Grand Horloger : Cette année encore, vous n’avez rien compris ! Ce système n’a pas l’heur de vous plaire, tant pis pour vous. Ne vous déplaise, la plupart des gens désire pourtant garder à jamais l’heure d’été stable.
P : L’heure détestable, en effet ! De mai à septembre, c’est supportable. Mais les matins d’octobre, à six heures, les vaches dorment encore dans les prés ; elles ne veulent pas rentrer pour la traite, car il fait trop sombre ! Brouillard, frimas… En fin d’après-midi, par contre, le soleil est encore haut et elles en profitent pour brouter. Nous devons les appeler avec insistance : pour elles, il n’est pas l’heure !
GH : Pâleur de raisonnement que voilà ! Vous autres agriculteurs, vous ne pensez qu’à vos veaux, vaches, cochons, couvées. Songez plutôt au plaisir des citadins, qui apprécient les longues fins de journées ! Pensez aux économies d’énergie ! Le soir, nous gagnons de longues périodes d’éclairage : une heure par jour, c’est de l’argent. Ayez confiance en ma longue expérience, je vous montre où l’or loge !
P : Votre horloge sonnerait donc les euros en trébuchant les heures, fort bien ! Mais êtes-vous tellement certain de faire des bénéfices ? Des études sérieuses ont prouvé qu’il n’en est rien. Votre montre brasse les vains carats ! Et tous ces sommeils perturbés lors des changements d’heure, ces rythmes biologiques décalés, comptent-ils pour du beurre ? Le passage d’un régime horaire à l’autre ne se fait pas sans heurt, et la neurasthénie pendule au nez de plus d’un.
GH : Voilà bien des propos de rustaud campagnard ! Est-ce trop vous demander, que de mettre vos coqs et vos bestioles deux fois par an à la bonne heure !
P : Soit ! Mais à la bonne heure, je préfère mille fois le bonheur. Les heurts du temps, très peu pour moi ! Pourquoi chercher minuit à deux heures du mat’? Vous trompez votre monde : l’heure d’été, l’heure d’hiver, leurre d’été, leurres divers !
GH : Mais pas du tout ! L’homme manœuvre toutes les dimensions à sa guise, les heures sont ses sujets. Il est maître du temps !
P : Un taon sonneur qui vous bourdonne sans arrêt aux oreilles, et vous suce votre rare bon temps. Toutes ces heures qui vous harcèlent, ces aiguilles trottinantes qui vous piquent le bonheur ! Abandonnez donc vos secondes, vos minutes et vos heures :
La morale la meilleure
En ce monde où nous, les fous,
Sommes les plus sages de tous
Est encore d’oublier l’heure.
« Vivez sans heure, vivez sans heurt ! » Méditez ce conseil ; fasse le ciel qu’un jour il soit nôtre, il soit vôtre, il soit leur !
