,49 €/l, cette stratégie vise à allier productivité, bien-être personnel et pérennité de l’exploitation.
Ce qu’en pensent les éleveurs wallons
Lors de la visite, les agriculteurs wallons ont été surpris par l’association robots de traite et pâturage en production biologique. Le système simplifié, automatisé et en autonomie alimentaire permet de libérer un temps considérable à l’éleveur pour d’autres occupations professionnelles et personnelles. La rentabilité d’un tel système est questionnée (2 familles avec un ouvrier, délégation de l’élevage des génisses) pour notre région et n’est probablement réalisable que grâce à un coût du foncier limité, proche de 7.000 €/ha.
