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Conte mouillé: l’é-Strange eau-dyssée de Filibulle H20

Vaux-sur-Sûre est fille d’une rivière, et quelle rivière ! Notre bonne vieille Sûre coule chez nous depuis des milliers, -que dis-je ? –, depuis des millions d’années ! Elle n’est pas seule à dessiner son chemin argenté sur notre espace de vie, bien entendu : pour l’alimenter, des centaines de minuscules cours d’eau serpentent à travers nos forêts et quadrillent nos campagnes. Vaux-sur-Sûre est le Pays des Mille Sources, des mille ruisseaux aux eaux très pures ! Nous le revendiquons légitimement ; nous pouvons être fiers de ce trésor unique, inestimable et fragile à la fois.

Temps de lecture : 17 min

V ous vous dites sans doute : « De quoi parle-t-il ? L’eau ? Un trésor ? Pfftt ! L’eau, c’est tellement banal ! Il suffit d’ouvrir le robinet, et elle coule sur nos mains, empressée de nous servir et de se donner à nous, transparente, inodore, insipide!! ». Détrompez-vous ! L’eau est partout autour de nous, indispensable dans sa banalité : elle est dans l’air, le sol, les végétaux, les animaux. Elle est en nous ! Nous croyons l’avoir maîtrisée, domestiquée, comprise, et pourtant, nous la connaissons bien mal et ne l’apprécions guère à sa juste valeur… L’eau très pure comme la nôtre, deviendra bientôt plus rare que les métaux précieux…

Partons aujourd’hui à sa rencontre, voulez-vous ? Glissons-nous dans sa peau, car pour comprendre et apprécier quelqu’un, il faut partager sa vie, l’accompagner dans ses gestes de tous les jours, découvrir sa manière de voir les choses ! Eau, qui es-tu ? Qui se cache derrière ces trois petites lettres : E, A, U ? Sur sa carte d’identité officielle, sérieuse, scientifique, on retrouve seulement deux lettres et un chiffre : « H2O ». Étrange dénomination, -ne trouvez-vous pas ? –, qui s’explique tout simplement par le fait qu’une molécule d’eau comporte un atome d’oxygène et deux atomes d’hydrogène. Une molécule H2O, c’est minuscule, encore plus mini que le plus mini que vous puissiez imaginer, puisqu’une petite goutte d’eau contient mille milliards de milliards de molécules. Chacune d’entre elles est pour nous invisible, alors, comment vous raconter les aventures de l’une d’entre elles ?

C’est tout simple ! Sa réalité scientifique ne nous parle guère : abordons plutôt son côté magique, celui qui parle à nos sentiments, à nos émotions, à notre imagination ! Nous allons nous inventer aujourd’hui un H2O grossi des milliers de milliards de milliards de fois. Notre personnage, sympathique comme il se doit, aurait cette apparence bonhomme : vous remarquerez la bonne bouille bien ronde du O, avec deux petits H en guise d’oreilles, bouche et yeux protons-neutrons, bras et jambes électrons. Reste à lui donner un prénom, et son histoire peut commencer. Demandons à Pénélope son avis, la plus grosse carpe du lac de la Strange : sans hésiter, elle vous parlera de Filibulle , digne représentant de la lignée infinie des H2O, une famille d’aventuriers, de grands voyageurs devant l’Éternel.

Une évasion bien orchestrée

Ce doit être grisant, d’appartenir à une famille tellement nombreuse, présente partout, et recouvrant les trois-quarts de la surface de notre planète bleue, bleue comme l’eau ! Mais notre Filibulle H2O, quant à lui, s’ennuie ferme dans son Lac de la Strange. Il est là depuis dix ans, dix siècles, dix mille ans ? Il l’ignore ! Depuis une éternité sans aucun doute, et l’éternité, c’est long, surtout vers la fin… Filibulle voudrait voyager, voir du pays, vivre des aventures palpitantes. Pénélope est bien gentille, mais sa conversation n’est pas très emballante ; à part tourner en rond, dormir des heures durant sur le fond vaseux, et faire des bulles quand elle a trop chaud… Notre ami H20 s’accroche à elle, quelquefois, mais le tour du lac n’est pas très long. Ici, rien ne bouge. Il pleut de temps en temps, et Filibulle se précipite pour parler aux nouveaux H2O tombés du ciel. Ceux-ci racontent des choses tellement étranges et excitantes ! Notre ami n’en croit pas ses oreilles ; il voudrait tant partir…

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Qui pourrait l’aider ? Autour de Filibulle, nagent des myriades de bestioles : des bactéries, des amibes, des larves d’insectes, des mollusques, des poissons. Tout ce petit monde est parfaitement heureux dans les eaux pures de la Strange ; aucun ne gamberge au bord des berges ; aucun ne veut accompagner notre petit H20 aventurier. Reste Pénélope, sa meilleure amie. Il faut trouver un plan pour s’évader du lac ! Les deux compères tiennent conciliabule et la carpe fait des bulles. Il fait beau, aujourd’hui, et le soleil luit de tous ses rayons d’été. Sur le sentier, des promeneurs flânent sans se presser ; des enfants courent sur la pelouse et se bousculent. Soudain, l’idée jaillit, lumineuse ! Pénélope a repéré une petite fille aux longs cheveux ; agenouillée seule au bord de l’eau ; elle scrute la surface, fascinée par la ronde de quelques têtards et d’un triton qui semblent jouer à cache-cache. Fermement accroché à la nageoire dorsale de son amie la carpe, Filibulle lui glisse quelques conseils aux ouïes. Soudain, le gros poisson bondit hors de l’eau à quelques mètres de l’enfant, et retombe en l’éclaboussant. Surprise, celle-ci se redresse précipitamment, dérape et glisse de tout son long dans le plan d’eau.

À cet endroit, l’étang n’est guère profond, heureusement. Pénélope s’approche vivement de la chevelure étalée à la surface comme un filet de pêcheur, y dépose Filibulle. Un cheveu, c’est parfait pour s’accrocher ! La petite molécule H20 s’y cramponne de tous ses électrons, s’y cache au milieu des filaments de vase, fermement décidée à voyager sur sa nouvelle monture. Au bord du lac, les parents de l’enfant se précipitent, hurlent des conseils, tendent les mains pour secourir la baigneuse, ahurie d’avoir été attirée dans l’eau par cette drôle de carpe facétieuse :

« Delphine, tu n’écoutes jamais ! Tu as voulu jouer au dauphin ? On ne peut pas s’approcher trop près, les bords sont glissants ! C’est malin, te voilà toute trempée et toute sale, quel gâchis ! Il va falloir retourner à la maison te changer. »

Heureusement, il fait chaud. Delphine s’enveloppe dans un grand essuie de bain et grimpe dans la voiture familiale. Direction le village de Vaux-sur-Sûre ! Filibulle ne se sent plus de joie, caché bien à l’abri dans l’épaisse chevelure. Il a pu échapper à sa prison d’ennui, quel bonheur ! L’auto roule, la campagne défile à toute vitesse. « L’aventure, c’est l’aventure » , chantait Johnny !

Arrivée chez elle, Delphine se précipite sous la douche. Ah, zut ! Filibulle n’avait pas prévu ça. Une eau tiède, puis chaude, tombe sur lui en cascade et tente de l’arracher à son cheveu. Notre ami H20 tient bon, mais soudain, une épaisse mousse de shampooing envahit la chevelure. Les agents tensio-actifs du savon lui coupent bras et jambes, et Filibulle est emporté loin de son cheveu, dans un flot d’eau odorante qui s’écoule vers un tuyau, noir et froid. Il aboutit dans un endroit très sombre, confiné, angoissant, et se retrouve au milieu d’autres molécules, du genre peu recommandable : détergents, résidus des toilettes, produits pharmaceutiques… Pour être usées, ces eaux-là sont vraiment usées ! Et l’odeur, je ne vous dis pas. Si c’est ça, la grande « aventure »…

Filibulle garde courage. Il se glisse dans le faible courant qui l’emporte doucement au-dehors. La famille de Delphine a installé un système d’égouttage naturel, par lagunage. Notre molécule sympathique suit son chemin, passe d’un bassin à l’autre, se débarrasse de ses encombrantes molécules voisines, piégées par les bactéries, dissoutes par les rayons ultra-violets du soleil, mangées par les roseaux de la dernière vasque.

À la conquête de l’océan

Après quelques semaines, Filibulle aboutit enfin dans un mince ruisseau qui se jette dans la Sûre. Ouf ! Il était temps ! La rivière est belle et pure, sautillante et rapide. Des truites argentées accompagnent son voyage, et notre molécule fonce à toute vitesse vers l’inconnu, emporté par le courant vers son destin. La Sûre serpente dans les prairies, passe sous les ponts des routes, se cache dans les bois, creuse son chemin dans les vallées. Filibulle n’a guère le temps d’admirer les paysages, il chevauche les courants, évite les bras morts où il risque de rester coincé. Déjà, il dépasse Martelange et rentre au Grand-Duché de Luxembourg. Sa rivière a bien grossi, maintenant, grâce à tous ses affluents. À Esch-sur-Sûre, ô surprise, notre amie H2O aboutit à nouveau dans un lac, et quel Lac ! 380 ha, des millions de m³ d'eau, pour alimenter la population en eau potable, fournir de l’électricité, proposer un lieu de baignade.

Un lac ? Non merci ! Filibulle a déjà donné. Il ne tient pas à rester coincé ici pour une éternité, à tenir compagnie aux carpes et autres poissons. Notre amie molécule d’eau se cherche une issue, et finit par franchir le barrage en passant par les turbines hydro-électriques. Ouf ! Il était temps ! Ici, la Sûre semble plus disciplinée, moins pure, moins sautillante, tandis qu’elle s’écoule paisiblement en contournant les collines. Sa route touche à sa fin, à Wasserbilig, où Filibulle retrouve une autre rivière, bien plus imposante : la Moselle !

Dans la Moselle (ou petite Meuse), le courant est bien plus vaste, et plus puissant. Filibulle, habitué aux petits espaces et à la pureté des eaux de source de Vaux-sur-Sûre, se sent perdu parmi toutes ces molécules indésirables : phosphores, nitrates, organo-chlorés, sels de métaux lourds. À gauche, à droite, il se renseigne auprès des poissons, se fait des amies et des amis parmi les bactéries, les algues, les insectes aquatiques. Un jour, il rencontre un étrange poisson, très long et ondulant comme une couleuvre, mais beaucoup plus gros : une anguille ! Elle s’appelle Calypso et raconte toutes sortes d’histoires extraordinaires. Elle est née très très loin, affirme-t-elle, a voyagé dans les mers et les océans avant de remonter les rivières. Maintenant, elle entreprend le voyage inverse et retourne là d’où elle est venue, pour y finir ses jours. Quelle voyageuse ! Filibulle et Calypso sont faits pour s’entendre, et notre ami H2O s’arrime fermement sous une paupière de l’anguille. Là, il pourra jouir du spectacle et voyager en première classe !

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À vrai dire, Calypso n’est pas très en forme, avec toute cette pollution autour d’elle, cette eau pauvre en oxygène et en bonne nourriture. Saura-t-elle rejoindre son lieu de naissance ? Nos deux amis se laissent emporter par la Moselle. À Coblence, celle-ci se jette dans le Rhin, un grand fleuve majestueux… encore plus pollué ! Hauts les cœurs, nos deux pèlerins poursuivent leur route à travers l’Allemagne, se glissent sous les péniches et les bateaux de plaisance. Vu la pollution, ici, personne ne pêche ! Personne n’aura l’idée saugrenue de vouloir attraper une anguille immangeable, c’est déjà ça ! Leur voyage ne risque pas de prendre fin prématurément dans une assiette… En quelques jours, Filibulle et sa très longue compagne traversent des plats pays et atteignent la Mer du Nord : Arnhem, Rotterdam. Des navires immenses glissent au-dessus d’eux, et l’eau devient de plus en plus irrespirable, chargée d’hydrocarbures, de molécules organiques mille fois plus grosses que Filibulle.

Calypso se sent très mal. La plupart des autres anguilles ont péri durant le voyage. Dans la mer, espère-t-elle, les eaux seront plus accueillantes. Notre petite molécule d’eau reste bien au propre sous sa paupière. La grande anguille a perdu du poids, mais elle retrouve des forces dans l’eau salée, qui lui rappelle son enfance. Guidée par son instinct, elle suit les champs magnétiques du sol sous-marin, et se dirige vers le grand large. Elle franchit la Manche et s’enfonce résolument dans l’Océan Atlantique. Filibulle n’en croit pas ses yeux, lui qui vivait depuis toujours dans le petit vase clos du lac de la Strange ! L’Atlantique est immense, et c’est peu de le dire. Chaque jour, Calypso avance de quelques kilomètres, plonge durant la journée en profondeur et remonte la nuit en surface. Fibulle encaisse les différences de pression sans broncher. Dans l’océan, tout est gigantesque : les poissons, les algues, les vagues. En profondeur, la nuit est éternelle, les animaux sont bizarres, colorés, globuleux ou serpentiformes, hérissés d’antennes lumineuses et d’yeux immenses. Très différents des classiques carpes et truites de la Strange ! Filibulle s’étonne : des quantités invraisemblables de plastique nagent autour d’eux. Des sachets, des cotons-tiges, des bouts de toutes sortes, mais aussi des filaments très fins, microscopiques. Les poissons et les oiseaux en mangent, bien obligés, et tombent malades. Vous vous voyez manger du plastique matin, midi et soir ?

Jour après jour, les deux voyageurs s’éloignent de l’Europe. C’est un périple interminable, quand on est une anguille de deux mètres de long. 5.000 km ! Pour aller où ? Là où toutes les anguilles vont se reproduire et pondre. La Mer des Sargasses, la Triangle des Bermudes, cela ne vous dit rien ? Filibulle et Calypso arrivent enfin au bout de leur voyage. Ici, l’océan est d’un calme plat imperturbable, semblable au lac de la Strange, sur une surface de 3.200 km sur 1.100 ! Des paquets d’algues énormes forment des îles flottantes, mélangées à des millions de tonnes de plastiques de toutes sortes, amenés là par les courants marins. En 2050, paraît-il, il y aura davantage de plastique que de poissons, dans nos océans !

Calypso a bouclé sa boucle, et retrouvé le pays de ses vertes années, ou plutôt de ses « brunes » années, brunes comme le varech des îles flottantes. Après avoir pondu ses œufs, elle abandonne la lutte et se laisse glisser vers le fond de l’océan. Filibulle est triste, le voilà orphelin de sa compagne l’anguille. Il est à nouveau piégé dans une immense étendue d’eau immobile. Très vite, il s’ennuie et cherche un moyen pour continuer sa route. Les légers flux marins le font tourner en rond au milieu des algues. Les sirènes lui chantent les charmes des Tropiques, mais lui a le mal du pays, pour la première fois depuis son départ « échevelé »… Il voudrait retrouver son lac.

Vers d’autres cieux

Comment partir d’ici ? Lors d’une belle soirée, quand le soleil se couche, il fait la connaissance de Nausicaa, l’oiseau princesse d’une île flottante. Ils parlent de choses et d’autres ; Filibulle se confie, raconte son aventure, et combien il est dépité d’être coincé dans la Mer des Sargasses ; ça l’agace !

« Tu veux partir d’ici ? Rien de plus facile ! Déploie tes ailes comme moi ; envole-toi vers les nuages. Le soleil va t’aider. N’aie plus peur de lui ! »

Le lendemain, notre molécule voyageuse se montre bravement au grand jour, se laisse caresser par les rayons brûlants de l’astre de feu. Et le miracle se produit ! Il se sent pousser des ailes, tout gonflé d’énergie solaire : il s’évapore et monte vers le ciel, en compagnie de milliards de milliards de milliards (etc) d’autres molécules H2O. Ils sont si nombreux qu’ils se rassemblent en nuages, de beaux gros nuages moutonneux qui s’élèvent toujours plus haut : 1.000 m, 2.000, jusque 12.000 d’altitude ! Filibulle est émerveillé ! Il voit la Terre de très haut, et voyage à toute vitesse, poussé par les alizés vers des continents inconnus.

Tour à tour cumulus, stratus, et cirrus, son nuage hisse la grande voile pour un grand tour du monde. D’innombrables passagers clandestins profitent du voyage : poussières de sable, pollen, bactéries, spores de champignons. C’est fou, la vie contenue dans un nuage ! Il y a aussi toutes sortes de molécules moins sympathiques : des composés organiques volatils, des composés soufrés, et même du plastique microscopique!! Autour du nuage de Filibulle, l’air contient également trop de gaz carbonique, du méthane, des oxydes d’azote. Ils forment une couche transparente qui empêche la chaleur de la Terre de s’évacuer, ce qui provoque l’effet de serre.

Que de chemin déjà accompli depuis son départ du Lac de la Strange ! Filibulle profite à fond de sa croisière. Il survole des déserts, des jungles impénétrables ; il passe entre des hautes montagnes, des volcans crachant feu, poussière et fumée ; il visite même le Pôle Nord en pleine aurore boréale ! Enfin, ce n’est pas tout à fait « la croisière s’amuse » ! Quand Éole, le maître des vents, prend un coup de chaud et se fâche tout rouge, l’air tourbillonne et devient tempête, la tempête devient ouragan. Notre amie H20 est agitée dans tous les sens, mais son nuage s’enfuit, loin des turbulences, et va rejoindre les basses pressions de l’Atlantique-Nord.

Filibulle est fatigué : trop d’émotions, trop d’agitations ! Il voudrait se poser, rejoindre l’eau liquide et se laisser couler la vie douce. Cela tombe bien, son nuage est pris dans un courant polaire, qui le dirige tout droit vers l’Europe. Le froid s’intensifie. Brrr ! Les petites molécules d’eau perdent toute leur énergie et se soudent les unes aux autres, pour se cristalliser en jolis flocons de neige aux dessins magnifiques. Filibulle descend en parachute blanc, en compagnie de milliards de milliards d’autres flocons, et atterrit tout en douceur sur le flanc d’une colline !

Retour aux sources

Une épaisse couche de neige se forme en une nuit, et dès le lendemain, de nombreux skieurs viennent s’adonner aux joies de la glisse. Notre ami Filibulle est maintenant tout à fait immobile, emprisonné entre les rangs serrés des molécules d’eau. C’est beaucoup moins drôle ! Il espère que la situation ne s’éternisera pas ; servir de pente à ski, c’est bien joli, mais on s’ennuie très vite ! Heureusement, le printemps arrive bientôt. La neige fond peu à peu, et l’eau imbibe le sol de la prairie. Le soleil réveille la nature, et l’herbe se met à pousser à foison.

Notre petit H2O aventurier s’est glissé sous une racine, et découvre encore un autre univers. Après l’océan, les nuages, le voilà devenu explorateur « intra-terrestre ». Autour de lui, le sol grouille de bactéries, de champignons, d’insectes, de vers de terre. Filibulle se plaît bien, ici ! Mais une radicelle fine comme un cheveu l’aspire sans lui demander son avis, en compagnie d’autres nutriments, et le voilà piégé à l’intérieur d’un végétal, au milieu de grosses molécules de chlorophylle ! Sans trop comprendre ce qui lui arrive, il est incorporé à une herbe bien verte et bien sucrée, très appétissante pour une vache en train de brouter la prairie. Filibulle est avalé et précipité à l’intérieur d’un vaste estomac. Cela gargouille et se malaxe, au milieu d’une soupe épaisse, composée de grosses bactéries gloutonnes. Être digéré ! Voilà une expérience nouvelle pour notre ami ! Il passe dans le sang de l’animal, et se promène un peu partout dans sa circulation : le cœur, les artères, les poumons. Le sang grouille de toutes sortes de choses étranges : des globules blancs et rouges, des plaquettes, des anticorps, des protéines, du sucre, etc.

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Et Filibulle tourne, tourne… et finit par aboutir dans le pis de la vache, au milieu du lait ! C’est l’heure de la traite. Notre ami H2O s’écoule hors de la mamelle et suit le flux du lait vers le tank-refroidisseur. Le jour suivant, un camion vient collecter le précieux liquide, pour le conduire à la laiterie où il est conditionné en berlingots d’un litre. Zut ! Voilà Filibulle à nouveau emprisonné dans un endroit confiné, dans une boîte de lait, parmi des milliers d’autres boîtes qui attendent d’être bues. Et pas de carpe ni d’oiseau-miracle à qui parler…

«  Rien n’est meilleur qu’un bon verre de lait !  » . Ainsi parle un joueur de foot qui vient de boire, sans le savoir, le lait où se morfond notre ami H2O. On peut l’appeler Eden, Thomas, Kévin, Romelu, ou qui vous voulez ! Le lait contient surtout de l’eau, mais également des protéines, du sucre, de la matière grasse, du calcium, des vitamines. Filibulle est à nouveau digéré, mais beaucoup plus rapidement. Il voyage dans le sang et se demande où sa bonne étoile a décidé de le conduire. Il y a pas mal d’endroits, dans un corps humain ; certains sont plus glorieux et agréables à connaître que d’autres…

Il fait très chaud, ce jour-là. De gros nuages gris en forme d’enclumes montent dans le ciel. Le footballeur s’active, court, dribble, tackle, et transpire par tous les pores de sa peau. La transpiration ruisselle sur son visage, et ailleurs aussi… L’orage gronde au loin, et les premières gouttes de pluie s’écrasent sur son front. Filibulle est en embuscade ; il se précipite dans une goutte de sueur et tombe par terre. Bientôt, sa goutte d’eau (qui contient un millier de milliards de milliards…) est rejointe par des milliards de milliards d’autres gouttes. L’eau ruisselle sur le terrain de football, et s’écoule dans un revêtement drainant.

Là, ô surprise, Filibulle s’enfonce dans la terre, dans un univers minéral : des graviers, des cailloux, du quartz, du schiste ferreux. « Tiens tiens, ce petit goût de fer me rappelle quelque chose ! » se dit notre ami Filibulle, emporté par les faibles flux souterrains. Il voyage très longtemps dans les interstices rocheux vers une nappe phréatique, puis un beau jour, il retrouve l’air libre et le soleil. Une source ! Il est retourné au Pays des Mille et Une Sources , à Vaux-sur-Sûre !

Son ruisseau serpente gaiement dans les prairies et les forêts ; il traverse des villages, guilleret et gazouillant. Ce ruisseau s’appelle « La Strange ». Celui-ci aboutit dans une étendue d’eau, toute calme, toute tranquille, où il fait bon se reposer parmi ses amis les poissons, au milieu des bactéries toutes douces et gentilles, loin des polluants des fleuves, des plastiques des océans ; à des années-lumière des turbulences nuageuses et des ouragans tropicaux. Au milieu du lac, une grosse carpe tourne en rond paresseusement et fait des bulles. Filibulle agite ses petits électrons, et l’appelle de toutes ses forces :

«  Pénélope, Pénélope ! C’est moi, Filibulle ! Je suis revenu près de toi ! Quelle eau-dyssée j’ai vécu, tu n’as pas idée ! Viens, je vais te raconter ».

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