Miser sur les prairies et traire au grand air : le choix de Thibault, jeune éleveur laitier
La traite en prairie semble être plus qu’un choix pour certains éleveurs : c’est aussi un mode de vie, une autre manière d’envisager son travail. Sous la pluie comme au soleil, Thibault Gérardy passe 4 heures par jour au pré auprès de ses vaches pour réaliser cette tâche. Le tout, équipé de sa machine, un héritage de sa grand-mère maternelle. À la tête d’un troupeau de 33 vaches en production, l’agriculteur nous a reçus dans son village de Commanster, juste avant de prendre le départ vers les pâtures.


Il est 8 heures. Le calme règne à Commanster. Nichée dans les campagnes, à quelques kilomètres de Vielsalm, c’est dans cette bourgade que s’est installé Thibault Gérardy. Pas vraiment un rendez-vous en terre inconnue, puisque cette région coule dans ses veines grâce à sa famille. « C’était la ferme de ma grand-mère. Quand j’étais jeune, je revenais ici les week-ends », confie-t-il. Si ses parents, tous deux enfants de fermiers, n’ont pas repris le flambeau de l’agriculture, Thibault a, lui, osé faire ce pari. Après ses études en agronomie à Gembloux, il quitte donc la région namuroise, direction la province de Luxembourg. Objectif : se lancer dans l’élevage. Mais attention, pas de n’importe quelle manière. Il tient à avoir une exploitation à son image : une ferme bio, misant sur le pâturage.
C’est pour cette raison que, depuis le 27 mars, tous les matins et tous les soirs, c’est le même rituel. Le jeune homme de 33 ans démarre son tracteur, y accroche son installation pour traire en prairie, et prend la courte route qui le sépare de son troupeau de laitières. Installées dans un pré en bordure d’un bois, ces vaches bénéficient d’un cadre idéal. Et lorsque le soleil commence à taper, cette pâture située à 550 m d’altitude a des airs de petit paradis sur terre.
La première mission, et non des moindres, est de rassembler les bovins. D’autant plus que pour y arriver, l’éleveur ne s’aide pas d’un petit concentré pour les attirer plus facilement. « Cette année, les vaches sont globalement assez calmes. Ce n’était pas le cas la dernière saison… ». Autant dire, donc, que la tâche peut prendre un peu de temps. Néanmoins, après quelques minutes, elles sont dans la parcelle délimitée par des clôtures temporaires. Puis, c’est parti : la traite peut commencer. La machine dispose de quatre emplacements et d’une cuve pouvant contenir 600 l. Lorsque la séance est terminée, une porte s’ouvre et l’animal peut repartir profiter de sa prairie.
Repartir de zéro avec un nouveau cheptel
Entre deux traites, l’éleveur bénéficie d’un petit moment de répit. Quelques instants pour raconter son histoire. « J’ai repris la ferme de ma grand-mère en 2015. C’était au moment de la crise du lait et du changement de la Pac. Il y avait alors une grosse incertitude sur l’avenir de la profession, et c’était compliqué de savoir convaincre, notamment au niveau bancaire ». Se réapproprier cette infrastructure, c’était aussi repartir d’une page blanche puisqu’il y réalise un changement de cheptel. Il se tourne vers la Holstein, à une époque où les Jersiaises étaient moins à la mode.
Après dix ans, il est aujourd’hui à la tête d’un troupeau de 33 vaches en production. Des bovins qui apportent une belle palette de couleurs dans cette région herbagère. Quand certaines sont plus grandes, d’autres, plus petites, présentent une robe noire. On y devine une Kiwi, fruit du croisement Jersey-Holstein.
Quant à la production moyenne par animal, là aussi, les années se suivent et ne se ressemblent pas. Généralement, elle se situe entre 5.000 et 6.000 l. Cependant, certaines années sont plus porteuses que d’autres… 2023 n’a pas déçu l’éleveur, avec son chiffre compris entre 6.200 et 6.300 l. Par contre, 2024 laisse un souvenir amer. Il y a, bien entendu, la FCO avec ses avortements et sa perte de production laitière, à laquelle s’ajoute une météo capricieuse. Un printemps humide qui a affecté la qualité des prairies et, par conséquent, les performances du cheptel.
Un calendrier bien établi...
S’il a dû démarrer à partir de rien pour le troupeau, concernant la traite, c’est différent. Réaliser cette opération en prairie était une tradition familiale. Comme le faisait autrefois sa grand-mère maternelle, Thibault a choisi cette manière de travailler, le tout sans devoir investir dans du nouveau matériel. Si le tracteur est « plus vieux que lui », la machine à traire, bien que toujours performante, doit avoir plus de trente ans et était déjà utilisée par son aïeule.
Par ailleurs, pour lui, traire en pâture est une belle manière de valoriser au mieux le pâturage. Puis, avec moins de 2 ha attenants à la ferme, il s’agit également d’une réponse à une question pratique. « Les génisses sont dehors à côté de l’étable. Elles ont commencé à passer la nuit dehors aux alentours du 6 mars avec un silo. Cela me permet d’observer les signes de chaleur, et de les attraper plus facilement pour procéder à l’insémination, ou lorsqu’elles doivent être vaccinées. »
Ainsi, depuis la première année de production du troupeau, l’éleveur poursuit sur cette même lancée. Que ce soit par jours de beau temps… ou lorsque la météo fait des siennes, l’agriculteur est dehors : 2 heures le matin, et rebelote le soir. « La deuxième traite se déroule vers 18h30, avant que la nuit ne tombe ».
S’il reconnaît que cela prend plus de temps qu’à l’étable, où il peut en parallèle s’affairer à d’autres tâches, il ne gâche pas son plaisir de travailler dans un environnement si agréable. Cela même si le lait peut être en quantité plus faible que lorsque les bêtes sont à l’étable… « C’est le cas cette année, cependant ce n’est pas une science exacte. De plus, cet hiver, la qualité du fourrage était très bonne, d’où peut-être la différence de production. Toutefois, quand la météo sera meilleure, elles redonneront ».
Les animaux ont commencé à sortir le 3 mars, uniquement durant la journée. Pour, quelques jours plus tard, après les vêlages, s’y installer 24 h sur 24. Afin de respecter ce timing, Thibault planifie les mises-bas en automne et en hiver. Quant à la date du 27 mars pour le début de la traite en prairie, il s’agit en réalité d’un concours de circonstances… « La citerne à lisier était remplie. Si j’épandais, cela risquait de croûter et de compliquer le pâturage. Ou alors, j’allais peut-être le récolter lors de la première coupe ».
Enfin, en étant dehors, même si le temps est parfois encore frisquet, les animaux gagnent en confort et en liberté. Dans le bâtiment, il s’agit d’un système entravé. « Je pense qu’un jour, ce sera interdit. Toutefois, le bâtiment est grand par rapport au cheptel. Il y a 76 places, on pourrait donc partiellement le repasser en stabulation libre », note à ce sujet l’éleveur.
Un des visages de la relève agricole
Pour vendre sa production, l’agriculteur passe par la coopérative Biomilk. « Le prix du lait est très bon. En février, il était de 59,5 centimes/litre ». De quoi avancer avec un peu de sérénité. En effet, si Thibault fait partie de ces agriculteurs misant sur la prairie, le jeune homme incarne aussi l’un des visages de la relève agricole. « Dix ans après m’être lancé, je n’ai pas tout remis en question. Cela signifie que le projet de base n’était pas mauvais. Je souhaitais travailler avec de la prairie permanente, traire de cette manière. Par contre, ce que je ne voulais pas, c’était me dégoûter… » En effet, s’il avait déjà un petit aperçu de ce qui l’attendait grâce à ses vacances chez sa grand-mère, traire quotidiennement matin et soir, c’était une autre histoire, un vrai changement de vie.
Comme d’autres, Thibault s’est posé des questions, a pensé à arrêter. C’était le cas l’année dernière, une année avec de gros investissements, où le comportement des vaches en prairie laissait à désirer. « Je me suis demandé quel autre métier je pourrais faire, et je n’ai pas trouvé de réponse… », sourit-il, conscient que tous les secteurs professionnels comportent aujourd’hui une part d’incertitude, et qu’il n’existe plus de métier offrant une sécurité absolue, ni financière ni professionnelle.