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Des chiffres à la réalité,

le gaspillage alimentaire décrypté

Sous le thème du gaspillage alimentaire, les organisateurs de la Foire de Libramont avaient organisé diverses tables rondes. L’une d’entre elles – rassemblant politique, représentants des commerces, de l’industrie et des producteurs – s’est plus particulièrement intéressée aux chiffres et causes du gaspillage alimentaire dans notre pays.

Temps de lecture : 7 min

Christian Ferdinand, expert économie durable au Service public fédéral Économie, débute la session en exposant différentes causes de pertes alimentaires : « Dans le secteur agricole, les principales pertes sont dues aux dégâts aux cultures. Dans l’industrie alimentaire, ce sont les problèmes de qualités qui sont généralement pointés du doigt ».

Restaurateurs et consommateurs ont également leur part de responsabilité. « Les premiers parce qu’ils servent parfois de trop grandes portions et les seconds par leur comportement, notamment en matière d’achat. »

1,3 milliard de tonnes par an

« Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Fao), les pertes alimentaires annuelles s’élèvent à quelque 1,3 milliard de tonnes dans le monde », poursuit-il. Au sein de l’Union européenne, on estime que 20 % des aliments produits sont gaspillés. Dans les ménages belges, selon des calculs réalisés en 2014 par l’Ovam (Openbare vlaamse afvalstoffenmaatschappij – Agence publique flamande de gestion des déchets), ce sont 60 kg d’aliments qui sont gaspillés par personne et par an.

« Ces pertes ont également un impact financier non-négligeable sur le budget des familles. À l’échelle européenne, on estime que le coût sociétal moyen du gaspillage alimentaire s’élève à 283 € par personne. »

Qui est responsable ?

« Selon le groupe d’aliments considéré, les pertes ne sont pas dues aux mêmes maillons de la chaîne », continue Christian Ferdinand. Ainsi, pour les céréales, les pertes résultent principalement du comportement des consommateurs. « A contrario, en ce qui concerne les carottes et plantes tubéreuses, la responsabilité des agriculteurs et des opérateurs de traitement et conditionnement est plus importante. »

Pour d’autres catégories d’aliments, telles que viandes, poissons et fruits de mer et lait, les consommateurs endossent, une fois de plus, la plus grande part de responsabilité en matière de gaspillage alimentaire.

Mais qu’est-ce que le gaspillage ?

De son côté, le Service opérationnel du Collège des producteurs (Socopro) souhaite également agir pour réduire le gaspillage alimentaire. « Nous prenons part au plan Regal adopté par le gouvernement wallon dans le but de réduire le gaspillage alimentaire de 30 % d’ici 2025 et ce, par des actions allant de la fourche à la fourchette », explique Valérie Op de beeck, chargée de mission « gaspillage alimentaire » au collège des producteurs.

Néanmoins, avant de présenter les actions qui seront prises par la Socopro, Mme Op de beeck souhaite éclaircir les choses : « De quoi parle-t-on lorsque l’on évoque le gaspillage ? Il existe une multitude de manières de définir cette notion. » Selon le plan Regal, on parle de gaspillage alimentaire lorsque des denrées alimentaires sont définitivement perdues pour la chaîne d’approvisionnement alimentaire sauf si celles-ci sont réaffectées (biocarburants, coproduits, aliments pour animaux, dons…). « La définition de la Fao est quant à elle nettement plus large. En effet, l’Organisation des Nations unies considère comme gaspillé tout produit exclu de l’alimentation humaine, qu’il soit réaffecté ou non », détaille-t-elle.

Des solutions pour les agriculteurs

Afin de limiter le gaspillage alimentaire, la Socopro s’est fixé plusieurs missions parmi lesquelles la sensibilisation et l’encadrement occupent une place importante. « Nous allons également participer, avec Accueil champêtre en Wallonie et Diversiferm, à l’élaboration d’une enquête visant à quantifier les pertes alimentaires dans le secteur agricole. L’objectif final sera de proposer des solutions aux agriculteurs afin de réduire leurs pertes : don à l’aide alimentaire, transformation, commercialisation… »

Tous les « déchets » sont-ils perdus ?

Ann Nachtergaele, directrice environnement et énergie à la Fevia (Fédération de l’industrie alimentaire) tient elle aussi à apporter quelques précisions. « En 2010, une étude européenne estimait que l’industrie alimentaire européenne produisait en moyenne 70 kg de déchets alimentaires par personne. Cette même étude livrait des résultats plus interpellants pour la Belgique avec une moyenne de 220 kg de déchets alimentaires par personne », explique-t-elle.

Des chiffres jugés toutefois peu réalistes par la Fevia. « D’une part, il est logique que la moyenne belge soit supérieure à la moyenne européenne vu le nombre élevé d’industries de transformation installées sur notre territoire », plaide Mme Nachtergaele. Et cette dernière de poursuivre : « D’autre part, les données fournies à l’Europe par la Belgique sont surestimées car elles intègrent, contrairement à ce que font certains autres pays de l’Union, les déchets organiques. Cela signifie, par exemple, que les pulpes de betteraves sont considérées comme déchet perdu et prises en compte dans les chiffres belges. Alors qu’il s’agit d’un coproduit réutilisé par un autre maillon de la chaîne… ».

La Fevia crée sa définition

Face à l’absence de définition officielle, la Fevia a elle-même créé sa définition du gaspillage alimentaire. Celle-ci s’interprète de la manière suivante : les matières premières ou produits alimentaires peuvent, premièrement, être décomposés en deux fractions : d’un côté la biomasse non comestible valorisée en flux connexes (fertilisation, biométhanisation…) et de l’autre la biomasse comestible destinée à l’alimentation. Soit cette nourriture est consommée, soit elle ne l’est pas. « Et c’est cette dernière fraction qui constitue, selon la Fevia, les pertes alimentaires ! »

Sont donc considérés comme perte alimentaire, sur base de cette définition, les biscuits cassés, les bières avariées, les légumes mal coupés…

Estimer les pertes industrielles

En parallèle, la Fevia a également mené une étude visant à estimer les pertes réalisées dans l’industrie alimentaire flamande. Ann Nachtergaele : « Celle-ci révèle que le taux de perte s’élève à 2,4 %. Extrapolé à l’échelle nationale, cela permet d’estimer les pertes, dans l’industrie alimentaire, à 450.000 t. D’un point de vue éthique, économique et sociétal, cela reste beaucoup. Mais ce chiffre est nettement inférieur à ce qui est repris dans les études européennes (2.330.000 t) ».

Prochaine étape pour la Fédération, terminer l’étude du même type menée en Wallonie et convaincre les entreprises d’utiliser son échelle de valeur développée dans le but de réduire au maximum le gaspillage.

Identifier pour agir

« Comme cela a déjà été dit, les chiffres du gaspillage alimentaire diffèrent selon les définitions, les données considérées… Chez Comeos, la Fédération belge du commerce et des services, nous pensons qu’il ne faut pas se focaliser sur ces chiffres mais essayer d’identifier quels sont les maillons de la chaîne qui gaspillent le plus afin de travailler avec eux et ainsi réduire les pertes », poursuit Charles Petit, Senior advisor Comeos Wallonie.

Commercialisation et prévention

Comeos estime que le commerçant à un rôle important à jouer en matière de prévention. D’une part, il doit optimiser la gestion de ses stocks. « Ce qui demande de comprendre quels sont les choix et habitudes des consommateurs », insiste M Petit. D’autre part, il faut que la marchandise soit acheminée au plus près du consommateur « de la façon la plus efficace possible tout en respectant les règles d’hygiène et de sécurité alimentaire ».

« Tout est mis en œuvre pour réduire le nombre d’invendus et de produits périmés grâce à une politique d’achat sur mesure, une chaîne logistique performante, une gestion des stocks informatisée et une politique de vente rapide », ajoute-t-il encore.

La seconde vie des invendus alimentaires

« Les invendus alimentaires ne sont pas jetés mais connaissent une seconde vie. »

D’après une étude menée en 2012 par Comeos, 62 % des invendus alimentaires (dans le commerce de détail) sont non consommables pour diverses raisons : produits périmés, rupture de la chaîne du froid… « Ceux-ci sont alors valorisés en biométhanisation, compostage ou encore alimentation animale », explique Charles Petit. 38 % de ces invendus sont quant à eux consommables mais impropres à la vente (approche de la date limite de consommation, emballages abîmés, modifications organoleptiques…). « Ils sont alors donnés en priorité aux banques alimentaires. D’autres débouchés, comme la biométhanisation, ne sont alors envisagés qu’en second recours. »

Enfin, la Fédération s’est engagée dans un plan de monitoring « Roadmap 2020 ». Celui-ci comporte 72 actions destinées à lutter contre les pertes au niveau de l’ensemble des acteurs du gaspillage alimentaire. « D’autres actions seront encore prises afin de redistribuer au mieux les denrées alimentaires et ainsi réduire encore les pertes », conclut M Petit.

J.V.

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